Lutte contre l’artificialisation des sols : la nouvelle proposition de loi sénatoriale adoptée en commission
Avec l’avis favorable de la commission du développement durable, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté ce 19 février la proposition de loi "visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux" dite Trace. Ce texte, qui prévoit de nouveaux assouplissements pour répondre aux attentes des élus locaux favorables à un changement de méthode dans la mise en œuvre de l'objectif ZAN en 2050, a fait l’objet de plusieurs amendements. Les modifications apportées à la proposition de loi initiale comptent rendre les dispositifs plus opérationnels et mieux adaptés aux enjeux locaux et nationaux, pour tracer une trajectoire crédible vers 2050, a résumé la commission des affaires économiques, saisie au fond.
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Une nouvelle étape s’ouvre dans le long cheminement vers la sobriété foncière que la loi Climat et Résilience de 2021 a voulu accélérer en fixant un double objectif de réduction de moitié de l’artificialisation sur la période 2021-2031 par rapport à la période 2011-2021 et de "zéro artificialisation nette" (ZAN) au niveau national en 2050. Cet objectif ZAN a fini par faire figure d’épouvantail auprès des élus locaux (lire notre article) en raison des nombreuses difficultés de mise en œuvre qu’il soulevait, à l’approche de la date-butoir de la modification des documents d’urbanisme.
Différenciation territoriale
Après la loi "ZAN 2" du 20 juillet 2023 qui a apporté des assouplissements sans toutefois lever tous les blocages, le Sénat a donc remis le couvert en élaborant un nouveau texte (lire notre article). Directement inspirée de leur rapport d’étape dans le cadre du groupe de suivi du ZAN, la proposition de loi des sénateurs Guislain Cambier (Union centriste-Nord) et Jean-Baptiste Blanc (LR-Vaucluse) a été adoptée ce 19 février par la commission des affaires économiques, saisie au fond, avec l’avis favorable de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. L’objectif du texte est de faciliter la mise en œuvre de la stratégie de sobriété foncière fixée par la loi Climat et Résilience au travers d’une meilleure différenciation territoriale.
Cinq articles à l'origine
Composée initialement de 5 articles, la proposition de loi "visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux" dite Trace a prévu le maintien de la mesure de l’artificialisation via la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) au-delà de 2031 (article 1er). "Ce mode de comptabilisation, bien connu des élus locaux, permettra à ces derniers de mieux anticiper et planifier leurs consommations foncières, et également de lever durablement la contrainte foncière sur les constructions et aménagements nécessaires à l’activité agricole, qui sont assimilés à des Enaf", ont justifié les sénateurs.
L’objectif intermédiaire national de réduction de moitié de l’artificialisation sur la période 2021-2031 par rapport à la période 2011-2021 et sa déclinaison uniforme dans chaque région a par contre été supprimé au profit d’objectifs intermédiaires différenciés, fixés par les collectivités elles-mêmes (article 2).
L’article 3 reporte les dates butoirs de modification des documents régionaux de planification et des documents d’urbanisme pour y intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation, "afin de leur permettre de tirer parti des souplesses permises par la future loi Trace, et de laisser davantage de temps à la concertation", ont souligné les sénateurs.
L’article 4 propose l’exclusion totale du décompte de la consommation d’Enaf des projets d’envergure nationale et européenne (Pene), et non plus sa mutualisation au niveau national, considérée par les auteurs du texte comme "injuste et pénalisante pour les régions et les collectivités, qui se sont ainsi vu imposer en cours de période un effort de réduction encore plus contraignant que celui initialement prévu (-54,5% au lieu de -50% sur la période 2021-2031)". A ce même article, l’Etat se voit aussi contraint de définir une trajectoire de réduction de l’artificialisation pour ses propres projets, comme la loi l’exige des collectivités.
Autre disposition du texte : la création dans chaque région d’une instance de concertation rassemblant l’ensemble des élus locaux parties prenantes à la mise en œuvre de la politique de réduction de l’artificialisation, dotée de pouvoirs décisionnels pour la fixation des objectifs régionaux et leur territorialisation (article 5).
Une vingtaine d'amendements adoptés
La commission des affaires économiques a confirmé l’ensemble des dispositifs du texte initial en les précisant "pour assurer une meilleure adaptation aux contraintes et réalités locales et la pris en compte des autres priorités des politiques publiques, tout en assurant une trajectoire crédible vers l’atteinte de l’objectif national d’absence d’artificialisation nette en 2050", a-t-elle indiqué. Une vingtaine d’amendements ont ainsi été adoptés, certains d’entre eux émanant de la commission du développement durable.
A l’article 1er, d’abord, afin de donner aux élus locaux davantage de visibilité sur la manière dont seront décomptées leurs consommations futures, et ainsi sécuriser l’évolution de leurs documents d’urbanisme, la notion de "consommation d’Enaf" a été précisée, via l’inscription dans la loi de critères de définition des "secteurs urbanisés", "ce qui permettra de mieux encadrer les interprétations parfois divergentes de la notion de consommation d’Enaf par les services de l’État", a souligné la commission des affaires économiques. Les spécificités des modèles d’urbanisation et d’habitat locaux devront également être prises en compte. La comptabilisation de la consommation d’Enaf étant réalisée par le Cerema sur la base des fichiers fonciers à l’échelle de la parcelle, ce point a également été clarifié dans la loi.
Enfin, dans le cadre du "porter à connaissance" en amont de l’élaboration ou de la modification des documents d’urbanisme, l’État devra fournir à chaque collectivité un bilan chiffré et détaillé de sa consommation passée, afin de servir de base fiable à la collectivité pour la planification de ses consommations futures.
Alors que la France continue de perdre, chaque année, environ 20.000 hectares de surfaces agricoles, naturelles et forestières, et que la décrue de l’artificialisation observée depuis une vingtaine d’années marque le pas depuis le début des années 2020, les sénateurs estiment que "la lutte contre l’artificialisation des sols demeure une priorité". "Même si la contrainte à court et moyen termes doit être assouplie, l’objectif d’absence d’artificialisation nette à horizon 2050 reste une boussole indispensable", ont-ils souligné.
Pour que l’atteinte de cet objectif demeure crédible, la commission a précisé que les régions devront inscrire dans leurs documents de planification une trajectoire et des objectifs intermédiaires compatibles avec cet objectif. Afin de permettre la mise en œuvre effective de ces nouvelles règles, la date butoir de modification des documents régionaux a été repoussée à août 2027. Par cohérence, pour permettre la modification "en cascade" des documents d’urbanisme, les dates butoirs de modification de ces derniers ont également été repoussées, respectivement à août 2028 (pour les Scot) et 2029 (pour les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales).
Les associations d’élus ayant exprimé un besoin de stabilité, la commission a renoncé à créer une nouvelle instance de concertation et a préféré modifier la composition des conférences régionales de gouvernance créées par la loi "ZAN 2" - rebaptisées "conférences régionales de sobriété foncière" -, pour y assurer la prééminence des représentants des collectivités locales. Le pouvoir de ces conférences a également été renforcé. Elles pourront désormais contraindre la région à reconsidérer ses objectifs en matière de réduction de l’artificialisation et sa territorialisation, et se prononcer par un avis conforme sur la liste des projets d’envergure régionale dont l’artificialisation fait l’objet d’une mutualisation au niveau régional, pour s’assurer que les projets retenus sont bien des projets d’intérêt commun.
La commission a également levé le caractère prescriptif des documents régionaux de planification, pour le volet concernant la lutte contre l’artificialisation – une position déjà portée par le Sénat lors de l’examen préalable à l’adoption de la loi "ZAN 2". Les objectifs et leur déclinaison territoriale s’appliqueront donc aux documents d’urbanisme dans un rapport de simple prise en compte et les collectivités pourront, au cas par cas, s’écarter des orientations fondamentales fixées par la région en la matière, dans la mesure où l’intérêt des opérations projetées le justifie. Lors de son audition devant la commission des affaires économiques, le 29 janvier dernier (lire notre article), François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, s’était déclaré ouvert à une telle évolution, que le Sénat revendiquait de longue date. Enfin, avec l’accord du préfet, une collectivité pourra, sur demande motivée, obtenir un délai supplémentaire de deux ans maximum pour intégrer dans son document d’urbanisme les objectifs de réduction de l’artificialisation.
Pour lever la contrainte foncière pour les projets qui concourent à la mise en œuvre des politiques publiques prioritaires, y compris lorsqu’ils sont de faible ampleur et ne peuvent prétendre à la qualification de Pene, la commission a en outre décidé d’exclure temporairement, jusqu’en 2036, du décompte de la consommation d’Enaf les implantations industrielles, les constructions de logements sociaux, dans les communes carencées au titre de la loi SRU et les infrastructures de production d’énergie renouvelable.
Garantie de développement communal : possibilité de mutualisation
Enfin, la commission a introduit un article additionnel pour assouplir le dispositif de la garantie de développement communal de 1 hectare créée par la loi "ZAN 2". S’il a constitué une bouffée d’oxygène pour les communes rurales menacées de se voir privées de toute capacité d’artificialisation, "les rigidités de sa mise en œuvre et son application homogène sur tout le territoire, pensées à l’origine pour protéger les maires des communes bénéficiaires, ont cependant abouti dans certains territoires à des situations de gel du foncier, qui grèvent les enveloppes foncières disponibles pour les autres collectivités", ont constaté les sénateurs.
Pour remédier à cet effet de bord, la commission a ouvert la possibilité de mutualiser la garantie au niveau du Scot et de la région. Elle a aussi précisé que cette mutualisation pouvait être partielle, et elle a simplifié l’évolution des documents d’urbanisme pour permettre aux collectivités de mobiliser effectivement les surfaces ainsi mutualisées.
La discussion de la proposition de loi en séance publique est prévue les 12, 13 et 18 mars prochains.