E-inclusion - Tarifs sociaux internet et mobile : départements, missions locales et associations montent au créneau
Dans le débat entre opérateurs et gouvernement sur la mise en place des tarifs sociaux internet et mobile, que veulent les utilisateurs ? Une connexion découplée à internet pour 10 euros par mois (15 euros avec le téléphone fixe mais pas la TV), des appels mobiles pour 5 euros de l'heure pour les trois premières heures, des SMS illimités pour les jeunes (ou 2 à 4 centimes l'unité pour les autres) et une offre étendue à 4,5 millions d'allocataires des minima sociaux, aux moins de 25 ans en recherche d'emploi, aux personnes âgées à faibles revenus, soit près de 8 millions de personnes (13% de la population) vivant sous le seuil de pauvreté en France... Telles sont en tout cas les propositions que l'Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt) et l'Agence nationale des solidarités actives (Ansa) ont présenté ce 8 juin à Paris en présence de Martin Hirsch, co-président de l'"action tank" Entreprise et Pauvreté, et de Janick Léger, vice-présidente du conseil général de l'Eure.
Offres économiques mais pas assez sociales
Face aux annonces minimalistes des opérateurs de télécommunications sous la houlette du ministre de l'Industrie, Eric Besson, et du secrétaire d'Etat à la Consommation, Frédéric Lefebvre (40 minutes, 40 SMS à 10 euros pour le mobile et probablement autour de 20 euros pour une offre internet triple play), les deux associations ont en effet décidé de porter les demandes des usagers potentiels au cœur des négociations. Elles n'y avaient pourtant pas été conviées. Elles ont donc créé, dès janvier dernier, un groupe de travail commun réunissant des acteurs d'horizons divers : associations de lutte contre la pauvreté (Emmaüs Défi, un foyer de jeunes travailleurs...), institutions (mission locale de Dinan, Union départementale des affaires familiales des Hauts-de-Seine), élus, utilisateurs des technologies (deux allocataires du RSA, la Fondation internet nouvelle génération) et collectivités (départements des Deux-Sèvres et de l'Eure). Résultats : douze organismes, quatre réunions et trois mois de travail ont abouti à la publication d'un dossier technique d'une cinquantaine de pages et à ces propositions précises, détaillées, argumentées. Celles-ci ont été présentées à l'Autorité de régulation (Arcep) et à l'association française des télécommunications (FFT), qui les ont bien accueillies. Quant aux cabinets des ministres Besson et Lefebvre, "l'écoute y a été très limitée puisqu'aucun rendez-vous n'a encore été fixé avec le ministère !", souligne le président de l'Afutt, Jacques Pomonti.
Double peine de la pauvreté
"Aujourd'hui, internet n'est plus une simple alternative au guichet. Pour certaines informations et certains services, c'est même devenu indispensable : l'activation du RSA, la déclaration trimestrielle de ressources, la vérification des droits APL, l'accès aux offres de Pôle emploi, les horaires des transports publics, le choix des meilleurs tarifs de la SNCF...", a rappelé Marion Liewig, responsable du programme Numérique pour tous de l'Ansa. Or, les offres existantes sont beaucoup trop chères et inadaptées (en termes de temps de communication, de mode de paiement par prélèvement automatique, de durée d'abonnement sur un à deux ans, de demande de caution, de distribution...) pour les ménages modestes. "Les plus pauvres sont victimes d'une double peine : ils doivent passer par des systèmes moins contraignants pour eux (cartes prépayées pour le mobile, cybercafés pour internet) qui se trouvent être aussi les plus onéreux", poursuit la responsable. "C'est un véritable cercle vicieux : ceux qui sont pauvres doivent toujours payer plus cher. Ce surcoût global a été évalué à 2 milliards d'euros par an en France par une étude réalisée gratuitement pour nous par le Boston Consulting Group. C'est comme si il y avait un impôt sur la pauvreté ! Il faut donc un accès aux services qui n'aggrave pas les conditions de vie", s'est enflammé Martin Hirsch.
Service universel
Pour les personnes à revenus modestes, une fois payées les dépenses fixes (logement, cantine, transport) et la connexion triple play à 30 euros par mois, il ne reste plus que 50 euros mensuels pour l'habillement, les loisirs, les vacances et le téléphone mobile. Alors que la connexion à internet représente 40% du reste à vivre des ménages modestes, elle ne représente que 2% de celui des ménages riches, soit un rapport de 1 à 20. D'ailleurs, les associations de lutte contre l'exclusion ainsi que les conseils généraux présents dans le groupe de travail constatent que le nombre d'aides demandées pour payer les factures de télécommunications est en augmentation. "Avec le gap annoncé entre ce que les personnes en situation de fragilité sociale peuvent payer et ce qui est proposé, il faudrait que des tiers puissent financer une partie. Les collectivités pourraient aussi contribuer, comme ce qui a été fait dans l'Eure", a conclu le président de l'Afutt. Il est cependant évident que les collectivités seules ne pourront financer 4,5 millions d'offres sociales. Il pourrait par ailleurs être envisagé d'élargir le service universel des communications électroniques (aujourd'hui réservé seulement à la téléphonie fixe) à l'internet haut débit. Comme le détaille le Centre d'analyse stratégique dans son récent rapport sur le fossé numérique, cet élargissement ne sera possible que si des modifications juridiques sont apportées à la loi et à la directive communautaire "qui n'intègre pas aujourd'hui les services internet à haut débit dans son champ". La Commission européenne a justement lancé, le 2 mars 2010, une consultation publique visant à déterminer les conditions d'un tel élargissement à l'ensemble de l'Union européenne.
Luc Derriano / EVS
Projets de l'Eure et des Deux-Sèvres
Le conseil général de l'Eure, en partenariat avec la Fondation d'entreprise Free, Microsoft France et la Délégation aux usages de l'internet, a souhaité mettre à disposition des ménages à revenus modestes un "pack" contenant une connexion internet à domicile, un ordinateur reconditionné et une formation aux usages numériques. Ce pack coûtait 10 euros par mois pendant un an, et a été mis en place pour 60 personnes isolées et familles à faibles ressources de la commune de Gaillon (27). L'ensemble du projet a été porté par l'espace public numérique Condorcet du centre social de Gaillon. "Sur les 60 bénéficiaires, 30 ont abandonné au bout d'un an quand le coût est passé de 10 à 30 euros. La véritable bataille est donc bien autour d'un accès à 10 euros !", a témoigné Janick Léger.
En s'appuyant sur l'évaluation du projet de Gaillon, le conseil général des Deux-Sèvres développe un projet du même type à destination des personnes en structures d'insertion par l'activité économique (SIAE). Ce projet, initié en 2010, vise à équiper et former 3.000 salariés en structures d'insertion sur trois ans.
De nombreuses autres expériences de connexion à internet à bas coût sont développées depuis 2006 : des bailleurs et collectivités ont connecté des habitants de logement sociaux à Dunkerque, Angers, Poitiers et Châtellerault, Brest (Internet pour tous à Kerourien), Cannes, Lorient, Toulon, Paris, Saint-Etienne, Nantes et Rennes, avec différents montages et technologies.
L.D.