Archives

Europe - SSIG : "Les collectivités doivent jouer le jeu du mandatement"

Plus de 60.000 opérateurs de services locaux vont devoir se mettre au diapason du "mandatement" exigé par le droit communautaire. Mais Bruxelles doit aussi assouplir ses mesures draconiennes, estime un rapport de l'Assemblée nationale, premier du genre sur les SSIG.

A quelques jours des élections européennes, la question des SSIG (services sociaux d'intérêt général) refait surface à la faveur d'un important rapport de l'Assemblée nationale qui vient d'être versé à ce lourd dossier. Les quatre députés auteurs du rapport (Christophe Careshe, Pierre Forgues, Robert Lecou, Valérie Rosso-Debord) recommandent que les futurs commissaires européens prennent position sur la question des SSIG devant les commissions du prochain Parlement européen, dans le cadre des auditions préalables à leur prise de fonction. Une façon de relancer le débat sur l'incertitude juridique qui continue de peser sur ces services et, plus généralement, sur les SIEG (services d'intérêt économique général). Après une série de rapports assez techniques, dont celui de Michel Thierry, l'Inspecteur général des affaires sociales, c'est la première fois que la représentation nationale s'empare de ce sujet délicat. Pour Laurent Ghékière, représentant de l'Union sociale pour l'habitat auprès de l'UE et membre du collectif SSIG qui a milité en ce sens, c'est déjà "une victoire". "Jusque-là le débat était verrouillé par les technocrates, le gouvernement, mais il n'y avait pas de caution politique", estime-t-il. Le texte est également publié dans la foulée du rapport de "juste compensation" remis par la France à la Commission en mars dernier et que Localtis s'est procuré (voir document joint). Ce rapport gouvernemental a pour but de dresser le bilan de l'application du paquet "Monti-Kroes", du nom d'une décision de Bruxelles de 2005. Concrètement, le paquet Monti-Kroes autorise certaines aides dès lors qu'existe un "mandatement", c'est-à-dire une obligation de "prester". Mais, en parallèle, il impose un contrôle de juste compensation. Autrement dit, les aides ne doivent servir qu'à couvrir le coût du service public. Au-delà, elles fausseraient le jeu de la concurrence. Selon les députés, ce régime "apparaît certes légitime au nom des principes de transparence et de contrôle démocratique, mais également très lourd". "Il implique une compétence juridique, de gestion et de comptabilité analytique qui n'est à la portée que des opérateurs et des collectivités d'une certaine taille", estiment-ils. Plus de 36.000 collectivités territoriales et 60.000 opérateurs locaux de services de proximité, dont plus de la moitié opère dans le secteur social, sont concernés, rappellent encore les députés. Encore que la Commission vise les subventions les plus importantes, ou à tout le moins celles de plus de 200.000 euros (en vertu du principe de minimis) ; un seuil porté à 500.000 euros jusqu'à la fin 2010 dans le contexte de crise. 

 

Un "de minimis social"

Sur la base des rapports de "juste compensation" remis par chaque Etat, la Commission décidera d'ici la fin de l'année d'aménager ou non les règles en vigueur. Mais en attendant, les collectivités et leurs prestataires s'exposent à un risque de contentieux au titre d'une atteinte à la concurrence. Dans un projet de résolution, les députés demandent à la Commission d'assouplir l'application du paquet Monti-Kroes et de clarifier la notion d'atteinte à la concurrence. Plusieurs problèmes se posent en effet. En France, où le secteur social est très développé, le mandatement n'existe pas en tant que tel. La plupart du temps, il suffit à la collectivité de donner son autorisation à une association pour qu'elle remplisse sa mission, suite à quoi elle décide de lui accorder une subvention. Ce qui vaut pour une crèche par exemple. Deuxième problème : le contrôle de compensation n'a jamais été appliqué. "C'est l'un des principaux reproches que l'on peut faire au rapport remis par la France, par ailleurs très ambitieux : il ne reconnaît pas que ce calcul n'existe pas", fait remarquer Laurent Ghékière. Pour sortir de cet imbroglio, le collectif SSIG suggère de jouer sur deux tableaux : la Commission et les collectivités. S'il est demandé à la Commission de se montrer plus clémente et d'alléger son contrôle, comme le préconise le rapport des quatre députés, les collectivités doivent aussi faire un effort, au risque, sinon, de se mettre dans l'illégalité. "Il faut inciter les collectivités à jouer le jeu du mandatement qui est incompressible : il faut définir les missions, les obligations et les paramètres de compensation pour tout nouveau service créé", avertit Laurent Ghékière. Une question qui se pose aujourd'hui avec acuité pour la mise en place de service de formation professionnelle par les conseils régionaux. Selon le collectif, il suffit pour la collectivité de prendre une délibération en ce sens, à l'image de la ville de Bègles qui a été la première à franchir le pas pour son Plie (programme local d'insertion par l'emploi). Les députés proposent une troisième piste : créer un "de minimis social", avec un plafond spécifique aux SSIG. En attendant la prise de position de la Commission, un autre rendez-vous attend les services sociaux : la transpotion de la directive Services qui, elle aussi, doit intervenir avant la fin de l'année. L'enjeu : établir une ligne de démarcation claire entre SIEG dérogeant aux règles de concurrence et services purement commerciaux relevant du marché intérieur.

 

Michel Tendil