Sociétés de coordination HLM : où en est-on à quatre mois de l'échéance ?
La loi Elan prévoit deux formes de restructuration pour les organismes HLM gérant moins de 12.000 logements : la fusion ou la création d'une société de coordination. Les deux premières sociétés ont rapidement vu le jour, avant le brutal coup de frein de la crise sanitaire, suivi d'une reprise après le déconfinement. Mais l'échéance du 1er janvier semble désormais très difficile à tenir. Le point avec Jean-Christophe Margelidon, directeur général adjoint de la Fédération des offices publics de l'habitat (FOPH).
En février dernier, la FOPH (Fédération des offices publics de l'habitat) annonçait l'agrément de la première société de coordination (voir notre article du 18 février 2020), officialisé par un arrêté ministériel d'agrément du 31 janvier 2020. Il s'agissait en l'occurrence de la société "Immobilière Terres Océan", regroupant l'OPH de l'agglomération de La Rochelle, la Semis (Société d'économie mixte immobilière de Saintonge), l'OPH de l'Angoumois et Rochefort Habitat Océan. Quinze jours plus tard, un autre arrêté, en date du 18 février, prononçait l'agrément d'une seconde société de coordination, basée à Limoges : "Alliance Offices Habitat", regroupant Limoges Habitat et Saint-Junien Habitat.
Une dynamique bien partie...
La loi Elan (portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018 fixe en effet au 1er janvier 2021 la date limite théorique pour la restructuration – fusion ou création d'une société de coordination – des organismes HLM gérant moins de 12.000 logements. À quatre mois de l'échéance, Localtis fait le point sur la mise en œuvre des sociétés de coordination, désormais encadrées par plusieurs textes réglementaires (voir notre article du 3 septembre 2019).
Pour Jean-Christophe Margelidon, directeur général adjoint de la FOPH (Fédération nationale des offices publics de l'habitat), aucun doute : la réforme est bien en train de prendre. "Même si l'initiative en la matière relève uniquement des organismes concernés, on essaie de suivre celles qui s'immatriculent auprès du greffe avant de demander l'agrément et ne sont donc pas forcément visibles à ce stade."
Outre les deux sociétés de coordination déjà agréées, cinq ou six autres projets étaient déjà bien avancés avant l'irruption du Covid-19 : "Il s'agit principalement d'OPH, mais d'autres types d'organismes sont également parties prenantes", explique Jean-Christophe Margelidon. "C'est le cas dans le Morbihan, où la société de coordination devrait regrouper trois OPH du département. À l'inverse, un autre projet est en train de se monter en Normandie avec cinq SA d'HLM. En Pays de la Loire, une société de coordination devrait être mixte, avec deux OPH et une SA. Dans l'Est, la société de coordination du Sillon vosgien devrait réunir également des organismes de statut différent. On peut citer aussi Reims Habitat, qui se ferait à périmètre constant. Sans oublier un projet d'ampleur nationale : Habitat, Aménagement et Coopération des territoires (HACT), qui doit réunir une vingtaine de SEM immobilières sur tout le territoire".
... qui s'est heurtée à la crise sanitaire et au report des municipales
La pandémie de Covid-19 et le confinement sont venus tout chambouler. D'autant plus que la pandémie a entraîné, dans de nombreuses communes, le report du second tour des élections municipales au 28 juin, retardant d'autant les décisions en la matière. Autre conséquence de l'état de crise sanitaire : la DUHP (direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages) n'était plus tenue d'instruire les demandes d'agrément dans le délai initialement prévu de moins de trois mois. Aucun agrément de société de coordination n'est ainsi intervenu entre l'agrément d'"Alliance Offices Habitat", le 18 février et le déconfinement, le 11 mai.
À quelques jours de cette date clé, un agrément du 6 mai a toutefois entériné la création de la société de coordination uniTER, basée à Saint-Nazaire, et qui regroupe Atlantique Habitations (SA), Habitat 44 (OPH) et Silène (OPH). Comme les deux précédentes et l'ensemble des sociétés de coordination, celle-ci est agréée pour l'exercice de son activité sur l'ensemble du territoire national.
Comme prévu avant le confinement, Morbihan Habitat a suivi quelques jours plus tard, avec un arrêté du 30 mai. La société, basée à Vannes, regroupe les trois bailleurs sociaux du département : Bretagne Sud Habitat, Lorient Habitat et Vannes Golfe Habitat. Deux autres sociétés de coordination ont suivi à leur tour en juin : Habitat Lorrain à Saint-Dié-des-Vosges (Office métropolitain de l'habitat du Grand Nancy, Toul Habitat, Le Toit Vosgien, OPH de Lunéville à Baccarat) et Territoire et Habitat Normand à Caen (La Caennaise, Les Foyers Normands, Logéal Immobilière, SA HLM du Cotentin, Siloge).
Deux sociétés de coordination de grande ampleur
Un arrêté du 29 juillet crée, pour sa part, une société de coordination particulière par son ampleur et son implantation territoriale : Habitat Aménagement et Coopération des territoires (HACT France), dont le siège est à Paris. Celle-ci regroupe en effet pas moins de 19 SEM, réparties sur tout le territoire – ce qui en fait la première société de coordination à vocation véritablement nationale –, gérant 22.060 logements (de 137 à 3.174 selon les SEM adhérentes) et réalisant un chiffre d’affaires total de 139 millions d’euros avec 442 salariés en ETP. Selon Frédérique Calandra, alors présidente de la commission logement de la Fédération des entreprises publiques locales (EPL), la création de cette société de coordination va conduire les SEM concernées "à faire sensiblement évoluer leur modèle économique tout en confirmant leur plus-value consacrée pour la première fois dans la loi, à savoir l’exercice d’activités complémentaires leur permettant d’apporter aux territoires la réponse globale en matière d’habitat dont ils ont besoin".
Un arrêté pris le même jour que celui de HACT France crée également une autre structure hors norme : Habitat Réuni, dont le siège est aussi à Paris et qui regroupe 19 entreprises sociales pour l'habitat (ESH), réparties dans dix régions, ce qui en fait le cinquième opérateur HLM par le nombre de logements gérés. Parmi les 19 adhérents, seules huit sociétés étaient légalement tenues de se regrouper en application de la loi Elan. Autre particularité : Habitat Réuni existe en réalité depuis 2011, puis s'est renforcée en 2017, avant de se ranger sous le régime de la société de coordination ouvert par la loi Elan.
Les affaires reprennent en été
Enfin quatre arrêtés d'agrément ont été signés au mois d'août, pour des sociétés de coordination au format plus habituel : Val de France - L'habitat des territoires à Bourges (Val de Berry (OPH du Cher) et Montluçon Habitat), Angers Loire Territoire Habitat Immobilier à Angers (Angers Loire Habitat et Soclova), Idelians à Dijon (Domanys, OPH de l’Yonne et Orvitis) et la société de coordination du territoire de l'eurométropole de Strasbourg (Ophéa, Habitation Moderne, le Foyer Moderne).
"La FOPH est favorable à des projets ambitieux", affirme Jean-Christophe Margelidon. "Nous sommes intimement convaincus que les sociétés de coordination sont un processus évolutif." Il apparaît que de grands organismes HLM, gérant plus de 12.000 logements et donc non tenus à un regroupement, sont également intéressés par les possibilités de mutualisation offertes par les sociétés de coordination, comme le montrent certaines opérations réalisées ou en cours.
Globalement, le déploiement des sociétés de coordination se passe ainsi sans anicroche majeure, même s'il est désormais douteux que l'échéance du 1er janvier 2021 soit réellement respectée.
Caractère "In House" et "dimension concentrative"
Jean-Christophe Margelidon signale néanmoins deux failles ou interrogations imprévues, qui n'avaient pas été anticipées lors de l'élaboration de la loi Elan et de ces textes d'application.
"La première concerne le caractère 'In House' du dispositif, autrement dit la question des contrats de prestations intégrées, qui sont exclus du champ d'application du code des marchés publics. Or qu'en est-il lorsqu'un organisme HLM participant à une société de coordination fait appel à cette dernière ? Pour que cela soit considéré comme In House, il faut qu'il y ait 'contrôle analogue', c'est-à-dire que le pouvoir adjudicateur – en l'occurrence l'organisme HLM – exerce sur le prestataire – en l'espèce la société de coordination – un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services. Il faut aussi que la société de coordination travaille essentiellement pour ses actionnaires, autrement dit les entités qui la composent. On est en train d'analyser cette question et ses éventuelles conséquences."
"La seconde interrogation concerne le droit de la concurrence. On s'est en effet rendu compte qu'il y avait là un sujet vis-à-vis de l'Autorité de la concurrence. Il porte sur la question de la 'dimension concentrative'. Un concept propre à l'Autorité de la concurrence, mais qui pourrait aboutir à ce que, dans certaines circonstances, la création d'une société de coordination soit considérée comme une fusion de fait. Nous avons interrogé l'Autorité de la concurrence sur ce sujet, mais celle-ci ne peut répondre qu'au cas par cas, en fonction du projet et du contexte. En tout état de cause, il y a nécessité de s'interroger sur ce point pour chaque dossier de création d'une société de coordination."
Vers un report à 2022 ?
Au 1er septembre 2020, on dénombre donc douze sociétés anonymes de coordination agréées, regroupant près de 70 organismes. D'autres projets sont encore en gestation sur l'ensemble du territoire, par exemple en Isère. La situation est plus compliquée en Île-de-France, région soumise en plus aux effets de la réorganisation du Grand Paris. De grands OPH sont cependant intéressés par la création de sociétés de coordination, tout particulièrement dans les départements de la petite couronne.
Mais, en tout état cause, on est encore loin du compte. Dans une interview à Localtis il y a un an, Marcel Rogemont, le président de la FOPH, indiquait en effet que "plus de 80% des OPH sont effectivement engagés dans une démarche de rapprochement".(voir notre article du 23 septembre 2019). Mais, avec l'état de crise sanitaire et ses conséquences, le respect de l'échéance du 1er janvier 2021 apparaît désormais des plus improbables. Il l'est d'autant plus que, si on s'en tient au délai d'instruction de trois mois par la DUHP, les dossiers de demande d'agrément doivent être déposés avant le 30 septembre.
Consciente de cette situation, l'USH (Union sociale pour l'habitat) et la FOPH ont d'ailleurs demandé, le 23 mars et le 14 avril dernier, un report exceptionnel au 1er janvier 2022 des obligations de rapprochement des petits organismes HLM (fusion ou création d'une société de coordination). Le gouvernement n'a pas encore pris officiellement position sur ce point mais, dans le contexte exceptionnel de l'année 2020, on imagine mal la ministre déléguée en charge du logement utiliser les dispositions du code de la construction et de l'habitation pour mettre en demeure les organismes retardataires.