Santé : le Sénat tire un bilan mitigé des outils de coordination entre acteurs de terrain
Communautés territoriales professionnelles de santé, groupements hospitaliers de territoire, plateformes territoriales d'appui... à la veille de l'arrivée du projet de loi Santé au Sénat, les rapporteurs du texte proposent un bilan de la façon dont les acteurs de terrain se sont appropriés ces outils mis en place par la loi de 2016. Ce bilan est nuancé.
Après l'Assemblée nationale, qui a adopté en première lecture, le 26 mars, le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé (voir nos articles ci-dessous des 14, 21 et 25 mars 2019), le Sénat se prépare à son tour à examiner le texte en séance publique du 3 au 11 juin. Dans ce cadre, les trois rapporteurs du texte - Yves Daudigny (Socialiste), Catherine Deroche (LR) et Véronique Guillotin (RDSE) - ont présenté une communication commune sur "l'organisation territoriale de la santé". Il s'agit en fait de la restitution de travaux menés au nom de la Mecss (Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale), engagés avant même le dépôt du projet de loi.
"Un décalage paradoxal"
Selon le communiqué publié par le Sénat, "ce travail dresse un premier bilan de la façon dont les acteurs de terrain s'approprient les outils de coordination territoriale mis en place par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. Il s'agit notamment des communautés territoriales professionnelles de santé (CPTS) et des groupements hospitaliers de territoire (GHT), dont le projet de loi en cours d'examen fait les piliers de la 'transformation' souhaitée de notre système de santé". La mission s'est plus spécialement centrée sur "les outils et dispositifs destinés à organiser la coordination entre les acteurs au niveau des territoires issus des derniers textes législatifs".
Tout en soulignant que "l'inscription dans un exercice coordonné [est], de l'avis unanime des personnes que nous avons rencontrées, un argument décisif pour l'installation des nouvelles générations de professionnels", les trois sénateurs font le constat récurrent d'une offre de soins "fragmentée et cloisonnée". Ils relèvent notamment "un décalage paradoxal entre le besoin ressenti de coopération, la pléthore d'outils juridiques existant 'sur le papier', et le manque de réponses apportées pour aider concrètement les acteurs à construire une vraie coopération au service d'un territoire".
Oui aux CPTS, mais des coordinations à simplifier
Ce constat d'ensemble pour le moins mitigé n'empêche pas une perception un peu plus positive des différents outils mis en œuvre. Ainsi, la mission juge les CPTS "particulièrement utiles à la prise en charge des patients complexes, pour lesquels doivent être mobilisées des ressources à la fois médicales et sociales".
Pourtant complémentaires des CPTS, les équipes de soins primaires (ESP) - centrées sur les généralistes - n'ont pas connu le même succès et "peinent encore à trouver leur modèle". Pour 61 CPTS fonctionnant de façon "mature" et 224 en projet, les ARS ne dénombrent en effet que 13 ESP en fonctionnement et 38 en phase de constitution. Les trois sénateurs précisent que "la réussite de ces initiatives tient toujours à la force de volonté et à la ténacité de leurs instigateurs, dont il faut saluer l'engagement - mais aussi au soutien apporté par les équipes locales d'une ARS". D'où la recommandation de mettre un recueil de bonnes pratiques à disposition des porteurs de projets. Mais la mission souligne également la nécessité - du moins à ce stade - de ne pas figer ces dispositifs par un cahier des charges commun à l'ensemble des CPTS, mais souligne au contraire "l'absolue nécessité de conserver un cadre juridique souple à la main des professionnels, qui leur permette de s'en saisir sur une base volontaire et avec les marges suffisantes pour l'adapter aux besoins de leur territoire".
La mission est en revanche moins convaincue par un autre dispositif d'appui à la coordination des professionnels de santé issu de la loi de 2016 : les plateformes territoriales d'appui (PTA), prévues à l'échelon départemental et qui sont des regroupements de coordonnateurs visant à offrir une prestation de service à destination des professionnels et des familles. Les trois sénateurs estiment en effet que "l'enchevêtrement de ces dispositifs d'appui, qui fonctionnent à une échelle territoriale souvent différente de celle des CPTS, entretient un sentiment de confusion bien compréhensible des professionnels de santé", d'autant que les PTA s'ajoutent à d'autres dispositifs de coordination préexistants, comme le Clic et les Maia. La mission plaide donc soit pour fusionner les différents dispositifs de coordination, soit pour "faire des PTA des outils véritablement à la main des CPTS et [...] revoir leur maillage territorial en ce sens".
GHT : encore un peu tôt pour un bilan
À propos des soins hospitaliers, la mission s'est concentrée sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT), obligatoires depuis la loi de 2016 et aujourd'hui au nombre de 136. La mission souligne certes la grande hétérogénéité de situations - de 2 à 20 établissements par GHT, pour une population couverte de 100.000 à 2,5 millions d'habitants -, mais celle-ci était prévue dès le départ et reflète la diversité sociodémographique des contextes locaux.
Cette diversité des situations "se traduit par une grande diversité des expériences vécues par les établissements publics parties aux GHT". Selon la mission, certaines difficultés tiennent aussi à des "périmètres inadaptés". De façon plus large, aussi bien sur ce qui concerne la coopération entre établissements que les relations avec la médecine de ville - sujet présent dans le projet de nombreux GHT -, la mission estime qu'"il n'y a pas, au stade où nous en sommes, de leçon homogène à tirer de la mise en place des GHT".
Les trois sénateurs estiment néanmoins que "si les GHT présentent, c'est incontestable, un intérêt réel pour organiser des filières de soins graduées et développer la notion d'équipes médicales de territoire avec la mise à disposition des ressources de l'établissement support auprès des autres sites, la réalité perçue est souvent celle d'une captation ou d'un siphonage des ressources par l'établissement support".