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Patrimoine - Rénovation urbaine et patrimoine mondial : le mélange peut être explosif

Si l'affaire n'est pas exempte d'un petit côté "Clochemerle", elle n'en est pas moins représentative des relations parfois tendues entre les élus locaux et les architectes des bâtiments de France (ou les responsables des chantiers d'archéologie préventive). Elle confirme aussi que le classement au patrimoine mondial de l'Unesco n'a pas que des avantages, mais engendre un certain nombre de contraintes, comme Bordeaux l'a déjà appris à ses dépens (voir notre article ci-contre du 11 juin 2008).
En l'occurrence, Guy Delcourt, député-maire de Lens, s'est vu sommer par un arrêté du préfet du Pas-de-Calais, de faire cesser immédiatement la démolition, déjà bien engagée, de l'ancien logement du directeur d'une école de la cité minière, inscrit à l'inventaire des monuments historiques. A l'origine de cette situation inhabituelle - un maire lançant les pelleteuses à l'assaut d'un bâtiment inscrit - figure un conflit entre la mairie et l'architecte des bâtiments de France (ABF), concernant un quartier de la ville. Lens souhaite en effet engager la rénovation de la cité 12, implantée dans le quartier du bassin minier. Mais, dans le cadre de la candidature du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l'Unesco - retenue par le gouvernement français au début de l'année (voir notre article ci-contre du 26 janvier 2010) -, 69 nouveaux sites miniers ont été inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, car ils servent de support à la candidature (voir notre article ci-contre du 23 juin 2009). L'ABF responsable du secteur de Lens a donc émis un avis défavorable à l'opération de rénovation de la cité 12. Mais, au-delà de la décision, le maire de Lens a surtout très mal pris les attendus de l'avis. Celui-ci indique notamment que la destruction des bâtiments ferait "perdre son identité à la commune". Pour Guy Delcourt, il est "insultant de dire qu'en démolissant, nous détériorons l'image de la ville". En représailles, il a donc envoyé les pelleteuses s'attaquer à l'ancien logement du directeur d'école, lui aussi inscrit.
Le maire de Lens s'est finalement rangé à l'arrêté préfectoral et a fait aussitôt interrompre la démolition de ce bâtiment. Mais il assume pleinement sa décision, tout en affirmant n'être "pas un terroriste, mais un légaliste". La destruction d'un monument inscrit ou classé est en effet passible de poursuites pénales. Le conservateur régional des monuments historiques est d'ailleurs venu constater, le 19 août, les travaux de démolition et a dressé un procès-verbal pour "démolition sans autorisation", aussitôt transmis au procureur de la République. De son côté, le maire de Lens entend poursuivre le combat, tout en regrettant qu'il n'y ait pas eu davantage de concertation préalable de la part de l'ABF et de la préfecture. Le maire considère qu'il appartient désormais à l'Etat d'assurer la protection du site, où le bâtiment à moitié démoli menace la sécurité des enfants. A défaut, il annonce son intention d'interdire la rentrée scolaire dans l'école attenante qui est, elle, toujours en activité.
Au-delà de l'anecdote, l'affaire de Lens illustre une évolution à l'œuvre depuis plusieurs années et qui pourrait bien susciter de nouveaux incidents. Lorsque l'Unesco inscrivait uniquement des grands bâtiments emblématiques, la question ne se posait pas : il ne viendrait à personne l'idée de lancer des pelleteuses à l'assaut du château de Versailles ou du Mont-Saint-Michel (ou de la cathédrale d'Albi, inscrite cet été au patrimoine mondial)... Mais, depuis quelques années, l'Unesco inscrit aussi des lieux de vie ou de mémoire qui valent davantage par ce qu'ils rappellent et ce dont ils sont porteurs que par leur valeur architecturale intrinsèque (comme les bagnes australiens, inscrits cette année). De tels cas de figure présentent un risque inévitable de contradiction entre le souci de préservation de lieux et de bâtiments riches en mémoire mais peu spectaculaires et la volonté des autorités locales d'offrir aux habitants un cadre de vie et un environnement rénovés.

 

Jean-Noël Escudié / PCA