Patrimoine - Malgré l'Unesco, Bordeaux décide de lancer son pont
A une très large majorité (108 voix pour, 11 abstentions et une seule voix contre), les élus de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) ont adopté, le 4 septembre, une délibération autorisant la signature immédiate de l'ordre de service permettant l'engagement des travaux de construction du pont de Bacalan Bastide, du nom des deux quartiers que l'ouvrage va relier. Il s'agira d'un pont levant spectaculaire, à l'image de celui récemment inauguré à Rouen : 2x2 voies pour les voitures, des voies tramways, vélos et piétons, 426 mètres de long et 43 mètres de large, quatre tours de 81 mètres de haut, 36 mois de travaux, un budget prévisionnel de 120,6 millions d'euros (valeur 2004)...
Cette décision marque une étape essentielle pour un projet qui remonte à plus de dix ans et a connu de nombreuses hésitations. Mais, au-delà des aspects techniques et financiers, la décision de construire ce pont marque aussi une prise de risque importante au regard du classement de Bordeaux - et plus précisément du quartier du Port de la Lune - au Patrimoine mondial de l'Unesco. Classée le 28 juin 2007 (voir notre article ci-contre du même jour), Bordeaux vient en effet de vivre deux années délicates. Dès 2008, l'inscription a en effet été remise en cause par le comité du Patrimoine mondial de l'Unesco, bien décidé à reprendre en main la gestion du patrimoine par les sites distingués. En juin 2008, la ville a ainsi été placée en "suivi renforcé". Un obstacle a cependant été levé avec le classement in extremis de la passerelle Eiffel, que la ville envisageait de détruire après sa désaffectation par la SNCF (voir notre article ci-contre du 12 mai 2009). Mais il restait le projet de pont Bacalan Bastide. Lors de sa réunion à Séville, à la fin du mois de juin, le comité du Patrimoine mondial a finalement renoncé à sanctionner Bordeaux, en attendant des précisions complémentaires. Le 21 juillet, le conseil municipal de Bordeaux a adopté une délibération qui n'apporte pas vraiment d'éléments nouveaux et donne un avis favorable à la CUB pour lancer les travaux. La ville a donc choisi de prendre le risque d'un déclassement. Celui-ci n'est pas une simple hypothèse, même si rien n'est encore joué : lors de sa session de Séville, le comité mondial a en effet rayé la ville de Dresde de sa liste pour avoir, elle aussi, laissé construire un pont autoroutier (achevé) en plein secteur inscrit. Une décision qui sonne comme un avertissement.
Au-delà de l'impact négatif d'un éventuel déclassement, la construction du pont pourrait, en elle-même, nuire au tourisme. Malgré les affirmations de la CUB sur ce point, les navires de croisière sont en effet très réticents au franchissement de ce type d'ouvrage, par crainte de rester bloqués. La ville de Rouen en fait l'expérience avec son pont levant qui ne se lève pratiquement jamais et a conduit à agrandir les installations portuaires en amont du pont en venant du Havre et à choisir un tunnel pour le futur franchissement ferroviaire. Cette situation pourrait toutefois être perçue favorablement par l'Unesco, qui demandait "d'étudier des solutions alternatives qui n'incluraient pas le transit de grands bateaux de croisière en face des zones historiques, permettant seulement à des bateaux plus petits d'accéder au port, afin de limiter l'impact visuel sur le lieu, ainsi que de considérer le transfert de la zone de mouillage des grands bateaux de croisière en aval de l'emplacement proposé".
Jean-Noël Escudié / PCA