Culture - Inscription au Patrimoine mondial : Bordeaux découvre le revers de la médaille
L'inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco intéresse un nombre croissant de collectivités ou groupements de collectivités, attirés par le prestige que procure ce classement et par son impact immédiat sur la fréquentation touristique. Mais ces attraits indéniables trouvent leur contrepartie dans des contraintes importantes, que l'on a parfois tendance à oublier. La ville de Bordeaux vient d'en faire l'amère l'expérience.
En même temps qu'il accueillait sur sa liste deux nouveaux sites français - les forteresses de Vauban et les lagons de Nouvelle-Calédonie (voir notre article ci-contre) - le Comité du patrimoine mondial de l'Unesco, réuni à Québec du 2 au 10 juillet pour sa session annuelle, menaçait d'en radier le site de Bordeaux-Port de la Lune, pourtant inscrit l'année précédente. Le motif de cette menace : une double affaire de ponts. Le comité reproche tout d'abord à Bordeaux de n'avoir pas réagi face au projet de Réseau ferré de France (RFF) de détruire la passerelle ferroviaire Saint-Jean qui traverse la Garonne. Si son intérêt esthétique est limité, cette passerelle présente la particularité d'avoir été bâtie en 1860 par Gustave Eiffel, dont elle fut l'un des tout premiers chantiers. RFF, qui a construit entretemps un nouveau pont ferroviaire, entendait détruire cet ouvrage devenu inutile. Tout en regrettant cette décision, la ville de Bordeaux ne s'y est que très mollement opposée, faute d'un montage financier viable pour préserver l'ouvrage. Face aux menaces de l'Unesco, celui-ci a finalement été sauvé in extremis : le 27 juin, tandis qu'Alain Juppé et le directeur du patrimoine du ministère de la Culture recevaient un représentant du Comité du patrimoine mondial, l'Etat plaçait la passerelle en instance de classement sur la liste des monuments historiques (en même temps que les cales sèches des bassins à flots). Selon une étude de la mairie remise au représentant de l'Unesco, la restauration de la passerelle Saint-Jean pourrait atteindre un coût compris entre 16,2 et 22,3 millions d'euros...
Mais ce sauvetage de dernière minute n'a pas suffi à calmer l'irritation du comité. En effet, en décembre dernier - c'est-à-dire quelques mois seulement après son inscription au patrimoine mondial - la ville a laissé détruire le pont du Pertuis, un ouvrage d'art situé dans le périmètre de l'inscription Unesco. Or cet ouvrage constituait le dernier exemple français de pont tournant à culasses. Devant ce double incident, le Comité du patrimoine mondial a menacé de retirer Bordeaux de sa liste. Il a finalement décidé, le 5 juillet, de placer la ville "sous tutelle". Plus précisément, le comité a mis sur pied une mission technique qui sera notamment chargée d'évaluer l'impact visuel du futur pont levant qui doit remplacer le pont du Pertuis. Le comité réexaminera le dossier de Bordeaux lors de sa prochaine session en juillet 2009. Si les choses n'ont pas évolué favorablement, la ville pourrait être retirée de la liste du Patrimoine mondial. En tout état de cause, cette affaire tombe très mal alors que Bordeaux est candidate au titre de capitale européenne de la culture 2013 et que la décision doit être prise par le jury européen le 1er septembre prochain.
D'autres sites sont également confrontés à la même situation. C'est le cas en particulier de la ville de Dresde, qui envisage de construire un nouveau pont en plein coeur de son quartier historique, de Saint-Pétersbourg où Gazprom projette d'édifier une tour ou encore du site de Macchu Pichu au Pérou, dégradé par un afflux mal maîtrisé de touristes. Comme Bordeaux, Dresde a échappé de peu à la radiation, mais le Comité pour le Patrimoine mondial semble désormais bien décidé à faire des exemples. Pour l'instant, seul un site a effectivement été retiré de la liste en 2007. Il s'agit du sanctuaire de l'oryx arabe (une variété rare de gazelle), situé dans le sultanat d'Oman et qui avait été inscrit en 1994. Le comité a pris cette décision après avoir constaté que les autorités de ce pays avaient réduit de 90% la superficie de la zone protégée.
Jean-Noël Escudié / PCA