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Culture - Avec le classement de la passerelle Eiffel, Bordeaux sauve sa place au Patrimoine mondial

Inscrite au Patrimoine mondial de l'Unesco en juin 2007, la ville de Bordeaux n'a pas tardé à découvrir les contraintes de ce classement, face à un comité du Patrimoine mondial - l'organisme qui délivre le label - de plus en plus attentif aux manquements des sites distingués (voir notre article ci-contre du 11 juillet 2008). Réuni à Québec en juillet 2008, le comité du Patrimoine mondial de l'Unesco menaçait en effet de radier de sa liste le site de Bordeaux-Port de la Lune, pourtant inscrit l'année précédente. Le comité reprochait à Bordeaux de n'avoir pas réagi face au projet de Réseau ferré de France (RFF) de détruire la passerelle ferroviaire Saint-Jean qui traverse la Garonne. D'un intérêt esthétique limité, cette passerelle présente cependant la particularité d'avoir été bâtie en 1860 par Gustave Eiffel, dont elle fut l'un des tout premiers chantiers. La passerelle fut finalement sauvée in extremis de la destruction. Désormais inutilisée à quelques mètres du nouveau franchissement ferroviaire de la Garonne, son avenir demeurait toutefois incertain faute de financements, bien qu'il conditionne la décision finale du Comité.
Cette épée de Damoclès sur le classement de Bordeaux au Patrimoine mondial de l'Unesco est en passe d'être définitivement écartée. La commission régionale du patrimoine et des sites d'Aquitaine (CRPS) vient en effet d'émettre - à l'unanimité moins une abstention - un avis favorable à l'inscription de la passerelle Eiffel au titre des monuments historiques. Le préfet de région devrait donc signer l'arrêté dans les prochains jours et un classement national comme monument historique devrait suivre à moyen terme. Il s'agit là d'un revirement spectaculaire, sous la pression du comité du Patrimoine mondial : en juin 2007, alors que Bordeaux venait d'être inscrite, le dossier de la passerelle Eiffel avait été subitement et sans explication retiré de l'ordre du jour de la CRPS, ouvrant ainsi la voie à sa destruction. Autre bonne nouvelle : le coût de la remise en état de la passerelle - évalué entre 16 et 22 millions d'euros lorsque sa destruction était envisagée - est soudain retombé autour d'une dizaine de millions d'euros après la décision de la conserver. Reste à déterminer l'usage de cette passerelle rénovée. Sa transformation en passerelle pour piétons et vélos semble aujourd'hui l'hypothèse la plus probable.
Bordeaux devrait donc échapper à la radiation de la liste des sites du Patrimoine mondial, prononcée jusqu'à présent à une seule reprise, en 2007, pour le sanctuaire de l'oryx arabe (une variété rare de gazelle) dans le sultanat d'Oman. Bordeaux devra toutefois régler auparavant une autre affaire de pont. En décembre 2007, juste après son inscription au Patrimoine mondial - la ville avait en effet laissé détruire le pont du Pertuis, un ouvrage d'art situé dans le périmètre de l'inscription Unesco et qui constituait le dernier exemple français de pont tournant à culasses. Profondément irrité par ce double incident, le comité du Patrimoine mondial avait alors mis sur pied une mission technique chargée d'évaluer l'impact visuel du futur pont levant qui doit remplacer le pont du Pertuis. Bordeaux devra donc attendre la 33e session du comité du Patrimoine mondial - à Séville, du 22 au 30 juin 2009 - pour être définitivement certaine de son maintien au sein du Patrimoine mondial. En attendant, cette affaire a le mérite d'illustrer les contraintes considérables qui pèsent désormais sur les sites classés au Patrimoine mondial et que les nombreuses collectivités candidates auraient tort de négliger.

 

Jean-Noël Escudié / PCA