Rejets aqueux de PFAS : Générations futures dévoile la cartographie des 146 sites les plus émetteurs
Une étude, publiée ce 1er avril par l’ONG Générations futures, révèle que 146 sites industriels seraient responsables à eux seuls de plus de 99% des rejets aqueux de PFAS quantifiés. Avec entre autres conséquences leur déversement dans des stations d’épuration urbaines, non conçues pour traiter les PFAS.

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"Face à la pollution aux PFAS, tous les acteurs, chercheurs, collectivités, même décideurs politiques, s’accordent sur le fait qu’il faut limiter les émissions à la source, pour vraiment traiter ce problème", relève Pauline Cervan, toxicologue à Générations futures. L’ONG, qui s’était déjà associée à l’UFC-Que-choisir pour pointer la présence massive de ces "polluants éternels" dans l’eau du robinet, s’est donc attelée à identifier les industries les plus émettrices de PFAS, ces substances chimiques nocives qui contaminent durablement l’environnement. Dans une étude, publiée, ce 1er avril, un premier état des lieux est ainsi dressé à partir des données recueillies par les Dreal auprès de 2.700 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
"Jusqu’à présent, très peu, voire aucune information, n’était disponible concernant les émissions de PFAS par les industries françaises. La situation s’est améliorée depuis le 20 juin 2023, date à laquelle l’État a pris un arrêté exigeant que certaines ICPE susceptibles d’utiliser des PFAS mènent une campagne d’analyse dans leurs effluents aqueux", explique Pauline Cervan. Entre 3.800 à 4.000 sites industriels sont en théorie concernés par cette campagne de mesure. Au 25 mars 2025, 2.685 ICPE (environ 70% du total) ont terminé leurs trois campagnes d'analyses obligatoires et transmis leurs résultats, pour a minima les 20 PFAS listés dans la directive cadre Eau potable et un indicateur, appelé AOF, permettant d’estimer le total PFAS émis. Faute de mieux, c’est à partir des données déclaratives accessibles à cette date, que Générations futures a identifié 146 usines responsables à elles seules de plus de 99% des émissions de PFAS en France. Avec une "première alerte" : "un risque important de sous-estimation des émissions". Et pour cause, il y a peu de prélèvements obligatoires (uniquement trois) et la liste des substances recherchées est "trop restreinte", la majorité des ICPE n’ayant d’ailleurs recherché que les 20 PFAS obligatoires, déplore l’ONG. A titre d’exemple, le TFA n’a été recherché que par 10 ICPE (sur 2.685). De même, le 6:2 FTAB, une substance très présente dans les mousses anti-incendies ne fait pas partie de la liste obligatoire. "Toutes les substances PFAS utilisées ou stockées sur les sites industriels devraient être suivies", plaide l’association.
Un nombre limité d’usines fortement émettrices
Premier constat : "Une poignée de sites industriels est responsable de l’écrasante majorité des rejets de PFAS en France." L’étude met en évidence "une réalité préoccupante" : près de 60% des établissements ayant effectué leurs analyses ont détecté des PFAS dans leurs rejets. Mais dans la très grande majorité des cas, les concentrations ou quantités de PFAS mesurées dans les rejets industriels sont "très faibles" (< 1 µg/L ou < 0,1 g/j). Et il est probable que les PFAS retrouvés proviennent de l’eau alimentant l'usine, et non de l’activité industrielle en elle-même.
Au total, 146 établissements ont été identifiés avec des quantités rejetées de PFAS > 1g/j et/ou des concentrations en total PFAS > 25µg/L (c’est-à-dire à la valeur limite d’émissions en vigueur pour le seul PFAS qui est réglementé, à savoir le PFOS). L’étude révèle ainsi que 5,4% des établissements sont responsables à eux seuls de la quasi-totalité des rejets quantifiés de PFAS vers le milieu naturel ou les stations d’épuration urbaines. Sont également identifiés 79 sites supplémentaires présentant un indicateur préoccupant qui nécessitent une surveillance accrue, avec des concentrations en AOF > 500 µg/L ou des flux massiques en AOF > 500 g/j. L’AOF est un indicateur (non spécifique des PFAS) de la quantité totale de fluor organique rejetée pouvant indiquer la présence d'autres PFAS non mesurés. Dans de nombreuses situations, les valeurs d’AOF sont très importantes, et beaucoup plus élevées que le total PFAS qui a été mesuré, indiquant "une sous-estimation possible des rejets en PFAS".
Plusieurs secteurs d’activité au premier plan
Au total, 225 sites sont cartographiés (cochant au moins 1 des 4 critères de concentration retenus). La synthèse de pesticides et de médicaments, le traitement des métaux, les activités de recyclage et de traitement des déchets et l’usage des mousses anti-incendie sont responsables d’émissions importantes. Dans le "top 13" des ICPE particulièrement émettrices (en rouge sur la carte avec plus de 25 g/j ou des rejets très concentrés en PFAS > 200 µg/L) figurent des producteurs de PFAS déjà bien connus comme Arkema à Pierre Bénite, Solvay et le GIE Chimie à Salindres, Chemours à Villers-Saint Paul et Solvay à Tavaux.
D’autres jusqu’alors peu médiatisés sont révélés par l’étude comme Sarrel PNA à Marolles-les-Braults (Pays de la Loire), spécialisé dans le traitement de surface des plastiques, ou Total Energies Raffinage Donges (Pays de la Loire). BASF à Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Normandie), site fabriquant des pesticides PFAS, détient le record français des émissions de PFAS, et d’une substance en particulier, le TFA. Avec un maximum de 176 kg/j émis vers la station d’épuration d’Euroapi qui traite les effluents de BASF et rejette à son tour 87 kg de TFA directement dans la Seine, les rejets de TFA provenant de la plateforme industrielle de Saint-Aubin-lès-Elbeuf sont même supérieurs à ceux de l’usine de Solvay productrice de TFA à Salindres dans le Gard. L’ONG montre également l’existence d'un 3ème "super émetteur" de TFA : l’usine Finorga à Mourenx (Nouvelle Aquitaine), spécialisée dans la synthèse de principes actifs pharmaceutiques. Des mesures complémentaires réalisées à la demande des services de l’État y révèlent des émissions très importantes avec un flux mesuré à 2,2 kg/j (concentration de 50 mg/L), même après avoir réorienté ses effluents contaminés vers un incinérateur. Enfin, l’étude met en évidence cinq établissements pour lesquels la valeur de 25 µg/L a été dépassée pour le PFOS au moins une fois, parfois très largement (exemple site d’Ovako, à Redon en Bretagne, spécialisé dans le traitement de surface des métaux).
"Cette concentration des sources polluantes est à la fois alarmante pour les zones riveraines de ces usines et porteuse d’espoir : en ciblant prioritairement ces sites, nous pouvons réduire drastiquement la contamination", remarque Pauline Cervan.
Les stations d’épuration urbaines en première ligne
Un nombre important d’ICPE émettant des PFAS (575) sont connectées à des stations d’épuration urbaines, non conçues pour traiter les PFAS. "Ces déversements ne font l’objet d’aucune évaluation dans les études d’impact et posent un problème majeur, car ils contribuent à la pollution des sols agricoles à travers l'épandage des boues issues de ces stations", déplore l’ONG. Le risque est par ailleurs important que les industriels détournent leurs effluents liquides vers des incinérateurs non adaptés aux PFAS, "déplaçant ainsi la pollution, afin d’échapper à la surveillance des rejets aqueux". L’association réclame notamment un suivi des rejets atmosphériques des industriels.
D'autres mesures concrètes et urgentes s’imposent, en particulier "des valeurs limites d'émissions strictes pour les PFAS doivent être rajoutées à l’arrêté du 2 février 1998", et "à terme, les rejets de PFAS dans l’environnement interdits". En attendant cette interdiction, l’ONG exige l’application du principe "pollueur-payeur" : au moins 130 ICPE devront s’acquitter de la redevance sur les industriels prévue par la loi adoptée en février dernier. "Le décret définissant les PFAS sur lesquels sera assise l’extension de la redevance pour pollution diffuse doit être pris rapidement et intégrer tous les PFAS qui ont été quantifiés dans les rejets", insiste Générations futures. La redevance sera toutefois insuffisante face au mur d’investissement et de dépenses qui attend l'État et les collectivités et "doit être complétée par d’autres dispositifs", ajoute-t-elle.