Polluants éternels dans l’eau du robinet : une étude UFC-Que Choisir / Générations futures révèle une présence massive

L’UFC-Que Choisir a traqué avec l’appui de l’association Générations futures les PFAS, dits polluants éternels, dans les eaux du robinet de 30 communes de l'Hexagone, ciblant à la fois de grandes agglomérations comme Paris, Lyon et Bordeaux, et des zones rurales pour certaines situées à proximité de sites industriels. L’étude publiée ce 23 janvier, montre l’omniprésence de ces substances chimiques persistantes dans 96% des communes testées, et en particulier du TFA (acide trifluoroacétique) dans des concentrations élevées.

"Il est temps d’agir !" pour remédier à la contamination des eaux du robinet par les PFAS, alertent l’UFC-Que Choisir et l’association Générations futures, dont l’étude commune, dévoilée ce 23 janvier, montre des "résultats préoccupants" dans 96% des communes testées lors d’une campagne de prélèvements réalisée entre juin et novembre 2024. Quasi indestructibles, ces "polluants éternels", qui regroupent plus de 4.700 composés distincts très persistants dans l’environnement, peuvent avoir de graves effets sur la santé (risques accrus de cancers, maladies thyroïdiennes ou de troubles hormonaux) d’après plusieurs études scientifiques. 

Générations futures avait révélé dans une précédente étude présentée en janvier 2023 une présence importante et probablement très sous-estimée par les méthodes d’analyse employées de composés perfluorés dans les eaux de surface. "L’UFC-Que Choisir a de longue date fait des tests comparatifs pour traquer les PFAS dans les poêles anti-adhésives, les vêtements, articles de sport, etc., il nous semblait important de contribuer à mobiliser les pouvoirs publics, mais aussi les consommateurs et les parlementaires sur cette problématique des PFAS dans l’eau du robinet", appuie Olivier Andrault, le chargé de mission alimentation, et ce d’autant que "la réglementation est en pleine évolution". Des réflexions sont en cours au niveau des scientifiques et des différentes structures sanitaires pour améliorer et rendre plus sévères les propositions des différents États membres en la matière et en particulier de la France, explique-t-il.

Le futur seuil français (issu de la directive européenne 2020/2184 révisée) qui s’appliquera à partir de 2026 au plan du contrôle dans les eaux de consommation humaine (EDCH) est de 100 ng/l pour la somme de vingt PFAS. Une norme "bien trop peu protectrice, d’autant qu’elle ne repose sur aucune donnée toxicologique solide", soulignent les deux associations, dont l’étude a passé au crible 33 PFAS dans l’eau potable parmi lesquels les 20 PFAS surveillés au plus tard en 2026 et le TFA (acide trifluoroacétique), un métabolite de pesticides traité à part. 

Une présence généralisée des PFAS dans l’eau du robinet

Au total, 30 prélèvements ont été réalisés à travers la France dans les eaux du robinet de grandes agglomérations comme Paris, Toulouse, Rouen et Amiens ; des villes plus petites (Fleury-les-Aubrais / Loiret) ; des villages (Lavernat / Sarthe) ; des localités potentiellement à risques situées à proximité de sites industriels de production de PFAS que sont Tavaux (Jura) et Moussac (Gard). 

Résultat : l’étude confirme une présence généralisée (29 des 30 prélèvements analysés) mais aucun dépassement. Autrement dit, les concentrations en PFAS (hors TFA) "restent conformes" au seuil français (somme de 20 PFAS spécifiques limitée à 100 ng/l). Et pourtant, certains prélèvements "contiennent un véritable 'cocktail' de molécules", comme à Tours ou à Sotteville-lès-Rouen dans les environs de Rouen, avec respectivement 10 et 11 PFAS différents relevés dans un seul prélèvement, pointe Olivier Andrault. 

De quoi interroger la norme choisie par la France "bien moins stricte que celles d’autres pays" comme les États-Unis ou le Danemark. Avec d’autres points de comparaison, la situation est "moins rassurante"… Avec la norme américaine (4 ng/l pour 2 Pfas), 20% des prélèvements (6 sur 30) dont ceux de Rouen (22 ng/l en PFOS) et Amiens (5 ng/l en PFOS) seraient considérés comme non conformes. Avec la future norme danoise sur les PFAS plus sévère (2 ng/l pour la somme de 4 molécules spécifiques), la moitié des prélèvements (15 sur 30) dépasseraient les seuils admissibles, notamment à Bordeaux (9,5 ng/l) et Lyon (7,1 ng/l). 

Le TFA champion toutes catégories

Le TFA, un PFAS extrêmement persistant toujours non réglementé, a été détecté dans 24 prélèvements sur 30, notamment à Paris ou dans des communes des agglomérations de Poitiers et Orléans. Et plus inquiétant, "les concentrations de TFA détectées excéderaient la limite applicable aux pesticides", une norme de 100 ng/l également applicable aux métabolites pertinents. Les résultats sur le TFA font état de "66% de prélèvements non-conformes", soit 20 prélèvements sur 30. 

Certaines zones affichent en outre des teneurs particulièrement élevées : Paris (10e arrondissement) arrive en tête avec 6200 ng/l ; derrière on trouve Moussac, dans le Gard (13.000 ng/l), proche de la plateforme chimique de Salindres, où une usine du groupe Solvay produisait du TFA jusqu'en septembre dernier, Buxerolles (agglomération de Poitiers) avec 2.600 ng/l et Fleury-les-Aubrais (agglomération d’Orléans), avec 1.600 ng/l. 

Le TFA ne fait actuellement pas partie des PFAS recherchés dans les eaux du robinet en France et n’est que "très peu, pour ne pas dire jamais, recherché par les agences régionales de santé" dans les campagnes d’analyse, regrette l’étude. Et ce bien qu’il présente une toxicité hépatique avérée et un risque potentiel sur la reproduction, précise Pauline Cervan, toxicologue rattachée à Générations futures. 

Le 27 septembre dernier, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a finalement conclu que le flufenacet - un herbicide très utilisé, dont le TFA est l’un des métabolites- est un perturbateur endocrinien. Un argument solide pour Générations futures, qui plaide pour que le TFA soit considéré comme un métabolite pertinent pour l’eau potable, et donc contrôlé. En attendant que l’Anses développe des valeurs sanitaires, le Haut Conseil de santé publique a fourni ses recommandations sur la gestion des PFAS dans l’eau potable (dans un avis mis en ligne le 18 décembre 2024), proposant entre autres de retenir la valeur seuil provisoire de 20 ng/l pour la somme des concentrations des quatre PFAS (PFOA, PFOS, PFNA et PFHxS) dans les EDCH et les eaux minérales naturelles à usage de boisson, en complément de la norme de 100 ng/l pour la somme des 20 PFAS. 

Renforcer les normes

"Si l’on appliquait simultanément les normes danoises sur les PFAS et les seuils français pour les pesticides, plus de 80% des prélèvements (25 sur les 30) ne respecteraient pas au moins l’une de ces exigences", alertent les associations. Avec le TFA, "il n'y a pas de solution miracle à proposer aux consommateurs", car "l'eau en bouteille est aussi contaminée et les filtres ne sont pas efficaces", a aussi souligné Pauline Cervan. La balle est donc dans le camp des pouvoirs publics. Les autorités sanitaires françaises doivent appliquer le principe de précaution par "des normes plus strictes et protectrices basées sur des données scientifiques récentes", insistent les associations à l'initiative de l'étude. Et surtout tabler sur la prévention "en renforçant les contrôles sur les rejets industriels et en interdisant les pesticides classés comme PFAS". 

La proposition de loi du député écologiste Nicolas Thierry visant à protéger la population des risques liés aux PFAS, dont l’examen interrompu par la dissolution à l’issue de la première lecture devrait reprendre à l’Assemblée le 20 février, doit être votée définitivement "sans délai", concluent-elles.