Métabolites de pesticides dans l’eau : une pollution très sous-estimée faute de surveillance, pointe Générations futures
Des dizaines de métabolites de pesticides problématiques pour la qualité de la ressource échappent à la surveillance des autorités dans les eaux souterraines ou l’eau potable, révèle l’association Générations futures, qui déplore dans un rapport dévoilé ce 15 octobre, cette sous-estimation inquiétante de la contamination des nappes phréatiques. Certains leviers d’action sont à la main des collectivités territoriales en particulier dans les aires d’alimentation de captages.
Imprégnant les nappes phréatiques jusqu’aux eaux du robinet, les métabolites issus de la dégradation des substances actives de pesticides dans l’environnement représentent un enjeu crucial dans la contamination de l'eau potable, et pourtant, ils ne sont encore que peu surveillés par les autorités sanitaires. Les pesticides et leurs métabolites sont présents dans 97% des stations de contrôle des eaux souterraines et dépassent les normes dans près de 20% d’entre elles, révélait le journal Le Monde en mai dernier (lire notre article). Ce sont ainsi 10,26 millions de Français qui ont bu en 2022 au moins une fois une eau de qualité non conforme liée à la présence de métabolites. "La partie émergée de l’iceberg ?", s’interroge Générations futures dans un rapport présenté ce 15 octobre.
Car en réalité "peu de métabolites de pesticides sont intégrés dans la surveillance de l’eau potable au regard du nombre très importants de métabolites existants. De plus, lorsque cette surveillance est instaurée, elle intervient souvent tardivement, parfois après l’interdiction des substances actives", souligne Générations futures. Combien de métabolites dangereux échappent encore aux analyses actuelles ?, la question taraude l’ONG qui a investigué en croisant deux listes. La première identifie 188 métabolites - issus majoritairement de substances actives déjà interdites - recherchés par les agences de surveillance au moins une fois entre 2022 et 2023. La seconde cible les métabolites -au nombre de 79 - les plus à risque de dépasser la norme de 0,1 µg/l pour l’eau potable, soit la limite de qualité réglementaire d’après les travaux de l’Anses.
Aucun suivi pour 71% des métabolites à risque
Seulement 23 métabolites sur les 79 identifiés par Générations futures ont fait l’objet d’un suivi dans les eaux en 2022/2023. Au contraire, 56 métabolites à risque de dépasser la norme pour l’eau potable n’ont fait l’objet d’aucun suivi dans les eaux souterraines ou l’eau potable, d’après l’enquête. Et douze d’entre eux sont particulièrement à risque avec des concentrations prédites dans les eaux souterraines très élevées. "Ces métabolites ne proviennent pas de substances actives anodines. Le flufenacet est un perturbateur endocrinien, le triallate est potentiellement génotoxique, le captane est reprotoxique et cancérigène, tout comme le chlorotoluron, le métazachlore est également cancérigène", appuie Pauline Cervan, toxicologue chargée de mission à Générations futures.
Parmi les plus préoccupants le TFA (acide trifluoroacétique), métabolite commun qui appartient à la famille des substances per- et polyfluoroalkylées-PFAS (dont le flufenacet, le PFAS le plus utilisé en France) repéré dans 94% des échantillons d’eau potable en Europe. On y retrouve également le Dipa, métabolite persistant de l'herbicide triallate (autorisé depuis les années 70 et retiré l’an dernier), dont certains usages conduisent à des concentrations calculées dans les eaux souterraines de 42 mg/l soit 420 fois au-dessus de la norme pour l'eau potable. "Les autorités françaises ne peuvent pas ignorer les risques de contamination des eaux souterraines par le TFA", s'indigne l'ONG, arguant des très nombreuses analyses disponibles en Allemagne démontrant sa toxicité probable pour la reproduction.
Une méthode de sélection des molécules à suivre à revoir
Des facteurs d'explications sont présentés. La méthodologie suivie par les agences régionales de santé (ARS) pour le choix des molécules à suivre dans l’eau potable selon les principes généraux établis par la direction générale de la santé (DGS) du ministère de la Santé "n’est pas pertinente", et rend notamment impossible l’intégration de nouveaux métabolites s’ils ne sont recherchés dans aucune matrice (eau potable, eau de surface, eau souterraine). Entre autres, "les propriétés intrinsèques des métabolites concernant leur capacité à persister dans les sols et à lessiver vers les eaux souterraines ne sont pas prises en compte pour sélectionner les métabolites les plus susceptibles d’être présents dans les nappes phréatiques", explique Générations futures. "Il y a probablement un manque de communication entre l'Anses, au courant des risques avant même la mise sur le marché des produits, et les services de la DGS et des ARS chargés du contrôle sanitaire de l'eau potable", soulève-t-elle également.
La non-mise à disposition par les industriels d'étalons analytiques pour de nombreux métabolites freine en outre l'élargissement nécessaire des recherches des métabolites de pesticides dans l’eau. "Suite au rapport du BRGM de 2018 qui alertait déjà sur le défaut de surveillance pour de nombreux métabolites, les laboratoires auraient pu depuis cette date développer des méthodes d’analyse. Encore fallait-il que les autorités chargées du contrôle sanitaire en fassent la demande, ce qui semble ne pas avoir été le cas", étrille le rapport.
Des leviers d’action sur les aires de captage
Générations futures invite donc à "agir immédiatement en améliorant drastiquement la surveillance des métabolites dans l’eau, en sélectionnant mieux les substances à suivre et en obligeant les industriels à fournir tous les étalons analytiques nécessaires". Pour préserver la ressource, l’usage des pesticides dans les aires d’alimentation de captages (AAC) doit être interdit "rapidement", d’ici à 2030, "en commençant par les pesticides dont les métabolites sont très mobiles et prédits à plus de 0,1 μg/l dans les nappes". Une demande d’ailleurs soutenue par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) dans le cadre du plan Écophyto 2030. Certaines mesures du plan Eau - en particulier ciblées sur la protection des captages - sont également toujours attendues. Générations futures encourage aussi l’utilisation des outils à disposition des acteurs locaux (préfets et collectivités), en particulier la définition de programmes d’actions dans les AAC et l’utilisation du droit de préemption urbain.
L’association plaide par ailleurs pour "la relance d’une politique ambitieuse de diminution de l’usage des pesticides en France", en privilégiant "l’indicateur Nodu, bien plus fiable que le HRI1 [retenu dans le nouveau plan Écophyto]". Et pour ce faire appelle à soutenir financièrement les agriculteurs dans leur conversion. L’application du principe pollueur-payeur suppose en outre de "financer la dépollution de l’eau par les titulaires des autorisations de mise sur le marché et de permis de commerce parallèle via la taxe sur les produits phytopharmaceutiques", note le rapport. Enfin, il est proposé de relever de 10% la redevance pour pollution diffuse afin d’alimenter le budget des agences de l’eau. Le gouvernement Borne y avait renoncé, créant une levée de boucliers de nombreuses associations et collectivités.