Directive "eau potable" : l'ordonnance de transposition est parue
La transposition de la nouvelle directive "eau potable", promesse d’un accès à l’eau du robinet pour tous, par une ordonnance et toute une série de textes réglementaires, est synonyme de nouvelles responsabilités pour les collectivités territoriales, sans qu’à ce stade toute la lumière soit faite sur les contours exacts de la compensation financière qui devrait s’ensuivre.
Publiée le 23 décembre au lendemain de sa présentation en conseil des ministres par le ministre de la Santé, une ordonnance engage la transposition de la nouvelle directive "eau potable" (2020/2184), qui fixe de nouvelles normes de qualité de l’eau du robinet et consacre également la question de l’accès à l’eau pour tous, dans le prolongement de l’initiative citoyenne européenne "Right2Water". Une publication in extremis, la date butoir de transposition étant le 12 janvier 2023. Pour l’achever pleinement, deux décrets - parus le 30 décembre - l’accompagnent. Une flopée d’arrêtés est également prévue : 18 au total, dont la plupart figurent au Journal officiel du 31 décembre. Trois d’entre eux "nécessitant des consignes et actes complémentaires de la Commission européenne", souligne le ministère, ne seront en revanche publiés que dans plusieurs semaines.
Le gouvernement - par l’article 37 de la loi n°2021-1308 du 8 octobre 2021 Ddadue - a opté pour la voie d’une ordonnance pour modifier des articles essentiels portant sur la gestion de l’eau potable dans le code général des collectivités territoriales, le code de l’environnement, le code de la santé publique ainsi que le code de la construction et de l’habitation et le code de l’urbanisme. Cette transposition, qui s’inscrit dans la mise en œuvre du volet "eau" du processus de planification écologique "France Nation verte", poursuit l’objectif d’améliorer l’accès aux eaux destinées à la consommation humaine, de mettre en place une approche fondée sur les risques depuis la zone de captage jusqu’au robinet pour garantir la qualité de l’eau distribuée et de mieux informer sur la qualité de l’eau.
Un meilleur accès à l'eau du robinet
Transposer la directive signifie au premier chef renforcer l’accès à l’eau pour tous, au plus près du domicile pour les usages les plus essentiels (à savoir les usages domestiques), notamment dans des zones isolées et d’habitat informel, y compris pour les groupes vulnérables et marginalisés, sédentaires ou non. Le décret d’application n° 2022-1721 fixe ainsi "l’objectif" de fournir un volume minimal d’eau "compris entre 50 et 100 litres d’eau par personne et par jour au domicile ou lieu de vie des personnes ou, à défaut, en un point d’accès le plus proche possible, selon les contraintes techniques, géographiques, topographiques et les servitudes auxquelles sont assujettis les territoires concernés".
Concernant les collectivités territoriales, l’ordonnance introduit, notamment au sein du code de la santé publique, "de nouvelles responsabilités pour les communes et leurs établissements publics de coopération en matière d'accès à l'eau des personnes raccordées et non raccordées au réseau public de distribution, telles que l'identification et l'information des personnes ayant un accès insuffisant à l’eau", insiste le rapport de présentation joint au texte. Cela suppose entre autres l’établissement de diagnostics territoriaux de l’accès à l’eau "au plus tard en 2025" (ou 2027 pour les communautés de communes qui deviendront compétentes en matière d’eau en 2026), desquels découleront (au plus tard trois ans après) les solutions pérennes ou provisoires, selon les cas, d’amélioration d’accès à l’eau. Le ministère fait valoir l’introduction d’un mécanisme pérenne de compensation financière pour cette extension de mission pour les communes et leurs EPCI, dont les modalités seront déterminées dans une prochaine loi de finances. L’incertitude sur les contours opérationnels de cette compensation a néanmoins valu au texte un avis défavorable lors des deux séances (en date des 3 novembre et 1er décembre 2022) que le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) lui a consacré.
Des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau obligatoires
L’autre axe est relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine. L’ordonnance - complétée du décret n°2022-1720 - apporte sur ce volet des précisions sur les usages pour lesquels l’eau destinée à la consommation humaine est requise ainsi que les exceptions et dérogations possibles. Et surtout "afin de permettre le déploiement d’une démarche préventive, qui a fait ses preuves pour garantir la qualité de l’eau du captage jusqu’au robinet du consommateur", relève le ministère, le texte rend obligatoires les plans de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE) pour tous les captages utilisés pour l’alimentation en eau potable.
Cette partie "protection de la ressource" aux pollutions par les pesticides et les nitrates notamment, repose sur le dispositif existant, à savoir les périmètres de protection des captages et servitudes attachées. Elle procède toutefois à une "rationalisation" des périmètres de protection éloignée (PPE), qui sont dans certaines conditions supprimés pour "les points de prélèvements sensibles" prévus par un nouvel article L.211-11-1 du code de l’environnement (résultats dépassant 80% de la limite de qualité en eaux distribuées définie par arrêté), à mesure que ceux-ci seront dotés, à l’échelle de leur aire d’alimentation de captage, d’un plan d’action et le cas échéant d’un arrêté ZSCE (zones soumises à contrainte environnementale) du préfet qui reprendra les dispositions de l’arrêté de déclaration d’utilité publique (DUP) pris pour le PPE. Concrètement, tout ou partie des mesures proposées par les collectivités pourront être reprises par le préfet dans un arrêté ZSCE.
Pour la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), l’application du programme d’actions imposé par le préfet (ZSCE) "doit être réservée aux constats d’échec des plans d’actions sur les points de prélèvement dits sensibles". L’organisation s’est en outre montrée très sceptique, lors de la consultation du texte, sur la suppression des PPE pour les points de prélèvements dits sensibles.
Levée de boucliers des agriculteurs
Cette réforme pourra "pleinement" s'appliquer dès lors que la définition des captages sensibles, dont les bases sont ainsi introduites par l’ordonnance dans le code de l’environnement, sera fixée par arrêté ministériel "après concertation avec les acteurs en particulier du monde agricole", indique le ministère. Et pour cause, ces derniers ont largement exprimé leurs réticences lors de la consultation du public, déplorant également une "stigmatisation" de leur secteur d’activité.
Les collectivités qui le souhaitent auront la possibilité de contribuer à la mission de préservation de la ressource en eau, en liaison avec le préfet, afin d'établir un programme d'action encadrant les pratiques qui dégradent la qualité des points de prélèvement, explique aussi le ministère.
Enfin, l’ordonnance comprend des dispositions "permettant d’améliorer l’information des usagers notamment sur la production d’eau, l’organisation du service public de distribution de l’eau, la qualité de l’eau et la facture d’eau", précise-t-il.
Références : rapport au président de la République et ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, JO du 23 décembre 2022, textes n° 64 et 65 ; décret n° 2022-1720 du 29 décembre 2022 relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine ; décret n° 2022-1721 du 29 décembre 2022 relatif à l'amélioration des conditions d'accès de tous à l'eau destinée à la consommation humaine, JO du 30 décembre 2022, textes n° 71 et 72 ; arrêté du 30 décembre 2022 relatif à l'évaluation des risques liés aux installations intérieures de distribution d'eau destinée à la consommation humaine (1) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine mentionnées aux articles R. 1321-2, R. 1321-3, R. 1321-7 et R. 1321-38 du code de la santé publique (2) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 25 novembre 2003 relatif aux modalités de demande de dérogation aux limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine à l'exclusion des eaux minérales naturelles pris en application des articles R. 1321-31 à R. 1321-36 du code de la santé publique (3) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 11 janvier 2007 modifié relatif au programme de prélèvements et d'analyses du contrôle sanitaire pour les eaux fournies par un réseau de distribution, pris en application des articles R. 1321-10, R. 1321-15 et R. 1321-16 du code de la santé publique (4) ; arrêté du 30 décembre 2022 relatif au programme de tests et d'analyses à réaliser dans le cadre de la surveillance exercée par la personne responsable de la production ou de la distribution d'eau et aux conditions auxquelles doivent satisfaire les laboratoires réalisant ce programme, en application des articles R. 1321-23 et R. 1321-24 du code de la santé publique (5) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 21 novembre 2007 relatif aux modalités de prise en compte de la surveillance des eaux destinées à la consommation humaine dans le cadre du contrôle sanitaire, pris en application de l'article R. 1321-24 du code de la santé publique (6) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 20 juin 2007 relatif à la constitution du dossier de demande d'autorisation d'exploiter une eau de source ou une eau rendue potable par traitement à des fins de conditionnement (7) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 22 octobre 2013 relatif aux analyses de contrôle sanitaire et de surveillance des eaux conditionnées et des eaux minérales naturelles utilisées à des fins thérapeutiques dans un établissement thermal ou distribuées en buvette publique (8) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 11 janvier 2007 relatif au programme de prélèvements et d'analyses du contrôle sanitaire pour les eaux utilisées dans une entreprise alimentaire ne provenant pas d'une distribution publique, pris en application des articles R. 1321-10, R. 1321-15 et R. 1321-16 du code de la santé publique (9) ; arrêté du 30 décembre 2022 relatif aux conditions auxquelles doivent satisfaire les laboratoires réalisant les prélèvements et les analyses de surveillance des eaux conditionnées et des eaux minérales naturelles utilisées à des fins thérapeutiques dans un établissement thermal ou distribuées en buvette publique (10) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 19 octobre 2017 relatif aux méthodes d'analyses utilisées dans le cadre de la réalisation du contrôle sanitaire des eaux (11) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 5 juillet 2016 relatif aux conditions d'agrément des laboratoires pour la réalisation des prélèvements et des analyses du contrôle sanitaire des eaux (12) ; arrêté du 30 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 1er février 2010 relatif à la surveillance des légionelles dans les installations de production, de stockage et de distribution d'eau chaude sanitaire (13), JO du 31 décembre 2022, textes n° 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171 et 172. |