Polluants éternels : la proposition de loi visant à protéger la population définitivement adoptée

La proposition de loi écologiste pour restreindre progressivement, à partir de 2026, la fabrication et la vente de produits contenant des Pfas, ces "polluants éternels" massivement répandus et souvent néfastes pour la santé, est définitivement adoptée, après le vote conforme des députés, ce 20 février. Sur le principe "pollueur-payeur", le texte introduit une taxe visant les industriels dont les activités entraînent des rejets de Pfas, pour compenser le mur d'investissement à venir pour les collectivités lors du traitement de l'eau.

L’Assemblée nationale a voté conforme ce 20 février, avec le soutien du gouvernement, la proposition de loi écologiste visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (Pfas), par 231 voix pour, 51 contre dans les rangs du groupe RN et 7 absentions de députés UDR. Premier de la niche écologiste à passer dans l’hémicycle, le texte adopté est donc issu des travaux du Sénat, qui l’a remanié, sur plusieurs points, après un premier vote par les députés

Son ambition de départ a été "amoindrie" mais il comporte "des avancées majeures dont il serait impensable de se priver", a insisté le rapporteur et auteur de la proposition de loi, le député écologiste Nicolas Thierry. Ces Pfas, que l’on appelle aussi  "polluants éternels", en raison notamment de leur extrême persistance dans l’environnement, forment une famille de près de 12.000 composés, massivement présents dans les objets du quotidien, et dont les effets nocifs sur la santé inquiètent l'opinion et les pouvoirs publics. Il s’agit d’apporter "une première réponse (...) aux maires et aux habitants", "en faisant de la France l’un des pays les mieux armés pour protéger sa population des risques liés à ces polluants éternels", a souligné Nicolas Thierry. 

Tout en y apportant totalement son soutien, la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a appelé à tenir un discours nuancé, "toujours sous l'éclairage de la science" et "sans tomber dans une condamnation générale des Pfas". "Il y a des milliers de Pfas. Certains sont bien connus, d'autres moins. Certains sont dangereux, d'autres sont considérés comme à faible impact", a-t-elle tempéré. Le député RN Emeric Salmon s'est alarmé d'un texte qui aura "des conséquences dramatiques sur l'emploi et notre souveraineté" en conduisant à "inonder" le marché national de "produits étrangers contenant des Pfas". Par ce texte, "travaillé avec les industriels", il s’agit au contraire de les protéger "contre la concurrence déloyale, eux qui ont fait l'effort justement de mettre au point des technologies qui leur permettent de se passer des Pfas", lui a répondu la ministre. 

Interdiction des Pfas d’ici à 2026 et 2030

L'article-phare de la proposition de loi introduit l’interdiction de produire et de commercialiser plusieurs types de produits contenant des Pfas, au-delà d’une certaine concentration définie par décret, et selon la disponibilité des solutions de substitution, à savoir dés 2026 pour les cosmétiques, les farts de ski et les textiles d’habillement, puis en 2030 sur l’ensemble des textiles (par exemple d’ameublement), à l'exception toutefois de certains textiles industriels ou "nécessaires à des utilisations essentielles", dont la liste sera à préciser par décret. L'interdiction des ustensiles de cuisine, à l’exemple des fameuses poêles Téfal, n’a pas trouvé de majorité parlementaire, et a été retirée du texte initial. "À défaut d’établir une norme, nous aurons mis en lumière un enjeu majeur", a relevé Nicolas Thierry, soucieux de ne pas condamner toute possibilité d’adoption définitive, en rouvrant le débat sur ces ustensiles. 

L’autre volet du texte concerne le contrôle sanitaire de l’eau potable. L’article 1er prévoit d’y inclure, sans délai, dès l’entrée en vigueur de la loi, une liste de Pfas déterminée par décret. Les tests pourront en outre concerner d'autres substances quantifiables que celles listées par décret, notamment "au regard des circonstances locales". Ce texte va donc plus loin que la réglementation prévue par la directive sur l’eau destinée à la consommation humaine, qui prévoit à partir du 1er janvier 2026, que chaque Etat membre mesure 20 substances Pfas. Il appartiendra également au ministre chargé de la prévention des risques, au terme du texte adopté, d’établir une carte répertoriant l’ensemble des sites ayant émis ou émettant des Pfas, et si elles sont connues les quantités émises dans l’environnement

Inscription du principe "pollueur-payeur"

Celle-ci prendra la forme d’une redevance assise sur les rejets de Pfas dans l’eau pour que les industriels à l’origine de la pollution contribuent financièrement à la dépollution (art. 2). Le tarif de la redevance est fixé à 100 euros pour cent grammes. "Dès l’entrée en vigueur du contrôle de la présence des Pfas dans l’eau, nombre de nos communes pourraient connaître des dépassements de la norme réglementaire", selon le rapporteur du texte. Les collectivités devront alors consentir à "des investissements massifs pour traiter l'eau" et la redevance proposée sera "un premier levier pour anticiper ce mur d'investissement à venir", note-t-il. 

Deux articles ajoutés au cours de la discussion, prévoient également de doter la France d’une trajectoire nationale de réduction des rejets aqueux de Pfas depuis les installations industrielles (art.1er bis), afin de tendre vers la fin de ces rejets dans les 5 ans, et d’établir un plan d’action interministériel pour le financement de la dépollution des eaux potables gérée par les collectivités responsables de l’eau et l’assainissement. Le dernier article (2 bis) crée une obligation de transparence pour les agences régionales de santé (ARS), qui devront rendre publics les programmes d’analyse des Pfas dans l’eau potable et dresser des bilans réguliers. Le Sénat a souhaité préciser que ces contrôles cibleraient aussi les eaux en bouteilles. 

L’inaction des pouvoirs publics mise en cause sur le TFA

Générations Futures qui s’est mobilisée pour voir aboutir la proposition de loi, s’est immédiatement réjouie de son adoption définitive, actant "une victoire collective". L’ONG y voit "un premier pas essentiel dans la lutte contre les Pfas", mais  rappelle que "le combat n’est pas terminé" : "Pfas dans les ustensiles de cuisine, dans les mousses anti-incendies, dans les rejets atmosphériques, Pfas pesticides : les Pfas sont partout et le chemin vers la sortie totale des Pfas est encore long". 

Quelques semaines après la publication d'une enquête conjointe avec l'UFC-Que Choisir, qui a révélé la présence d'acide trifluoroacétique (TFA), un Pfas non réglementé, dans l'eau de nombreuses communes de France, l’association a publié, ce 18 février, un nouveau rapport sur cette contamination alarmante. "Le TFA, ce Pfas pesticide sur lequel nous alertons depuis plus d'un an désormais ne fait toujours l'objet de (presque) aucun suivi et encadrement, cela ne peut plus durer", y relève l’association qui entend faire "bouger les choses" y compris par la voie contentieuse. 

Le ministère de la Santé dit attendre les résultats de la campagne exploratoire de l’Anses, qui ne seront pas connus avant 2026, afin d’éventuellement intégrer le TFA au contrôle sanitaire. Une position "attentiste" jugée inacceptable par l’ONG au regard des preuves déjà disponibles de l’étendue de la contamination de l’eau potable par cette substance toxique pour le foie et pour la reproduction, selon les dernières études. Générations Futures engage donc une procédure pré-contentieuse et réclame de modifier l’arrêté du 11 janvier 2007 pour intégrer dès à présent le TFA dans le programme d’analyses de contrôle sanitaire des eaux ainsi que dans les campagnes de surveillance des denrées alimentaires. 

L'association dénonce par ailleurs l'insuffisance de la valeur de gestion indicative retenue par la France pour le TFA (60 µg/L d’eau du robinet), comparée à celle bien plus basse retenue par d’autres pays européens (comme les Pays-Bas : 2,2 µg/L ou le Luxembourg : 12 µg/L). Mais le principal problème reste la pollution à la source. "12 milliards d’euros par an : c’est la somme que devrait dépenser la France pour éliminer le TFA, très présent dans l’eau, s’il ne fait pas l’objet d’une réglementation dans les plus brefs délais", appuie l’ONG. Avec pour cible en priorité deux pesticides Pfas, qui ont le potentiel de se dégrader en TFA : le fluopyram et le flufénacet. 

En novembre dernier, Générations Futures a adressé une demande à l’Anses de retrait des produits à base de flufenacet, dont le caractère perturbateur endocrinien est désormais reconnu par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En l'absence de réponse dans un délai de deux mois, "synonyme de refus implicite", l’association a annoncé saisir le Conseil d’Etat pour obtenir le retrait des autorisations de mise sur le marché (AMM) "dans les meilleurs délais". Une autre demande a été adressée à l’Anses ce 14 février pour qu’elle réexamine les AMM de l’ensemble des produits à base de Fluopyram, et procède également à leur retrait. Cette demande au niveau français, vient compléter une action commune avec 28 ONG au niveau de la Commission européenne. 

 

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