Commerces - Réforme de l'urbanisme commercial : des garde-fous suffisants ?
Alors que la date des discussions autour de la réforme de l'urbanisme commercial n'est pas encore fixée, le projet, concrétisé par le rapport de Jean-Paul Charié, député du Loiret, et anciennement rapporteur de la loi de modernisation de l'économie, fait déjà débat.
Le texte propose entre autres d'abolir les lois Royer et Raffarin. Une décision qui conduirait à supprimer les autorisations, jusque-là demandées au coup par coup par les grandes enseignes commerciales à une commission départementale, pour l'ouverture des centres commerciaux. Cette mesure phare est justifiée, nous dit-on, par l'incapacité de ces lois à limiter l'implantation des grandes enseignes et à protéger le commerce de proximité. Il faut dire que le nombre de mètres carrés dédiés à ces enseignes n'a fait qu'augmenter ces dernières années. D'un million de mètres carrés en 1995, on est passé à plus de 3 millions aujourd'hui ! Et pendant ce temps, le commerce de proximité n'a fait que péricliter. D'après l'Insee, il y a eu une baisse de 1,7% du nombre des alimentations générales/supérettes de 1999 à 2007, une chute de 1,5% pour les primeurs, et 3,4% pour les boucheries-charcuteries.
Si la nouvelle disposition proposée est censée protéger le commerce de proximité, elle est aussi devenue nécessaire pour s'adapter aux contraintes européennes. Une procédure d'infraction a en effet été engagée contre la France par la Commission européenne. Ce qui est reproché à la France : l'existence de critères économiques et concurrentiels dans la prise de décision - ce qui est jugé contraire à la liberté d'établissement inscrit dans le Traité de Rome - et la présence d'opérateurs concurrents dans les commissions départementales. La directive Services, adoptée le 12 décembre 2008, qui doit être transposée dans le droit français d'ici la fin de l'année, incite elle aussi à libéraliser le secteur.
Libéraliser, c'est donc ce que propose Jean-Paul Charié. Mais le député du Loiret veut conserver un certain encadrement pour les implantations de grandes surfaces, notamment grâce au nouveau document d'aménagement (DAC), instauré par la loi de modernisation de l'économie (LME). Conçu pour une durée de six ans, le DAC est élaboré par des commissions départementales d'urbanisme commercial, composées d'élus locaux, de représentants d'acteurs économiques et de consommateurs, d'experts.
"Ce n'est pas une libéralisation à tous crins"
"Quand on regarde le système qui va être mis en place, on se rend compte que ce n'est pas une libéralisation à tous crins, il y a des garde-fous, que sont les DAC", confirme Pascal Madry, directeur des études de Procos, la fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé. "Les départements devraient ainsi donner les grandes orientations sur le développement du commerce, qui seront relayées à l'échelle du schéma de cohérence territoriale" (Scot), poursuit-il. Le rapport prévoit en effet des volets commerces tant pour les Scot que pour les plan locaux d'urbanisme (PLU), les Scot fixant des orientations et les PLU les règles. Les remparts envisagés ne concernent donc plus seulement l'urbanisme commercial mais l'urbanisme tout court. "Le marché s'ouvre mais l'urbanisme est là pour jouer le contre-feu et réguler les implantations commerciales", précise Pascal Madry.
Si l'expert de Procos est rassuré sur cet aspect, il soulève un problème de poids : "Les élus vont devoir s'occuper de la régulation de la concurrence. Or, aujourd'hui, toutes les villes sont en compétition pour attirer entreprises, cadres, commerces, grandes enseignes... Comment les élus vont-ils pouvoir se discipliner, au-delà de leur territoire, pour se répartir les autorisations d'implantations commerciales ? Cela peut les inciter à être extrêmement libéraux." De son côté, Jean-Paul Charié compte sur l'intercommunalité pour jouer le rôle de régulateur.
La libéralisation et les propositions avancées par Jean-Paul Charié ne font pas que des inquiets. Ainsi, du côté de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), on constate que les maires des villes moyennes sont loin d'être effrayés. Ils seraient au contraire enthousiastes à l'égard de l'effort proposé pour requalifier les entrées de ville. Jean-Paul Charié propose en effet dix-huit programmes d'actions locales, à réaliser d'ici un à cinq ans. Des programmes parmi lesquels le réaménagement de 200 entrées de ville, la rénovation ou le réaménagement de centres commerciaux au "coeur" des communes de moins de 40.000 habitants et la création de 200 centres de distribution urbaine dans 200 agglomérations.
Les Français veulent plus de magasins près de chez eux
"Pour moi, le rapport est bon. Il propose toute une série de dispositions et marque un état d'esprit qui permet d'avancer", affirme Denis Badré, maire d'Avray et président de Centre-ville en mouvement, association destinée à fédérer l'ensemble des acteurs liés à l'activité des centres-ville. Jean-Paul Charié souhaite en tout cas changer de méthodes et de moyens pour réhabiliter le commerce en France. Des groupes de travail, rassemblant élus, experts et représentants d'enseignes, sont chargés d'examiner et de faire des propositions sur ces dix-huit programmes d'actions locales. "Jean-Paul Charié nous a beaucoup sollicités et il a repris des idées que nous avons développées dans notre association, notamment l'idée de faire travailler ensemble le public et le privé, les artisans, les commerçants, les grandes entreprises type La Poste ou la RATP, tous les acteurs concernés, pour trouver des solutions dans lesquelles chacun se retrouve", assure Denis Badré.
Le maire d'Avray apprécie aussi particulièrement la volonté de Jean-Paul Charié de "reconstruire une vraie ville à taille humaine". "On est allé trop loin dans la spécialisation des commerces, il faut des centres commerciaux en centre-ville, différents des hypermarchés, avec une organisation multicommerces qui reste à taille humaine. Le rapport Charié va dans ce sens."
"Il y a actuellement un regain d'intérêt pour les enseignes de proximité qui ont des horaires souples et qui répondent à des problématiques environnementales", explique-t-on de même à la FMVM. Un sondage réalisé en novembre 2008 à l'occasion de la Cité du commerce et de la consommation révèle en effet que les attentes des Français s'orientent vers le commerce de proximité. Plus de la moitié des personnes interrogées regrettent ainsi le manque de magasins dans leur quartier et acceptent de moins en moins de se déplacer pour faire leurs courses.
"Le commerce installé en périphérie a ses limites, même s'il est nécessaire. C'est un juste rééquilibrage qu'il faut entre commerces de centre-ville et périphérie", assure aussi Emilie Neveu, chargée du projet "Coeur d'agglomération" pour la ville de Dreux, un vaste projet de développement du centre-ville de Dreux. Reste que les outils nécessaires pour réaliser ces requalifications ne sont pas toujours disponibles. "Je ne suis pas convaincue que le Code de l'urbanisme nous procure les outils dont on a besoin pour restaurer les centres-ville", s'inquiète la chargée de projets.
Emilie Zapalski