Enfance / Famille - Réforme de la politique familiale : quel impact pour les collectivités ?
Le chef de l'Etat et le Premier ministre ont tranché : la réforme des prestations familiales passera par une réduction du quotient familial pour les ménages les plus aisés et non par l'écrêtement des prestations pour ces mêmes ménages. Le principe de l'universalité des prestations familiales - soutenu notamment par l'Unaf et par certains syndicats - est donc préservé, même si cela se fait en écornant la promesse présidentielle de ne pas augmenter les impôts en 2013.
Plafonnement du quotient familial... et écrêtement de la Paje
Après avoir présenté les mesures devant le Haut Conseil de la famille, le 3 juin, Jean-Marc Ayrault a confirmé ce choix en indiquant que "le gouvernement a décidé de préserver l'universalité des allocations familiales : elles continueront d'être versées de façon égale à tous les enfants de toutes les familles". En contrepartie, environ 12% des familles (soit 1,3 million de ménages) verront le mécanisme du quotient familial à nouveau modulé en fonction de leurs revenus. Celui-ci avait déjà été plafonné une première fois en 2012 - mais sur une cible plus large - avec un plafond à 2.000 euros par demi-part, contre 2.336 euros auparavant. Avec les mesures annoncées par le Premier ministre, ce plafond sera ramené à 1.500 euros, soit une diminution de 36% en deux ans.
Du côté des modes de garde, l'écrêtement touchera la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), pourtant déjà soumise à conditions de ressources. La réforme est assez drastique, puisque le montant sera divisé par deux à compter du 1er avril 2014, pour les ménages dont les ressources dépassent un certain seuil (3.250 euros de revenu mensuel pour un couple avec un seul revenu, 4.000 euros de revenu mensuel pour un couple avec deux revenus ou une personne isolée). Cette mesure devrait toucher 280.000 familles, soit 12% des ménages éligibles à la Paje.
275.000 "solutions d'accueil" supplémentaires
Si la réforme annoncée ne fera sans doute pas que des heureux, elle n'est, en revanche, pas sans impact pour les collectivités territoriales, qu'il s'agisse de l'accroissement de l'offre de modes de garde ou des mesures de soutien aux ménages les plus fragiles.
Côté modes de garde, la mesure la plus intéressante pour les collectivités réside dans la confirmation de la création, dans le cadre de la refondation de l'école (voir nos articles consacrés au suivi de ce projet de loi), de 75.000 places en écoles maternelles pour les moins de trois ans. Trois mille instituteurs devraient être recrutés pour mettre en œuvre cette mesure sur les cinq prochaines années. Ceci marque un renversement de la tendance à l'œuvre depuis plusieurs années, où l'on a vu au contraire l'Education nationale se désinvestir de la scolarisation des enfants de moins de trois ans (55.000 places pour cette tranche d'âge supprimées depuis 2007, dont une bonne part se sont reportées sur les modes de garde). Le Premier ministre a souligné que les nouvelles places seront créées en priorité dans les zones d'éducation prioritaire, "car il est essentiel pour l'égalité des chances que les enfants de ces territoires puissent être scolarisés précocement".
Ces places en classes maternelles ne sont toutefois qu'une partie de la "mobilisation pour l'accueil des 0-3 ans" du gouvernement. Celui-ci prévoit en effet, au total, la création de 275.000 "solutions d'accueil des jeunes enfants" au cours des cinq prochaines années. Outre les 75.000 places de maternelles, ce chiffre repose en premier lieu sur 100.000 créations nettes de places de modes de garde collectifs. Celles-ci seront financées notamment par le fonds d'action sociale de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) - qui va enfin pouvoir signer sa convention d'objectifs et de gestion sur la base d'une croissance annuelle de 7,5% -, avec le concours des collectivités qui ne manquent pas de projets en la matière.
Le solde viendra de l'accueil de 100.000 enfants supplémentaires par des assistantes maternelles. Cette offre nouvelle en modes de garde individuels sera obtenue "grâce à la revalorisation de cette profession dans le cadre d'un plan Métiers permettant le développement des carrières, de meilleures formations et un soutien financier accru au développement de 'relais assistant(e)s maternel(le)s', afin d'assurer une présence de proximité sur tout le territoire". Une même assistante maternelle pouvant garder plusieurs enfants et le premier agrément délivré par le président du conseil général pouvant désormais aller jusqu'à trois enfants, il faudra "recruter" au moins autour de 40.000 assistantes maternelles. Bien que le dossier ne le précise pas, les formations devraient être financées par les départements.
Dernière mesure évoquée dans ce domaine par le Premier ministre : "L'Etat sera le garant de la réduction des inégalités territoriales", qui se caractérisent par des écarts allant de 9 à 80 places pour 100 enfants de moins de trois ans (tous modes d'accueil confondus) selon les départements. Le plan n'est toutefois pas très disert sur les moyens d'y parvenir, se contentant d'évoquer des "schémas territoriaux associant tous les acteurs concernés", dont on voit mal comment ils pourront réduire les inégalités interdépartementales. Enfin, Jean-Marc Ayrault a confirmé l'engagement pris lors de la conférence sur la pauvreté de décembre dernier : les crèches devront accueillir au moins 10% d'enfants issus de famille pauvres (cette dernière notion restant à définir en termes de seuil de revenus).
Lutte renforcée contre la pauvreté
La lutte contre la pauvreté est également présente dans d'autres mesures du plan gouvernemental, qui pourraient - elles aussi - avoir un impact sur les collectivités et, plus particulièrement, sur les départements. Deux mesures sont prévues à ce titre.
La première consiste en une majoration de 50% du complément familial versé aux familles les plus modestes (sous réserve qu'elles aient la charge d'au moins trois enfants âgé de 3 à 21 ans). D'un montant actuel de 167,34 euros par mois, le complément familial devrait ainsi passer aux environs de 251 euros par mois. Bémol de taille : cette revalorisation se fera "à l'horizon 2018". La première hausse aura lieu dans près d'un an (1er avril 2014) et la seule précision donnée est qu'elle se fera "au-delà de l'inflation".
La seconde mesure pourrait avoir un impact plus direct pour les départements et plus particulièrement leurs services de l'aide sociale à l'enfance (ASE), de plus en plus confrontés aux difficultés des familles monoparentales. Elle consiste en effet en une revalorisation de 25% de l'allocation de soutien familial (ASF), soit environ 40 euros supplémentaires par mois. La mesure devrait bénéficier à 735.000 familles, parmi lesquelles 570.000 enfants dont le parent est à la fois allocataire du RSA et de l'ASF. Le calendrier de mise en œuvre de cette mesure est toutefois le même que pour la précédente. Compte tenu de l'ampleur des difficultés des familles monoparentales, on aurait pu s'attendre plutôt à une inversion entre les deux majorations, avec l'effort principal mis sur l'ASF.
Renforcement du soutien aux familles et aux jeunes
Le soutien à la parentalité - auquel nombre de collectivités participent - est l'un des grands gagnants du plan. Comme le recommandait l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), les moyens affectés seront doublés en cinq ans, passant de 50 à 100 millions d'euros, avec une attention particulière portée au développement des services de médiation familiale.
Dans le même esprit, le plan évoque la réforme des rythmes scolaires. "Les CAF seront un acteur majeur de la réussite de la réforme des rythmes scolaires et mobiliseront à terme 250 millions d'euros pour financer les heures d'accueil supplémentaires", a ainsi indiqué Jean-Marc Ayrault - 250 millions en année pleine affectés à "l'organisation d'activités de qualité sur les nouvelles heures dégagées". Un début de précision qui devrait intéresser les communes, sachant qu'il y a encore une dizaine de jours, on indiquait à l'Association des maires de France ne "pas avoir de chiffre" sur la participation des CAF.
Enfin, l'Etat et la Cnaf "souhaitent" développer de nouveaux centres sociaux sur les territoires ruraux et périurbains, en visant le public des jeunes et des adolescents, et renforcer ainsi le maillage du territoire et l'attractivité des centres sociaux (aujourd'hui au nombre de 2.082).
Au final, l'impact macroéconomique du plan reste difficile à évaluer. D'un point de vue comptable, le tableau présenté par le gouvernement aboutit à une économie nette de 1,1 milliard d'euros en 2014, 1,5 milliard en 2015 et 1,7 milliard en 2017. Ce calcul prend bien en compte les mesures de lutte contre la pauvreté mais n'intègre pas le coût des mesures hors comptes sociaux. Difficile donc d'anticiper l'impact final sur les comptes publics.