Finances locales - Réforme de la DGF : gouvernement et élus locaux en désaccord sur le fond et le calendrier
A l'approche des derniers arbitrages sur le projet de loi de finances pour 2016, les élus locaux et le gouvernement continuent leur bras de fer sur la réforme des concours financiers de l'Etat aux collectivités. Le 15 juillet, en fin d'après-midi, le gouvernement a confirmé aux élus locaux son intention d'inscrire la réforme dans ce prochain projet de loi de finances, qui sera comme chaque année dévoilé fin septembre. Pour cela, il a invité leurs représentants à Bercy pour la seconde réunion de l'instance de Dialogue national des territoires mise sur pied en février dernier, un an après l'échec de la mise en place du Haut Conseil des territoires.
"Plusieurs pistes de réformes" s'inspirant du rapport de la mission pilotée par la députée socialiste Christine Pires-Beaune "se dégagent", écrit suite à cette réunion le gouvernement dans un communiqué. Pour les communes, une dotation forfaitaire rénovée, d'un montant de 75 euros par habitant, serait créée. Cette enveloppe de 5,4 milliards d'euros serait répartie en fonction de la population de la commune, de sa taille en comparaison de l'intercommunalité à laquelle elle appartient et de sa densité, selon un document présenté aux élus locaux et que Localtis s'est procuré (voir ci-contre).
La ruralité mieux prise en compte
Cette dotation forfaitaire rénovée serait complétée par une dotation de ruralité visant à compenser les charges de ruralité. Selon les options choisies, 25.400 ou 34.500 communes bénéficieraient de cette dotation. Dans un cas, celle-ci serait d'un montant de 263 millions d'euros et dans un autre de 135 millions d'euros.
Pour les communes exerçant des fonctions de centralité, une dotation spécifique serait par ailleurs attribuée à partir du critère de la population et, éventuellement en plus, du coefficient d'intégration fiscale qui mesure le degré d'intégration de la commune dans son intercommunalité. Son montant varierait de 25 euros à 45 euros suivant les communes.
Pour les intercommunalités serait mise en place "une dotation rénovée prenant davantage en compte l'intégration et les mutualisations au sein des EPCI".
En outre, les dotations de péréquation (dotations de solidarité rurale et urbaine et dotation nationale de péréquation) seraient réformées afin qu'elles bénéficient davantage aux collectivités les plus pauvres.
Selon le communiqué, "le gouvernement a souligné l'intérêt d'une évolution vers une DGF 'locale'" consistant à répartir une partie des dotations entre les intercommunalités, puis entre celles-ci et les communes, en fonction de données mesurées à l'échelle du territoire intercommunal. Pour cette dotation, le gouvernement a évoqué deux hypothèses, l'une élevée (15,4 milliards d'euros) et l'autre basse (2 milliards d'euros). Proposée par Christine Pires-Beaune, cette piste avait suscité des réactions très vives notamment de la part de l'Association des maires de France (AMF).
Le CFL réclame une loi spécifique en 2016
La réunion de l'instance a précédé de quelques heures la séance plénière du Comité des finances locales (CFL) devant conclure les réflexions du groupe de travail consacré à la réforme de la DGF. Si à l'issue de cette séance, ce 16 juillet, le président du CFL, André Laignel, s'est dit "un peu surpris" du moment choisi par le gouvernement pour réunir les élus locaux, il s'est refusé à y voir "une manœuvre".
Après une heure trente de débats, le CFL a approuvé largement une résolution (voir ci-contre) préparée par six associations du bloc communal (Association des maires de France, Association des petites villes de France, Association des maires de grandes villes de France, Villes de France, Assemblée des communautés de France, Assemblée des communautés urbaines et métropoles de France). Deux députés socialistes, Christine Pires-Beaune et François Pupponi, se sont abstenus. Cette plateforme commune représente "la position du CFL", a déclaré André Laignel. "Nous avons décidé d'une méthode et d'un calendrier", a-t-il ajouté.
Les élus proposent d'avancer par étapes. Dans le projet de loi de finances pour 2016, il serait procédé à des aménagements concernant les dispositifs de péréquation et les critères sur lesquels ils reposent. Le CFL serait prêt à aller plus loin en participant à la préparation d'une loi spécifique relative à la réforme de la DGF qui serait débattue en 2016 et entrerait en vigueur en 2017. Ce texte pourrait mettre en place une dotation minimale reprenant la dotation universelle proposée par la mission parlementaire. Les associations d'élus locaux se sont mises d'accord sur cette nouveauté. Elles sont aussi favorables à des dotations couvrant les charges spécifiques aux territoires (ruralité, centralité, urbanité).
"Désaccord sur le timing"
Ces propositions représentent le consensus minimum entre les associations. "Ca n'a pas été évident", confie un chargé de mission de l'une des associations signataires. L'Association des maires ruraux de France (AMRF), qui avait été associée aux travaux, a finalement choisi de ne pas signer le texte.
"Entre le gouvernement et les élus locaux, il y a un désaccord sur le moment de la réforme", analyse un proche du dossier, toujours côté élus. "Le gouvernement veut passer en force alors que les élus locaux veulent au contraire se donner du temps. Ca va coincer à la rentrée."
Si le gouvernement maintient le cap et introduit la réforme de la DGF dans le projet de loi de finances, il n'est pas sûr que la majorité à l'Assemblée nationale le suive. "Même des élus de gauche ne suivent pas le gouvernement", observe l'expert en finances locales. Le sujet sera de nouveau sur la table à l'occasion d'une rencontre entre l'Association des maires de France et le Premier ministre qui aura lieu en principe avant la fin du mois.
Thomas Beurey / Projets publics
Transfert de CVAE aux régions : colère des départements
Le produit supplémentaire de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dont les régions bénéficieront à partir de 2017 pour assumer leurs nouvelles compétences pourrait provenir entièrement de la part de CVAE perçue par les départements. C'est en tout cas le projet du gouvernement esquissé par le secrétaire d'Etat au Budget le 15 juillet, lors de la réunion de l'instance de Dialogue national des territoires.
Sa collègue en charge de la Décentralisation avait annoncé en clôture du congrès des régions de France, le 26 juin, que celles-ci percevraient à partir de 2017, 50% du produit de la CVAE (voir notre article).
Le 10 juillet, Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France (ADF) s'était dit "très inquiet" de cette "annonce unilatérale" faite "au détriment des départements".
Avec les propos de Christian Eckert, les intentions du gouvernement sont aujourd'hui clarifiées. Si elles se concrétisaient, la part perçue par les départements dans le total de la CVAE passerait de 48,5% aujourd'hui à 23,5% et, dans le même temps, celle qui est affectée aux régions doublerait (de 25 à 50%). La part versée aux communes et à leurs groupements restant stable à 26,5%.
Ces précisions et l'absence de tout détail quant à la compensation attribuée aux départements ont immédiatement fait réagir le président de l'ADF. Lors d'une conversation téléphonique qu'il aurait eue dans la matinée de ce 16 juillet avec le secrétaire d'Etat chargé de la Réforme territoriale et la ministre de la Décentralisation, il aurait parlé d'une "situation de rupture". Joint par Localtis, Pierre Monzani, directeur de l'ADF, a évoqué un "coup de poignard supplémentaire sur une victime qu'on est en train d'étouffer". Il a rappelé que l'insuffisance de la compensation pour les allocations individuelles de solidarité laisse 680 millions d'euros chaque mois à la charge des départements. C'est dans ce contexte qu'"on enlève aux départements les ressources dynamiques qu'il leur reste", déplore Pierre Monzani. Selon Arkea banque et le Forum pour la gestion des villes, cet impôt devrait progresser de 2,7% en 2015, après un recul de 2,5% en 2014. Le gouvernement cherche-t-il à ce que les départements, n'ayant pas d'autre issue, augmentent la taxe sur le foncier bâti ? Le directeur de l'ADF se le demande. Dominique Bussereau évoquera le sujet avant la fin du mois avec le Premier ministre. Le rendez-vous devrait avant tout porter sur le financement des allocations individuelles de solidarité.
Le gouvernement réexpliquera probablement que ce transfert de CVAE aux régions ne vient qu'accompagner les transferts de compétences en direction des régions contenus dans le projet de loi "Notr" qui vient d'être définitivement adopté par le Parlement ce 16 juillet. La question a d'ailleurs été évoquée lors des ultimes explications de vote au Sénat, notamment par Jacques Mézard (RDSE) : "Pourquoi avoir tenu à transférer les transports scolaires aux régions ? Pour pourvoir justifier des transferts de CVAE !", a lancé le sénateur.
De son côté, André Laignel, président du Comité des finances locales et premier vice-président délégué de l'Association des maires de France, a déclaré ce 16 juillet que les maires seront "vigilants" sur ce dossier de la CVAE, car ils n'entendent pas que l'on réduise leurs ressources fiscales.
T.B.