Culture - Ratification de la charte des langues régionales : Girondins et Jacobins sont de retour
L'Assemblée nationale a achevé, dans la soirée du 22 janvier, l'examen en première lecture de la proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le vote n'interviendra toutefois que le 28 janvier en fin de journée, sous la forme d'un scrutin public, qui est de droit pour un texte de portée constitutionnelle. Après que Jean-Marc Ayrault a affirmé, lors de son déplacement à Rennes en décembre dernier, que "c'est la volonté du chef de l'Etat [...] de rechercher une majorité pour permettre de ratifier la charte des langues régionales" (voir notre article ci-contre du 17 décembre 2013), pas moins de trois propositions de loi constitutionnelle ont été déposées - en termes identiques - par le groupe socialiste, celui d'EELV et les Radicaux. C'est celui du groupe socialiste qui vient d'être examiné par l'Assemblée.
Un galop d'essai
Le recours à une proposition de loi constitutionnelle plutôt qu'à un projet de loi peut surprendre car, si la proposition est votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, le texte devra être approuvé par référendum, seul un projet de loi constitutionnel pouvant être soumis - au choix du président de la République - soit à un référendum, soit à un vote du Congrès (les deux chambres réunies à Versailles) à la majorité des trois cinquièmes (article 89 de la Constitution). Un référendum constituant une hypothèse hautement improbable sur un tel sujet et dans un contexte de disette budgétaire et d'impopularité de l'exécutif, le texte de l'Assemblée nationale n'ira pas à son terme. Il sert en fait de "galop d'essai" pour constater l'existence ou non d'une majorité des trois cinquièmes pour l'adopter.
Dans l'affirmative, le texte sera repris par le gouvernement sous la forme d'un projet de loi, avec la perspective d'une adoption par le Congrès. Dans la négative, son parcours s'arrêtera là et la ratification avec lui. L'enjeu du vote du 28 janvier ne porte donc pas sur l'adoption du texte - elle est déjà acquise - mais sur l'atteinte ou non de la barre des trois cinquièmes.
Un article unique et six heures de débat
Au-delà de ces aspects juridiques, ce texte qui tient en une phrase - "La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999" -, assortie d'une déclaration interprétative pour préciser la portée de certaines conséquences de la mesure, a pourtant mobilisé pas moins de six heures de débat et une densité inhabituelle de députés sur les bancs de l'Assemblée.
C'est que la proposition de loi n'a pas manqué de réveiller les vieux antagonismes entre "Girondins" - attachés à l'expression des cultures régionales - et "Jacobins", qui campent fermement sur le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, directement issu de 1789 : "La langue de la République est le français". Un article hautement symbolique - et un quasi "lieu de mémoire" - puisqu'il définit aussi les trois couleurs du drapeau, le choix de l'hymne national et la devise de la République. C'est d'ailleurs sur la base de l'article 2 que le Conseil constitutionnel avait censuré, dès juin 1999, la première tentative de ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.
Liberté de vote pour certains groupes
Le débat à l'Assemblée nationale montre que le sujet dépasse les clivages politiques traditionnels. Si les députés socialistes, verts et radicaux voteront le texte qu'ils ont eux-mêmes déposé, la question divise l'opposition. L'UDI a ainsi indiqué qu'elle votera le texte mardi prochain, car "nous sommes décentralisateurs, les langues régionales font partie du patrimoine de la France et en aucun cas le patrimoine de la République n'est menacé", a expliqué Philippe Vigier, le porte-parole du groupe. En revanche, le groupe UMP a pris position contre le texte, mais Christian Jacob, son président, a indiqué qu'"il y aura liberté de vote". Pour sa part, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui comprend les députés du Front de gauche et des élus ultramarins, est lui aussi divisé. Le Front de gauche (ex PC) est traditionnellement "jacobin", mais les élus d'Outre-mer sont favorables à un texte qui devrait bénéficier au créole.
Lors de la séance du 22 janvier, Frédéric Lefebvre, député UMP, a ainsi annoncé qu'il voterait le texte, alors qu'Henri Guaino a soutenu une motion de rejet préalable, en défendant la position juridique du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat. Le député des Yvelines a également affirmé que "l'institutionnalisation du communautarisme linguistique, si nous nous engageons sur cette pente fatale, sera la matrice de tous les autres, régionalistes, ethniques, religieux !".
Aurélie Filippetti, qui représentait le gouvernement lors du débat, s'en est tenue à un registre plus technique. Elle a notamment rappelé que la France allait souscrire à seulement 39 des 98 mesures proposées par la charte. La ministre de la Culture a tenu aussi à rassurer, en rappelant que la justice continuera d'être rendue en français et que la devise "Liberté, égalité, fraternité" sera toujours inscrite en français au fronton des mairies. Les explications de vote, le 28 janvier, s'annoncent donc tout aussi animées et le résultat du scrutin sera examiné avec une particulière attention.
Références : proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (examinée en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 janvier 2014, scrutin public prévu le 28 janvier 2014).