Rapport de la fondation Abbé-Pierre : bilan positif pour le Logement d'abord, pas pour le logement tout court
Avec son 27e rapport présenté ce 2 février, la fondation Abbé-Pierre trace un bilan du quinquennat en matière de logement. Elle estime qu'il n'y a pas eu de choc de l'offre, regrette la réduction de loyer de solidarité imposée aux bailleurs, considère que le Dalo reste au milieu du gué… Le verdict est en revanche plus positif sur l'application de la loi SRU et la rénovation énergétique. Et, surtout, sur le déploiement du Logement d'abord. Les propositions récurrentes de la fondation ont été rappelées. Emmanuel Macron a reconnu la nécessité de renforcer la production de logement social, mais aussi de logement intermédiaire.
Redonner au logement, première dépense des Français, la place centrale qu'il devrait occuper dans la campagne : toute la présentation, ce 2 février au Palais des congrès de Paris, du 27e rapport de la fondation Abbé-Pierre sur l'état du mal-logement en France, tournait autour de cette ambition. Cela s'est traduit notamment par le dialogue entre Christophe Robert, le délégué général de la fondation, et Emmanuel Macron (voir encadré ci-dessous), mais aussi par l'audition des candidats à la présidentielle ou leurs représentants, afin qu'ils exposent leurs propositions en la matière. Mais le poids de la campagne électorale se lit aussi dans le rapport lui-même, qui consacre une très large place au bilan du quinquennat en matière de logement.
Une réaction pertinente à la crise sanitaire, mais la reprise n'est pas pour tout le monde
Comme de coutume, le rapport a été présenté par Christophe Robert et par Manuel Domergue, le directeur des études de la fondation. Le bilan du quinquennat aux yeux de l'association se lit dans la dichotomie des titres des deux chapitres (sur cinq) qu'il consacre à ce thème : "Bilan 2017-2022 : le logement, parent pauvre du quinquennat" et "Logement d'abord, une promesse à tenir...". Le rapport reconnaît toutefois la circonstance hors normes qu'a constitué la pandémie de Covid-19. Il se félicite d'ailleurs des mesures mises en place par le gouvernement pour éviter que la crise sanitaire se double d'une crise sociale, comme le recours massif au chômage partiel, les diverses aides pécuniaires, la création et la pérennisation de 40.000 places supplémentaires d'hébergement d'urgence ou la suspension des expulsions locatives. Ces mesures ont contribué à la stabilité du taux de pauvreté – qui reste toutefois élevé – et contribuent aujourd'hui à la nette baisse du chômage. Mais "la crise sanitaire n'est pas derrière nous pour tout le monde" et elle a fait également émerger de nouvelles "trajectoires de pauvreté" : étudiants et jeunes adultes (36% des étudiants ont perdu leur emploi et les aides des Crous ont augmenté de 39%), habitants des quartiers populaires, exilés... Plus largement, si la très grande majorité de la population a vu son pouvoir d'achat augmenter au cours du quinquennat, ce n'est pas le cas des 5% les plus pauvres alors que les plus riches ont vu au contraire leurs revenus progresser le plus rapidement.
La fondation pointe aussi une dégradation du fonctionnement des administrations et des services sociaux, qui n'est toujours pas revenu à la normale, comme le constatent les associations. Elle s'inquiète aussi de l'accélération de la dématérialisation, qui pénalise les plus fragiles.
APL, RLS, Dalo... : copies à revoir
Sur le bilan du quinquennat, le rapport commence par rappeler que le thème du logement était peu présent dans le programme du futur président. Seule figurait la promesse d'un "choc de l'offre", qui devait permettre un accroissement de la production de logements et, par conséquent, une diminution de la pression sur les prix et les loyers. Au final, le rapport estime qu'il n'y a pas eu de choc de l'offre. Avant même la crise sanitaire, les mises en chantier ont reculé de 100.000 unités entre 2017 et 2019. Le prix des logements anciens a progressé de 23% et les loyers ont augmenté en moyenne de 50% au cours des dix dernières années. Le rapport se fait très critique sur la baisse de 5 euros par mois des APL en début de quinquennat, combinée ensuite avec leur non-revalorisation. La fondation estime le prélèvement correspondant à 15 milliards d'euros sur cinq ans. Échangeant le matin même avec Christophe Robert sur France Info, Emmanuelle Wargon, la ministre du Logement, a d'ailleurs reconnu qu'il s'agissait "d'une mesure de Bercy" et qu'elle ne serait pas à refaire aujourd'hui.
Pour sa part, la RLS (réduction de loyer de solidarité), imposée en compensation aux bailleurs sociaux à hauteur de 1,3 milliard par an entre 2020 et 2022, a obéré leur capacité d'entretien du parc et leur capacité d'investissement. La fondation ne conteste pas les études prévisionnelles de la Caisse des Dépôts et de la Banque des Territoires, qui confirment le maintien de la capacité d'investissement des organismes HLM. Mais elle estime que "ce qui s'est écroulé, c'est l'ambition de construire". Même si la crise sanitaire a également joué, le nombre des agréments de logements sociaux se situe à 94.775 en 2021, 104.800 avec les logements Anru et outre-mer, loin de l'objectif fixé de 120.000. Et l'objectif de 250.000 logements sociaux sur 2021-2022 semble désormais quasi impossible à atteindre. Sur le volet le plus social, le rapport constate que l'objectif des 40.000 PLAI (prêts locatifs aidés d'insertion) par an, n'est pas non plus atteint, avec un total de 31.000 prêts en 2021.
Sur la politique de la ville, le quinquennat a été très contrasté, avec des débuts très peu favorables – suppression d'emplois aidés, enterrement du rapport Borloo... –, avant un retour de la politique de la ville grâce notamment aux crédits du plan de relance. Enfin, sur le Dalo (droit au logement opposable), la fondation se montre critique, mais sans s'en prendre au gouvernement. Elle considère en effet que "l'État joue le jeu, Action logement un peu, et les bailleurs et les collectivités très peu", rejoignant ainsi les observations de la Cour des comptes dans son récent rapport sur le Dalo. Or la fondation considère qu'il reste "beaucoup de marges de manœuvre".
Du mieux pour SRU et la rénovation énergétique
Quelques points sont toutefois présentés comme plus positifs, à des degrés divers. En haut du classement figure le soutien sans faille du chef de l'État et du gouvernement au renouvellement des dispositions de la loi SRU sur les quotas de logements sociaux. Cette orientation vient de se concrétiser avec l'accord trouvé en commission mixte paritaire sur le projet de loi 3DS, qui va permettre la promulgation du texte avant la fin du quinquennat. Pour autant, la pression reste toujours insuffisante sur les communes qui s'abstiennent délibérément de respecter leurs obligations en matière de logements sociaux.
Autre point au crédit du quinquennat pour la fondation, la rapide montée en puissance, depuis 2019-2020, de la rénovation énergétique. Le rapport estime les ambitions fortes, mais émet des réserves sur les résultats, jugés insuffisants en raison du faible nombre de rénovations globales au profit de travaux isolés. Il en est de même pour le chèque énergie qui, avec une moyenne de 148 euros par an, n'est pas à la hauteur de l'envolée des dépenses des ménages modestes en ce domaine. La création du fonds friche, jugé "très utile", est également à porter au crédit du quinquennat.
Le rapport évoque aussi d'autres points qui, sans être négatifs, sont en demi-teinte. C'est le cas notamment de la lutte contre le logement indigne, domaine marqué par le drame de la rue d'Aubagne à Marseille. Pour la fondation, il y a eu certes quelques avancées législatives, mais les moyens sont clairement insuffisants et les sanctions trop occasionnelles. De même, sur l'encadrement des loyers, la politique menée est jugée "timide". La possibilité de l'encadrement des loyers, censurée par les juridictions administratives, a bien été rétablie, mais elle demeure facultative et se situe toujours dans un cadre expérimental.
"Logement d'abord, une promesse à tenir..."
Le principal point positif du quinquennat en matière de logement reste toutefois le déploiement du Logement d'abord. Initiée avant 2017, cette démarche s'est véritablement déployée depuis cinq ans. Elle a permis une réelle mobilisation des acteurs de terrain dans les 46 territoires expérimentateurs, même si l'appropriation du dispositif demeure assez inégale selon les territoires. Elle a également permis d'engager un décloisonnement entre les acteurs et les dispositifs et, surtout, elle a initié un véritablement changement culturel dans la conception de l'accès au logement, tandis que les financements apportés ont permis de recruter des coordonnateurs, essentiels au bon fonctionnement de l'ensemble. Résultat : les progrès sont aujourd'hui visibles et environ 300.000 personnes auront pu passer directement de la rue au logement durant le quinquennat. L'intermédiation locative a aussi progressé et on devrait arriver presque aux 40.000 places prévues, contre 5.000 en 2017. Les places en pensions de famille devraient également arriver autour de 5.000, mais on n'atteindra toutefois pas les 10.000 places envisagées.
Restent cependant quelques bémols. Ainsi, on demeure toujours dans le registre de l'expérimentation, alors que la démarche, qui a fait ses preuves, mériterait d'être généralisée. De même, il subsiste des points aveugles en matière de publics, comme les sorties de bidonville, les jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou les personnes en situation irrégulière.
Pour l'encadrement du marché et une "Agence nationale des travaux d'office"
Comme lors de chaque présentation annuelle du rapport sur le mal-logement, la Fondation reprend ses propositions récurrentes en matière de logement. Pour commencer, elle évalue le besoin à 400 ou 500.000 logements neufs chaque année. Les résultats 2021 (471.000 logements autorisés, mais seulement 386.700 mises en chantier) se situent bien dans cette fourchette. Mais, pour la fondation, "il ne s'agit pas de faire n'importe quoi". La priorité doit en effet être donnée aux logements sociaux et très sociaux. Le rapport appelle également à davantage de volontarisme dans les attributions de logements sociaux, notamment en matière de mise en œuvre du Dalo.
Vis-à-vis de bailleurs sociaux, la fondation demande la suppression de la RLS en 2023, à l'occasion de la mise en œuvre de la clause de revoyure. Elle propose également de doter le fonds national des aides à la pierre (Fnap), jugé aujourd'hui exsangue, à hauteur d'un milliard d'euros par an et préconise une montée en charge plus importante du fonds friches.
La fondation appelle le gouvernement à encadrer les marchés en proposant trois pistes cumulatives. Tout d'abord, généraliser l'encadrement des loyers aux 28 agglomérations initialement prévues dans le dispositif porté à l'époque par Cécile Duflot et renforcer les contrôles pour mettre un terme aux abus (tout particulièrement à Paris). Ensuite, créer enfin une garantie universelle des loyers (GUL), au besoin en mobilisant le dispositif Visale d'Action logement (qui ne couvre aujourd'hui que 4% des logements locatifs) et en supprimant la caution parentale et les dispositifs des assurances privées. Enfin, relancer l'accès à la propriété, via le bail réel solidaire et les offices fonciers solidaires (OFS).
En matière de rénovation énergétique, la Fondation préconise d'aller davantage vers des rénovations globales, qui ne représentent aujourd'hui que 1% des primes versées, contre 86% pour les gestes simples (travaux ponctuels). Dans le même temps, elle demande le doublement du chèque énergie et l'abolition des coupures. Enfin, sur la lutte contre l'habitat indigne, elle plaide pour la création d'une Agence nationale des travaux d'office, qui mutualiserait les compétences et permettrait aux villes petites et moyennes de faire face à des procédures complexes.
Dans un exercice inédit, le président de la République est intervenu lors de la journée de présentation du rapport sur le mal-logement. Emmanuel Macron étant en déplacement dans le Pas-de-Calais et dans le Nord, notamment pour une réunion informelle des ministres chargés de la justice et des affaires intérieures (JAI), organisée dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, sa participation a pris la forme d'un dialogue vidéo entre le chef de l'État et Christophe Robert, enregistré quelques jours plus tôt à l'Élysée. Tout en ne partageant pas "la lecture des dernières années" effectuée par la fondation, Emmanuel Macron reconnaît qu'"on n'a pas été assez loin". Interrogé par Christophe Robert sur la réduction de la capacité d'investissement des bailleurs sociaux, il a rappelé les prêts et les subventions de la Caisse des Dépôts et d'Action logement. La capacité d'investissement des bailleurs sociaux s'est ainsi accrue d'un tiers durant le quinquennat et les agréments ont progressé de 8% l'an dernier, même si cela ne permet pas d'atteindre l'objectif de 120.000 unités. En revanche, le quinquennat aura vu au final la création de 155.000 logements très sociaux, soit 10% de plus que sous le quinquennat précédent. Reprenant des arguments avancés par Emmanuelle Wargon, le président de la République a expliqué que l'État a atteint l'an dernier 86% de son objectif de financement de logements sociaux, quand les collectivités délégataires des aides à la pierre n'en ont réalisé que 67%. Pour Emmanuel Macron, "il n'y a plus de bonnes raisons de ne pas produire du logement", notamment après les mesures issues du rapport Rebsamen. Sur la RLS, il a rappelé que ce dispositif sera évalué dans le cadre de la clause de revoyure, mais n'a rien laissé transparaître sur son évolution ou sa suppression. Sur le Logement d'abord, le chef de l'État partage l'analyse de la fondation. Il reconnaît ainsi que celle-ci ne peut être séparée de la question plus large du logement social, car il s'agit d'un continuum. Il a rappelé également que "la Nation n'a jamais autant investi dans l'hébergement d'urgence" et que cette politique s'est doublée de la fin de la gestion au thermomètre, avec la pérennisation des 40.000 places supplémentaires d'hébergement d'urgence. La question est aujourd'hui de savoir comment structurer dans la durée. Emmanuel Macron a mis en avant la pression migratoire, avec une hausse importante de la demande d'asile, qui pèse sur le dispositif. Si l'accueil et le logement doivent rester inconditionnels, la réponse passe par une instruction plus rapide des dossiers – d'où le renforcement des moyens de l'Ofpra – et par une fluidification des parcours. C'est précisément la logique du Logement d'abord, avec les logements adaptés, les pensions de famille et l'accompagnement. Il faut donc continuer à investir en ce sens. Sur le logement proprement dit, Emmanuel Macron convient de la nécessité de renforcer la production de logements sociaux, mais aussi de mener une politique plus volontariste sur le logement intermédiaire. Il souhaite également une réforme en profondeur des APL dans le cadre du RUA (revenu universel d'activité), afin de rendre le dispositif plus lisible, de supprimer les effets de bord et d'instaurer un dispositif plus linéaire aidant davantage les personnes les plus en difficulté. Il n'a toutefois pas précisé si les APL subsisteraient en tant que telles ou si elles seraient totalement fondues dans le RUA. Enfin, sur la lutte contre la pauvreté, Emmanuel Macron met en avant deux réponses qu'il juge efficaces. D'abord le travail, en favorisant le retour à l'emploi dans un contexte qui semble se montrer porteur après la crise sanitaire. Ensuite, la prévention de la reproduction des inégalités, qui explique la démarche des 1.000 premiers jours de l'enfant et des mesures comme l'obligation scolaire dès trois ans ou le dédoublement des classes. |