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Communication - Quand une commune ne peut plus utiliser librement son nom

Pour être ancienne, l'affaire n'en est pas moins exemplaire des difficultés auxquelles peuvent être confrontées certaines communes lorsque leur nom présente un intérêt allant au-delà des simples limites du canton ou du département et n'a pas été correctement protégé. Le cas d'espèce concerne la commune de Laguiole (Aveyron, 1.250 habitants), mondialement connue pour ses couteaux à virole, dont le nom est pratiquement devenu un nom commun. Il y a 17 ans, un particulier sans rapport ni avec la commune, ni avec les couteaux, a profité du manque de protection du nom pour déposer la marque Laguiole. Depuis lors, il accorde, contre redevance, des licences à des entreprises françaises ou étrangères qui souhaitent commercialiser des produits d'importation utilisant la fameuse marque. Les produits en question n'ont aucun rapport avec le site de Laguiole - mais profitent de sa notoriété -, ni avec la coutellerie, puisqu'il peut s'agir de vêtements, chaussures, lunettes, batteries de cuisine, linge de maison, briquets... Une licence a même été accordée pour baptiser un bistro du nom de "Café Laguiole", et des VTT et des pommes de terre pourraient bientôt être commercialisés sous cette marque.
Après avoir tardé à réagir, la commune avait néanmoins obtenu, en 1997, un jugement du tribunal de grande instance de Paris condamnant l'intéressé pour "contrefaçon". Mais ce jugement a été infirmé en 1999 par la cour d'appel, qui a considéré que les célèbres couteaux étaient désormais produits ailleurs qu'à Laguiole (notamment à Thiers, dans le Puy-de-Dôme) et que le terme était donc devenu générique, excluant ainsi l'existence d'un lien entre la commune et l'objet qui porte son nom. L'affaire a cependant été relancée en février 2009, lorsque la commune a essayé de déposer son nouveau logo auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Le détenteur du nom a alors réussi à bloquer l'enregistrement, en arguant qu'il était le seul détenteur des droits. Cette situation a conduit le maire de Laguiole, soutenu par tout le conseil municipal, à déposer un nouveau recours devant le tribunal de grande instance de Paris. La commune demande la condamnation de l'intéressé pour "parasitisme" et "pratiques commerciales trompeuses" (les produits d'importation labellisés n'ayant aucun rapport avec Laguiole et l'Aveyron). La ville demande également que la Justice prononce la nullité des marques détenues par les sociétés Laguiole SA et Laguioles licences SAS et réclame cinq millions d'euros au titre du préjudice. La commune espère ainsi pouvoir "récupérer" le libre usage de son nom. Reste à savoir si la Justice acceptera de reconnaître que les produits manufacturés peuvent - comme les produits alimentaires - être protégés en fonction de leur origine géographique, ce qui n'est pas le cas actuellement. Des précédents juridiques existent en revanche lorsqu'il s'agit de qualifier des services publics proposés par une commune (voir nos articles ci-contre du 3 janvier 2008 et du 22 août 2007). Sans préjuger du résultat de cette nouvelle démarche, l'affaire rappelle l'importance, pour toutes les communes ayant un nom à "forte valeur ajoutée", de veiller à sa protection.
La situation actuelle est paradoxale : lorsque Yves Jégo a remis à Nicolas Sarkozy, le 6 mai dernier, son rapport "Pour en finir avec la mondialisation anonyme", il a cité comme exemple d'extension possible des "indications géographiques protégées" (IGP) à certains produits non agricoles, le cristal de Bohème, la verrerie de Murano, la porcelaine de Limoges et... les couteaux de Laguiole (voir notre article ci-contre du 7 mai 2010).

 

Jean-Noël Escudié / PCA