Education / Grandes régions - Quand les services académiques se retrouvent "alignés sur le découpage des régions"
Avec la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, et son décret d'application du 10 décembre 2015 qui réorganise les services déconcentrés du ministère de l'Education nationale, les services académiques se retrouvent "alignés sur le découpage des régions" et "perdent à ce titre leur spécificité" par rapport aux autres organisations de l'Etat, observe le juriste et ancien recteur Bernard Toulemonde, inspecteur général de l'Education national honoraire, dans un article de la revue juridique Ajda (Actualité juridique du droit administratif) du 15 février 2016 (*).
Et ces services de l'Education nationale à l'échelle régionale "se superposent aux académies traditionnelles" et "le millefeuille tant décrié se trouve ici renforcé, avec sans doute son cortège de satellites administratifs et d'organismes consultatifs", poursuit le juriste qui considère que ces changements marquent "une nouvelle étape dans l'alignement de l'administration académique sur les traits habituels des administrations régionales de l'Etat".
Des relations transposables ?
Bernard Toulemonde décrit dans son article le processus de "régionalisation" de l'administration académique, lié en particulier à la "place croissante de la région au fil des grandes étapes de décentralisation" et s'interroge : "Le décret de 2015 [sur les régions académiques] permettra-t-il de transposer au nouvel échelon régional le type de relations nouées au niveau des académies ?"
Concernant l'émergence des "supers recteurs" chargés de conduire la politique régionale de l'éducation, Bernard Toulemonde souligne que leur "faculté d'être l'interlocuteur unique valable va dépendre de plusieurs facteurs". Il cite : les relations qu'il entretiendra avec le ou les recteurs des académies de sa région ("se cantonnera-t-il dans un rôle de primus inter pares ou prendra-t-il le leadership d'une équipe avec des 'vice-recteurs' ?") ; ses relations avec le ministère de l'Education nationale ("soutiendra-t-il le recteur de région ou jouera-t-il des académies, instrument traditionnel de la centralisation du système éducatif ?") ; ses relations avec la région ("la collaboration avec la région restera-t-elle une affaire de personne ou sera-t-elle instituée ?").
Le recteur, un haut fonctionnaire comme les autres ?
Bernard Toulemonde analyse aussi les transformations de la fonction de recteur et décrit son évolution vers un "détachement" de l'enseignement supérieur pour "ressembler à celle des responsables administratifs régionaux habituels". En outre, l'exigence d'être universitaire pour accéder à la fonction de recteur "s'amenuise" et le vivier de recrutement se diversifie soit vers les personnels d'encadrement de l'Education nationale, soit vers l'extérieur. "Dans ces conditions, les recteurs ne deviennent-ils pas des hauts fonctionnaires comme les autres ?", comme des "directeurs régionaux de l'enseignement ? ", interroge Bernard Toulemonde.
En conclusion, Bernard Toulemonde juge que l'administration académique conserve encore "une cascade d'échelons hiérarchiques" (académie, région académique, DSDEN) et se demande si cette organisation est "encore viable". Il voit deux évolutions structurelles se dessiner : celle qui tend à réunir l'école primaire et le collège (école du socle) et celle qui tend à rapprocher le lycée du premier cycle universitaire (bac-3/bac+3).
AEF
(*) Ajda n°5/2016, 15 février 2016, pp. 260-264
Le décret du 10 décembre 2015 relatif aux régions académiques
Le
décret du 10 décembre 2015 relatif aux régions académiques réorganise les services déconcentrés du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en l'adaptant au nouveau cadre de l'organisation territoriale, issu de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Le décret, qui est entré en vigueur au 1er janvier 2016, crée les "régions académiques", dont les périmètres correspondent à ceux des nouvelles grandes régions mises en place également au 1er janvier 2016. Elles regroupent de une à trois circonscriptions académiques, lesquelles sont maintenues dans leurs limites géographiques.
Dans chaque région académique, un recteur d'académie exerce la fonction nouvelle de "recteur de région académique". Dans les régions comprenant plusieurs académies, le recteur de région académique préside un comité régional académique où siègent les autres recteurs de la région. Le recteur de région académique dispose d'attributions spécifiques dans la définition des orientations stratégiques des politiques de la région académique requérant une coordination avec la région ou le préfet de région (définition du schéma prévisionnel des formations ; formation professionnelle, apprentissage et orientation tout au long de la vie professionnelle ; enseignement supérieur et recherche ; lutte contre le décrochage scolaire ; service public du numérique éducatif ; utilisation des fonds européens...)
Le décret met également en place le cadre juridique permettant la création de services interacadémiques et les mutualisations de services, en application du schéma de mutualisation arrêté par le recteur de région académique. Il prévoit la mise en place d'une mutualisation interacadémique du contrôle budgétaire, administratif et financier des établissements publics d'enseignement supérieur.
Enfin, le décret confie au seul recteur de région académique la représentation des académies de la région dans différentes instances régionales.
V.L.