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Enfance / Jeunesse - Protection de l'enfance : les propositions du Cese pour limiter les ruptures de parcours

Comment sécuriser le parcours des "incasables", ces "jeunes aux difficultés multiples" qui ne restent pas longtemps dans une structure ou une famille d'accueil ? Comment soutenir davantage les jeunes à la sortie du dispositif de protection, alors qu'ils ne peuvent bien souvent pas compter sur les solidarités familiales ? Dans son avis voté ce 13 juin, le Cese met en avant la nécessité du partenariat entre professionnels, d'une gouvernance nationale et locale plus intégrée et du partage de "cadres nationaux" ou encore d'une garantie d'accompagnement dans la durée des jeunes sortants de l'aide sociale à l'enfance. 

Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a adopté ce 13 juin après-midi, par 152 voix pour et 6 abstentions, un avis sur la prévention des ruptures dans les parcours en protection de l'enfance. Répondant à deux saisines du Premier ministre de mars 2018 et destinées à "nourrir la future stratégie interministérielle pour la protection de l'enfance et de l'adolescence (2018-2022)", les préconisations se concentrent sur les jeunes qui subissent le plus ces ruptures : les jeunes aux difficultés multiples et les jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE).
Les premiers sont les fameux "incasables" de la protection de l'enfance, ceux qui "ne sont accueillis de façon 
durable et adaptée par aucune structure", selon les termes de la lettre de saisine du Premier ministre. Si ces mineurs "ne rentrent pas dans les cases existantes des prises en charge", le Cese estime qu'"il convient de satisfaire leurs besoins là où elles et ils sont, dans des institutions qui doivent être pluridisciplinaires et préparées à comprendre les passages à l’acte problématiques dont elles et ils peuvent être les auteurs".

Donner les moyens aux ODPE d'animer le partenariat local 

Il importe d'abord de renforcer la prévention des situations à risque, les actions de santé et de sensibilisation des familles, "dès la petite enfance", à travers des protocoles pilotés par les départements et permettant d'impliquer "toutes les structures d’accueil du jeune enfant (structures périnatales, PMI, 
écoles, accueils collectifs de mineurs etc.)". Le travail en partenariat et en réseau doit aussi s'enseigner dans les formations, souligne le Cese.
Pour enfin mettre en œuvre une telle approche, "il faut des moyens, de l'investissement social qui permettra des économies dans le futur", estime Antoine Dulin, rapporteur de l'avis, interrogé par Localtis. "Il faut aussi du temps pour que les professionnels se connaissent et apprennent à travailler ensemble."
L'autre condition, mise en avant dans l'avis, est la clarification de la gouvernance. Au niveau local, il s'agirait de donner aux observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) les moyens d'"[assumer] leur nouveau rôle d’animation des partenaires de la protection de l’enfance en incluant les personnes concernées, jeunes et familles".

Lutter contre les inégalités territoriales par de la péréquation financière, mais aussi par le partage de référentiels nationaux

Au niveau national, la simplification de la gouvernance au bénéfice du groupement d'intérêt public "Enfance en danger", copiloté par l'Etat et les départements, serait nécessaire à l'harmonisation des pratiques. Le Cese propose la création d'un "fonds national de péréquation des dépenses de protection de l'enfance". "Pour accéder à ce fonds, les départements devraient accepter de partager des outils communs, tels que le référentiel d'évaluation des situations", indique Antoine Dulin, alors que ce référentiel qui a été finalisé début 2017 n'est utilisé aujourd'hui que dans 25 départements. La lutte contre les inégalités passe par l'appropriation de "cadres nationaux" de ce type, poursuit le rapporteur. L'élaboration d'un "cahier des charges commun et minimal pour les départements" permettant de préciser "les objectifs d'une mesure" ou encore "certaines normes" est également préconisée.

Davantage de moyens pour la prise en compte du handicap psychique

Pour "sécuriser" le parcours des jeunes en difficultés multiples, régulièrement changés de structure, le Cese recommande de miser sur "une prise en charge sur place via des équipes mobiles de pédopsychiatrie", avec l'objectif de garantir un droit d’accès effectif aux services dont la ou le jeune a besoin (scolarisation, consultations en CMP, etc.)". Il appelle enfin à "mieux prendre en compte le handicap psychique" de ces jeunes, dans l'ASE – formation des assistants familiaux, développement des accueils en famille thérapeutique – et dans le médico-social – renforcement de la pédopsychiatrie, "droit d’accès prioritaire aux Sessad et aux IME".
Plus généralement sur la notion de parcours, le Cese estime que "seule une meilleure connaissance permettra de mieux orienter les 
politiques publiques pour répondre aux besoins des enfants relevant de l’ASE". 


Revenu minimum social garanti ou droit spécifique pour les jeunes sortants de l'ASE : le Cese demande au gouvernement de choisir 

La deuxième partie de l'avis est centrée sur les jeunes sortants de l'ASE, dont la situation problématique est qualifiée de paradoxale puisqu'"il est demandé plus d’autonomie à 
des jeunes qui ont moins de ressources que les autres jeunes de leur âge (en 
termes de ressources financières, de réseau familial et social, d’acquis scolaire, de solidité psychologique voire de santé physique)". L'enjeu est crucial, selon le Cese qui rappelle qu'"environ 30% des moins de 30 ans utilisatrices et 
utilisateurs des services d’hébergement temporaire et de restauration gratuite 
nés en France ou arrivés avant 18 ans sont des anciennes et anciens de l’ASE ". 

Pour éviter les "sorties sèches" de l'ASE, le Cese considère que le gouvernement doit trancher entre deux scénarios : l'évolution du droit commun, avec la mise en place d'un "parcours d’accompagnement vers l’insertion assorti d’une garantie de ressources" pour tous les jeunes de 18 ans - soit un revenu minimum social garanti -, ou l'établissement d'"un droit spécifique" pour les jeunes majeurs. Il s'agirait, dans le cadre de la deuxième option, d'une prise en charge du jeune sortant de l'ASE "jusqu’à la fin des études ou le premier emploi durable" qui serait "cofinancée par l’Etat et les départements". Cette solution aurait plutôt la préférence du rapporteur, qui estime qu'"aujourd'hui, on considère qu'on n'a pas besoin de prendre en charge ces jeunes [dans le cadre des contrats jeunes majeurs, ndlr] car il y a le droit commun". Or, pour Antoine Dulin, la garantie jeunes et le parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (pacea) sont aujourd'hui insuffisants – durée, conditions d'accès, montant de l'allocation dans le cadre du Pacea – au regard des besoins des jeunes sortants de l'ASE.

Logement en FJT, parrainage de proximité et aide entre pairs

Le Cese plaide également pour un "accès inconditionnel" de ces jeunes au logement, par la création d'un fonds de solvabilisation pour l'accueil en foyer de jeunes travailleurs – une disposition que le gouvernement semble avoir retenue (voir notre article du 29 mai 2018) -, "par l’usage plus fréquent des baux glissants notamment en lien avec les bailleurs sociaux et par la mise en place en amont de la majorité de parcours résidentiels en semi-autonomie".
Pour améliorer l'accompagnement de ces jeunes vers l'autonomie, le Cese avance plusieurs pistes : la mise en œuvre dans chaque département du protocole d’accès à l’autonomie, la généralisation du parrainage de proximité pour aider les jeunes à se constituer un réseau, le soutien des structures organisant la solidarité entre pairs telles que les Adepape (Associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance), l'organisation de rendez-vous des droits par les CAF et MSA avec les départements pour les jeunes de l'ASE approchant de la majorité.

 

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