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Enfance / Finances - Mineurs non accompagnés : pas d'accord entre gouvernement et départements

 Edouard Philippe et les départements n'ont pas réussi à tomber d'accord sur la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) ce 12 mars lors d'une réunion à Matignon, et sont encore "loin des solutions définitives", selon le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), Dominique Bussereau. Un rapport d'inspection auquel l'ADF a participé avait préalablement posé les enjeux et dessiné deux scénarios possibles.

Malgré des "discussions intéressantes" et un Premier ministre "qui nous écoute", "on est encore loin des solutions définitives", a déclaré ce lundi 12 mars en fin d'après-midi à l'AFP le président de l'Assemblée des départements de France (ADF) à sa sortie d'une réunion de deux heures à Matignon, autour du Premier ministre, consacrée au dossier des mineurs non accompagnés (MNA). Une réunion qui succédait à celle qui avait rassemblé le matin même, toujours à Matignon, l'ensemble des associations d'élus locaux, dans le cadre de "l'instance de dialogue" de la Conférence nationale des territoires, au cours de laquelle il avait notamment été question des allocations individuelles de solidarité (voir ci-dessous notre autre article de ce jour).
"Nous nous sommes donné conjointement un délai de quelques semaines" pour parvenir à un accord, a-t-il indiqué. En sachant que, comme le fait entendre l'ADF depuis plusieurs mois, les départements refusent de discuter des pactes financiers Etat-départements tant qu'un accord n'aura pas été trouvé sur ce dossier des MNA ainsi que celui du financement des AIS, a rappelé Dominique Bussereau. "Durant cette période nous n'irons pas voir les préfets pour discuter des contrats entre les départements et l'Etat", a-t-il confirmé.
Le gouvernement est prêt à revoir le financement de la prise en charge de ces mineurs étrangers isolés sur le territoire français, mais les discussions achoppent sur la part de l'Etat. Selon le compte-rendu de Dominique Bussereau, le Premier ministre a notamment proposé "la prise en charge totale par l'Etat de la période d'évaluation (de la minorité, ndlr) et de la mise à l'abri". Mais malgré ce "pas du gouvernement", les départements n'ont pas obtenu gain de cause sur leur demande de pérenniser un soutien financier de l'Etat accordé par le gouvernement Cazeneuve pour 2017, à savoir un remboursement aux départements de 30% du coût de la prise en charge au-delà d'un seuil de 13.000 mineurs mis à l'abri. "On ne peut pas repartir en arrière", a dit le président de l'ADF. Avec un coût estimé à plus de 50.000 euros par an et par personne, la charge annuelle pour les départements s'élève selon l'association à plus d'un milliard d'euros au titre de l'Aide sociale à l'enfance (ASE).

Un "socle commun" de mesures indispensables

Cette nouveau temps de discussion dans ce contentieux récurrent depuis plus d'un an intervenait alors qu'un rapport de trois inspections générales - affaires sociales (Igas), administration (IGA) et justice (IGJ) -, auquel l'ADF elle-même a participé (à travers son directeur général et deux représentants de directions générales de départements, Meurthe-et-Moselle et Oise) a été finalisé. Un rapport qui a déjà donné lieu à une première note très complète en janvier 2018, non diffusée officiellement mais qui a circulé. Laquelle permet de comprendre quelles sont les hypothèses en jeu et en discussion.
Dans leurs préconisations, les inspections générales distinguaient deux composantes. D'une part, un "socle" commun de mesures qu'elles recommandent d'appliquer quel que soit la solution retenue pour la prise en charge financière et effective des MNA. D'autre part, deux scénarios sur la prise en charge : compétence inchangée pour les départements mais avec un soutien financier accru de l'Etat, ou transfert pur et simple à l'Etat de la compétence de mise à l'abri et d'évaluation de la situation (et donc de la minorité des MNA).
Sur le "socle commun", la mission formule sept recommandations. La première, "qui doit être considérée comme prioritaire par les pouvoirs publics", consiste à accroître les capacités de mise à l'abri - autrement dit les capacités d'hébergement - des MNA, dont bon nombre se retrouvent aujourd'hui à la rue ou dans des conditions extrêmement précaires. Il s'agirait à la fois de mettre des bâtiments publics à disposition en allant au besoin jusqu'à des réquisitions préfectorales et de créer une offre spécifique sous forme de "centres de mise à l'abri" (constructions neuves ou réhabilitation de locaux). Cet accroissement de l'offre d'hébergement pour les MNA - dont le périmètre n'est toutefois pas chiffré - pourrait être complété par un recours accru à des familles d'accueil ou à des initiatives de la société civile (accueil temporaire par des particuliers).

Une durée maximale remboursée d'évaluation portée de 5 à 25 jours

Autre recommandation : porter le délai maximal d'évaluation ouvrant droit à remboursement par l'Etat de 5 jours actuellement à 25 jours, alors que, selon l'ADF, le délai réel est d'une quarantaine de jours. Pour tenir ce délai de 25 jours, l'Etat devrait s'engager à effectuer les vérifications documentaires (papiers, état civil dans le pays d'origine...) dans un délai maximal de 20 jours.
Les inspections générales préconisent également de "modéliser l'évaluation" - qui donne lieu aujourd'hui à des différences importantes entre départements -, grâce à l'élaboration d'un référentiel national. Dans cette phase d'évaluation, elles préconisent de réaliser systématiquement un bilan de santé, incluant notamment soins urgents, examen clinique et accompagnement éventuel par un professionnel de santé en cas de syndrome de stress post-traumatique.
De même, la mission recommande de protéger dès le premier accueil les jeunes "manifestement mineurs", avec mise à l'abri immédiate, saisine du parquet sans attendre le délai de cinq jours et orientation "dès que possible" vers des structures de l'aide sociale à l'enfance (ASE).
A l'inverse, un circuit court et spécifique devrait être organisé pour les jeunes "manifestement majeurs", afin d'éviter la cohabitation dans un même centre avec les mineurs. Les droits de ces jeunes seraient protégés par une notification écrite du refus d'admission à l'ASE, avec indication des voies de recours. Dans le même esprit, les inspections générales préconisent d'éviter les réévaluations (jeunes évalués successivement dans plusieurs départements) en créant un fichier national biométrique des jeunes déjà évalués majeurs.
Sans vraiment trancher, les inspections générales soulèvent également la question de la mise à l'abri des jeunes se déclarant MNA mais reconnus majeurs et qui formulent un recours contre la décision (d'où parfois plusieurs mois à la rue en attendant le résultat du recours auprès du juge des enfants). Dans l'hypothèse d'un maintien de la mise à l'abri durant cette période, la mission évalue le coût dans une fourchette très large allant de 6 millions à 108 millions d'euros selon le nombre de jeunes concernés, le délai moyen de décision par le juge des enfants (un mois ou quatre mois) et la solution d'hébergement retenue (centres d'hébergement d'urgence ou hébergement hôtelier).

Scénario 1 : soutien renforcé de l'Etat aux départements

Les deux scénarios font l'objet d'une analyse détaillée, y compris en termes d'impact financier, qui est au cœur du contentieux entre les départements et l'Etat. Le scénario 1 (compétences inchangées avec un remboursement accru de l'Etat) repose sur l'hypothèse d'une durée forfaitaire de remboursement - la mission excluant un remboursement aux frais réel - de quatorze jours, au lieu des cinq jours actuels. Cette moyenne correspond à 25% de jeunes manifestement mineurs (évalués en trois jours), 25% de jeunes manifestement majeurs (idem) et 50% de jeunes "incertains", évalués dans le délai maximal préconisé de 25 jours (cf. supra).
Les calculs sur ce scénario ont été effectués sur la base d'un remboursement forfaitaire de l'évaluation estimé à 500 euros, pour un coût unitaire réel de 439 euros pour l'évaluation socioéducative, porté à 520 euros avec un volet sanitaire. Si on ajoute la prise en charge du coût de mise à l'abri, le remboursement par l'Etat aux départements serait de 70,4 millions d'euros pour 40.000 jeunes évalués, de 88 millions pour 50.000 jeunes et de 105,6 millions pour 60.000 jeunes. Ces coûts n'incluent pas la mise à l'abri durant l'examen des éventuels recours.

Scénario 2 : transfert à l'Etat

Le second scénario (transfert à l'Etat de la compétence de l'accueil provisoire d'urgence et de l'évaluation) a clairement la préférence des départements (voir notre article ci-dessous du 15 février 2018), mais est fortement rejeté par les associations (voir notre article ci-dessous du 10 novembre 2017). Dans ce cas de figure, le coût budgétaire global pour l'Etat serait de 125 millions d'euros pour l'hypothèse intermédiaire de 50.000 jeunes : 20 millions pour créer un parc d'hébergement ad hoc de 2.000 places, 63 millions pour la mise à l'abri pendant 14 jours à 90 euros la nuit (bas de la fourchette de 90 à 120 euros), 25 millions pour l'évaluation hors fonction support, 12 millions pour les fonctions supports et 5 millions pour le fichier biométrique des personnes évaluées majeures.
La question budgétaire est toutefois loin d'être la seule posée par le scénario 2. Un transfert de compétence soulève en effet plusieurs questions : la création des capacités d'hébergement nécessaires (cf. supra), l'acquisition des compétences et le recrutement des personnels, l'organisation de l'évaluation (avec créations de plateformes pluri-départementales, intégrées ou non à l'hébergement)... Mais il suppose aussi de faire un choix sur l'autorité compétente pour l'évaluation : le procureur de la République ou le préfet ? Les inspections générales (et l'ADF) penchaient nettement pour la seconde solution, dans la mesure où "à effectifs constants de magistrats et de fonctionnaires, les parquets seraient dans l'incapacité d'absorber le volume de procédures engendrées par le flux d'arrivées".

 

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