Dépenses sociales des départements : moins de marge de manœuvre, mais plus d'inventivité
L'Observatoire national de l'action sociale (Odas) a présenté ce 23 mai l'édition 2018 de son étude annuelle sur les dépenses départementales d'action sociale, portant sur les données de l'année 2017. Les résultats de cette étude, réalisée sur un échantillon de 43 départements, présentent aujourd'hui une grande fiabilité, au point que les chiffres "officiels" de la Drees (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques des ministères sociaux) viennent systématiquement les confirmer quelques mois plus tard.
Une dépense brute de 37,5 milliards d'euros, en hausse de 1,6%
Pour Jean-Louis Sanchez, le fondateur et délégué général de l'Odas, le bilan de cette année est mitigé car, "derrière une situation quasi normalisée se dissimulent des inquiétudes fortes". Le titre donné à cette édition 2018 - "Un effritement inquiétant des marges de manœuvre" - entend d'ailleurs refléter cette perception.
Côté normalisation, la - relative - stabilisation des dépenses sociales est bien là, et ce pour la seconde année consécutive (voir notre article ci-dessous du 31 mai 2017). En effet, les dépenses départementales d'action sociale ont progressé l'an dernier de 1,6%, contre 1,9% en 2016 et une moyenne annuelle de l'ordre de 3% dans les années antérieures. Ces dépenses brutes atteignent désormais un total de 37,43 milliards d'euros.
De son côté, la charge nette (dépense brute d'action sociale, moins les contributions financières de l'Etat et de la CNSA pour diverses allocations) s'est élevée l'an dernier à 29,15 milliards d'euros, soit une progression de 1,7%.
"On ne comprend pas la poursuite de la progression du nombre de PCH"
En termes de répartition, les dépenses de protection de l'enfance - "compétence la plus importante et la plus sensible des départements" - ont atteint l'an dernier 7,37 milliards d'euros (+1,4%). Alors que les départements ont dû faire face en 2017 à la prise en charge de 8.500 mineurs non accompagnés (MNA) supplémentaires (+62%), la progression des dépenses de protection de l'enfance apparaît très modérée. Claudine Padieu, la directrice scientifique de l'Odas, y voit au moins trois raisons : des prix de journée en baisse pour les établissements de protection de l'enfance, la recherche de solutions innovantes et moins coûteuses que les MECS (maisons d'enfants à caractère social) et surtout la chute - jugée inquiétante - du soutien aux jeunes majeurs.
Pour sa part, le soutien aux personnes handicapées reste la dépense la plus dynamique. Elle a progressé l'an dernier de 2,7%, pour atteindre 7,52 milliards d'euros (6,78 milliards d'euros et +2,7% si on tient compte du concours financier de la CNSA). Cette progression est d'autant plus à souligner que les créations de places (70% des dépenses vont à l'hébergement) sont pratiquement terminées. La hausse tient donc essentiellement à la progression de la prestation de compensation du handicap (PCH, +5%) et de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), qui conserve encore quelques dizaines de milliers de bénéficiaires. Mais, comme l'explique Claudine Padieu, "on ne comprend pas la poursuite de la progression du nombre de PCH, dix ans après la création de la prestation...".
Insertion : tout pour le RSA ?
La hausse est plus modérée du côté des personnes âgées. La dépense brute progresse certes, l'an dernier de 2,4% à 7,06 milliards d'euros, mais elle est ramenée à une charge nette de 4,93 milliards d'euros et +1,5%, si on tient compte des concours de la CNSA, qui atteignent cette année un pic de 36% du total de la dépense (avant de retomber à 31% dès 2018).
Enfin, les dépenses d'insertion s'élèvent en 2017 à 10,27 milliards d'euros (+1,1%), dont 9,6 milliards pour le versement du RSA. La modération de ce poste s'explique par la lente décrue du nombre de bénéficiaires (11.000 de moins en 2017, sur un total qui reste tout de même de 1,6 million). La dépense brute de RSA progresse néanmoins de 1,1% sous l'effet de la revalorisation de la prestation, tandis que la charge nette progresse deux fois plus vite (+2%) en raison du gel de la dotation de l'Etat. Dernier point à noter : les crédits consacrés au financement des actions d'insertion ne représentent que 7% du total de la dépense, alors que l'objectif initial lors de la création de la prestation était fixé à 20%.
La part des allocations dans les dépenses sociales est passée de 10% à 47% en quinze ans
L'augmentation modérée des dépenses départementales d'action sociale (+1,6% en brut et +1,7% en charge), pour la seconde année consécutive, devrait donc être un sujet de satisfaction pour des départements présentés comme financièrement exsangues. D'autant que s'ajoute un autre motif de satisfaction, avec des recettes fiscales (hors transferts) en hausse de 4,5% sur la même année (même si elles sont pour partie obérées par une nouvelle ponction de l'Etat sur la dotation globale de fonctionnement, à hauteur de 1,1 milliard d'euros).
Pourtant, les choses ne sont pas si simples aux yeux de l'Odas. Tout d'abord, la progression des dépenses départementales d'action sociale reste supérieure à l'inflation (+1,2% en 2017) et à l'objectif - identique - de progression des dépenses dans le cadre du pacte de confiance entre l'Etat et les collectivités.
Ensuite et surtout, les départements sont confrontés à "un effritement inquiétant des marges de manœuvre", même si celui-ci ne date pas de 2017. Didier Lesueur, le directeur général de l'Odas, explique ainsi que la part des allocations - sur lesquelles la marge de manœuvre des départements est réduite - est passée de 10% de leurs dépenses sociales en 2001 à 47% en 2017... Si on ajoute que les dépenses d'hébergement des personnes âgées ou handicapées représentent, pour leur part, 37% du total, on voit bien que plus de 80% des dépenses sociales des départements sont devenues des dépenses "contraintes".
Un "changement de métier" pour les départements ?
Pour Didier Lesueur, il s'agit là d'un "changement de métier" des départements. Pour Jean-Louis Sanchez, avec le poids de dépenses et des charges obligatoires, les départements "deviennent des collectivités de gestion et non pas de développement social, comme le prévoyait la décentralisation".
On pourrait toutefois objecter qu'en dépit de ces marges de manœuvre de plus en plus réduites, il existe des écarts considérables entre départements dans la mise en œuvre des politiques sociales et des diverses allocations. Ces écarts - que le contexte sociodémographique propre à chaque département ne suffit pas à expliquer - sont d'ailleurs régulièrement pointés par les associations ou la Cour des comptes. Ce n'est pas non plus pour rien que la CNSA tente, depuis plusieurs années, d'harmoniser les modalités de mise en œuvre de la PCH entre départements.
L'Odas évoque aussi d'autres sujets d'inquiétude, comme le fait que l'apparente amélioration observée sur les dépenses sociales repose sur deux "éléments fragiles" : le caractère aléatoire des recettes - un nouveau renversement du marché immobilier remettrait en cause la dynamique des DMTO (droits de mutation à titre onéreux) - et des perspectives de l'emploi qui demeurent fragiles, surtout si on tient compte du "halo du chômage" (environ 1,5 million de personnes dans des situations intermédiaires entre emploi et inactivité et dont le nombre progresse).
De même, Jean-Louis Sanchez s'inquiète des effets possibles du recul du soutien aux jeunes majeurs et, plus encore, des effets nocifs de la déliquescence des liens familiaux et sociaux, "qui va obliger à renforcer l'investissement sur l'enfance et la jeunesse".
Inventivité et CPOM : des raisons d'espérer
Tout n'est pas noir pour autant et l'Odas garde quelques "motifs d'espoir". Après des années où l'essentiel de leur action tournait autour des tentatives de maîtrise des dépenses, les départements font en effet preuve à nouveau d'inventivité, retrouvant ainsi une capacité d'initiative et d'innovation comme dans les premiers temps de la décentralisation. L'Odas elle-même l'a d'ailleurs bien montré dans sa récente étude sur la façon dont de nombreux départements font face à la prise en charge des MNA (voir notre article ci-dessous du 29 janvier 2018). Qu'il s'agisse d'une conséquence de la contrainte budgétaire ou d'un goût retrouvé pour l'innovation sociale, le mouvement semble bien engagé. Concentré sur le champ de l'enfance, il pourrait s'étendre à d'autres domaines de l'action sociale, comme celui des personnes âgées.
Autre point positif : les CPOM (contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens), dont la pratique se généralise, apparaissent de plus en plus comme des "outils d'assouplissement". Pour Jean-Louis Sanchez, "les CPOM favorisent l'innovation, en permettant de sortir du cadre" et de s'affranchir de certains aspects d'une réglementation jugée trop rigide.
Autant d'opportunités à disposition des départements et, plus largement, des acteurs sociaux de terrain, pour retrouver des marges de manœuvre...