Protection de l’enfance : la Gironde annonce un important virage vers la prévention
S’inspirant des pratiques jugées prometteuses du Québec, le département de la Gironde entreprend de réorienter de fond en comble sa politique de protection de l’enfance. L’objectif : désinstitutionnaliser le système pour offrir un cadre plus stable et favorable aux enfants, en limitant les placements en établissement et leur durée et en s’appuyant bien davantage sur la prévention et l’accompagnement à la parentalité. Le contexte budgétaire ne fait qu’accélérer cette transformation nécessaire, explique le président du département.

© Département de la Gironde / Emmanuel Ronot, Jean-Luc Gleyze et Céline Goeury
"Nous sommes en train de concevoir de façon différente la protection de l’enfance", a annoncé Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde, le 26 mars 2025 lors d’une conférence de presse. Inscrite dans le nouveau schéma départemental de la protection de l’enfance, la "transformation" de cette politique, qui s’effectuera sur plusieurs années, poursuivra quatre orientations : "Plus de prévention précoce, plus d’accompagnement à la parentalité, moins de placements institutionnels et moins de rupture dans les parcours de vie", a présenté l’élu.
La protection de l’enfance est devenue le premier poste budgétaire dans beaucoup de départements. En Gironde, en 2024, c’est "le seul budget à avoir progressé en atteignant 329,7 millions d’euros, dont 291,6 millions pour l’hébergement et 38,1 millions pour la prévention", pour 12.000 enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE) dont 6.780 enfants confiés.
L’impératif de désinstitutionalisation
En France, malgré les sommes importantes qui lui sont consacrées, la protection de l’enfance est unanimement considérée comme "à bout de souffle". Sont cités les rapports de la Cnape (Convention nationale des associations de protection de l’enfance), du Conseil économique, social et environnemental (voir notre article), de la Défenseure des droits et de la commission d’enquête parlementaire présidée par la députée Isabelle Santiago qui s’apprête à rendre publiques ses conclusions. "Un des éléments fondamentaux de convergence de ces rapports, c’est la désinstitutionalisation", souligne Jean-Luc Gleyze.
Pour ce dernier, le placement s’impose parfois, mais ce n’est pas le cas le plus fréquent. "Sur la totalité des enfants confiés au département, 20% sont placés pour cause de maltraitance (ils sont en danger dans leur famille et doivent bénéficier d’une mesure de placement), 80% sont confiés à l’ASE pour des carences éducatives", indique le président de département, ajoutant qu’il conviendrait dans ces cas-là de prioriser l’accompagnement de la famille en vue du maintien de l’enfant dans son environnement.
Or, "on est encore dans cet inconscient collectif" du placement qui serait a priori la solution préférable, insiste Jean-Luc Gleyze. D’où la difficulté du "virage" que la Gironde entreprend : l’enjeu est de faire évoluer tout un écosystème, ce qui implique "un changement culturel". La question de la durée est particulièrement mise en avant : le passage en protection de l’enfance, a fortiori dans le cadre d’un placement, ne devrait être que "temporaire". Permettre aux enfants de "sortir du champ de la protection de l’enfance", et non pas d’y passer toute leur enfance, c’est cela "la vraie réussite" de cette politique, affirme le président de la Gironde.
Transformer la structure de l’offre d’accueil et d’accompagnement
En 2025 en Gironde, le budget de la protection de l’enfance amorcera une baisse : de l’ordre de 2% par rapport au total issu du budget supplémentaire 2024. Adopté le 31 mars, le budget du département diminue plus globalement d’un peu plus de 100 millions d’euros, mais entérine l’attribution de la prime Ségur pour des professionnels de terrain qui ne la touchaient pas jusqu’à présent, y compris en protection de l’enfance – le président réclamant à l’État "la juste compensation d’une dépense vertueuse, mais imposée".
"L’aspect budgétaire nous amène à accélérer la démarche", souligne Jean-Luc Gleyze, en réponse aux critiques et inquiétudes qui se sont exprimées. L’élu met en avant "un choix politique d’orientation" visant à "garantir l’intérêt supérieur de l’enfant", tout en répondant aux préconisations nationales et en s’appuyant sur l’expérience du système québécois dont les résultats sont jugés probants.
Concrètement, le département entend progressivement transformer des lieux de placement de type maisons d’enfant à caractère social (mecs) ou encore des "chambres en ville" (colocation pour jeunes majeurs qui sont accompagnés par des associations) en d’autres modes de prise en charge et d’accompagnement : accueil familial, placement éducatif à domicile, accompagnement éducatif en milieu ouvert, tiers dignes de confiance ou encore dispositifs de droit commun.
"Il s’agit de réadapter notre dispositif de manière territorialisée", précise Céline Goeury, 1e vice-présidente en charge de la prévention, la parentalité et la protection de l’enfance. "Sur les mesures qui aujourd’hui ne sont pas exécutées, beaucoup portent sur le placement éducatif à domicile", ajoute-t-elle. Après avoir rencontré chacune des associations partenaires, la direction de la protection de l’enfance procèdera, territoire par territoire, à une analyse de l’offre par rapport aux besoins, pour identifier d’éventuels "trous dans la raquette" ou à l’inverse des dispositifs qui seraient redondants entre eux.
Lorsque le placement s’impose, le département veut s’appuyer le plus possible sur l’accueil familial – actuellement, trois quarts des enfants placés dans le département le sont en établissement et un quart seulement en famille d’accueil. L’accueil en petites unités est également jugé intéressant, à l’instar de ce que développe l’Établissement public national médicosocial (Epnak) qui accueille des enfants dits à "double vulnérabilité" (handicap et protection de l’enfance). Mais ce type de dispositifs coûte cher et le président de département appelle également l’État à "assumer ses propres responsabilités" – 200 places de l’ASE sont selon lui "embolisées" par des enfants qui relèvent d’une prise en charge pédopsychiatrique.
En juin, le département organisera un "forum dédié à la transformation de l’offre". D’ici là, un travail sera mené avec les travailleurs sociaux du département, les associations délégataires et également les magistrats. Les modalités et le rythme de la transformation s’affineront ainsi, petit à petit. Le président de la Gironde l’espère : "Quand on aura embarqué tout le monde, on pourra se fixer des objectifs chiffrés."