Projet de loi Pacte : quel impact territorial ?
Qu'y a-t-il de commun entre l'expérimentation de la voiture autonome, la simplification de la création d'entreprise et du soutien à l'export, la réforme de la gouvernance de la Caisse des Dépôts et la privatisation d'ADP ? Le projet de loi Pacte, présenté en conseil des ministres le 18 juin. Tour d'horizon des mesures intéressant les collectivités.
"Tout vient à point à qui sait attendre." A l’issue du conseil des ministres, le 18 juin, Bruno Le Maire savourait le moment, après huit mois de labeur pour donner naissance à son projet de loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises). De report en report, ce texte fleuve de soixante-dix articles destiné à "renouer avec l’esprit de conquête économique" sera examiné à l'Assemblée à partir de septembre... avant le projet de loi de finances pour 2019.
S’il s’est vu au dernier moment ajouté un volet "privatisation" de trois entreprises emblématiques (ADP, Engie et la Française des jeux), le texte vise avant tout à simplifier la vie des entreprises, à tous les stades de leur existence, de la création à la transmission. Des entreprises qui peinent à grandir et à exporter : la France compte 5.800 entreprises de taille intermédiaire contre 12.500 en Allemagne, souligne Bercy. Et environ 125.000 entreprises exportatrices sur 3,8 millions de PME, quand l'Italie en compte 220.000 et l'Allemagne 310.000, l'objectif du gouvernement étant d'en avoir 200.000.
Plus que trois seuils pour les entreprises
Le projet de loi entend ainsi corriger les effets de seuils dont le fameux rapport Attali indiquait (déjà) qu’ils constituaient "un frein à la croissance et à la création d’emploi". Il n’en retient plus que trois : 11, 50 et 250 salariés (article 6). Désormais, les obligations sociales et fiscales correspondantes ne seront effectives que cinq ans après le franchissement du seuil, de manière à s’assurer d’une certaine stabilité. Par ailleurs, le seuil de 20 salariés sera supprimé (exception faite de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés). D’autres seront rehaussés de 20 à 50 salariés, c’est le cas pour la participation de l’employeur à l’effort de construction (Peec) qui alimente Action logement, ou de la fin du taux réduit pour la contribution au Fonds national de l’aide au logement (Fnal). Pour ce dernier, le manque à gagner pour les finances publiques serait de 190 millions d’euros. Quant au Peec, un accord a été trouvé avec Action logement, il serait compensé intégralement par le gouvernement (280 millions d’euros en 2019 et 290 millions d’euros en 2020).
La règle des cinq ans aura aussi un impact sur le versement transport, une contribution versée par tout employeur de plus de onze salariés pour financer le transport en commun. Pour les collectivités, le manque à gagner serait nul les trois premières années, de 15 millions la quatrième année et de 45 millions d’euros la cinquième année, avant de se stabiliser à une perte de 30 millions d’euros en régime de croisière, d’après l’étude d’impact du projet de loi. Comme s’y était engagé le Premier ministre le 28 mai, à l’issue d’une réunion du Conseil national de l’industrie, le gouvernement ne touchera en revanche pas avant 2020 à la "fiscalité de production", qui fait actuellement l’objet de discussions ardues avec les associations d’élus et le Medef.
Création, transmission, reprise
Concernant la création d’entreprise, le texte envisage de mettre en place un guichet unique électronique qui, à compter du 1er janvier 2021, remplacera les sept réseaux de centres de formalités (relevant aujourd’hui des chambres consulaires, des tribunaux, des Urssaf, des impôts, etc.) et les différents sites existants (article 1). A noter que les maires et présidents d’intercommunalités resteront compétents pour traiter certaines demandes d’autorisations (chambres d’hôtes, meublés de tourisme, licences de débits de boissons, établissements recevant du public, lieux de baignade ou piscines).
En matière de transmission des entreprises, le texte reste en-deçà des enjeux territoriaux (avec environ 60.000 transmissions par an) et se contente d’un toilettage du "pacte Dutreil", qui permet une exonération de 75% des droits de succession des titres d’une entreprise familiale, avec des contreparties assez strictes sur la gouvernance. Encore ne fait-il que renvoyer au projet de loi de finances pour 2019 pour les détails. Dans leur proposition de loi adoptée le 7 juin, les sénateurs Claude Nougein (LR, Corrèze) et Michel Vaspart (LR, Côtes-d’Armor) suggèrent d’augmenter le taux à 90%. Pacte ne revient pas sur la disposition de la loi Hamon qui oblige les dirigeants d’une entreprise à informer les salariés de leurs projets de cession pour envisager une reprise interne, comme le proposent les sénateurs. Mais il assouplit au contraire les conditions de reprise par les salariés en supprimant le nombre minimum requis aujourd’hui fixé à 30% des effectifs.
Des réformes institutionnelles
Le projet de loi inscrit dans le marbre la réforme déjà engagée du dispositif de soutien à l’export, alors que la France a encore enregistré un déficit de 62 milliards d’euros en 2017. Il vient ainsi aménager la gouvernance de Business France, pièce maîtresse du dispositif. Les régions verront leur poids augmenter dans son conseil d’administration (article 7).
Les chambres de commerce et d’industrie - qui ont dû entreprendre un profond travail de recomposition sur fond d’importantes coupes budgétaires ces dernières années -, auront plus de facilités à fournir des services payants, en plus de leurs missions d’intérêt collectif financées par la taxe pour frais de chambre. Elles pourront davantage recourir aux contrats de droit privé, sachant qu’aujourd’hui 90% de leurs employés sont sous statut public. Les relations contractuelles avec les collectivités ne seront pas affectées (article 13).
Au titre institutionnel, le texte envisage aussi de modifier la gouvernance de la Caisse des Dépôts "pour améliorer ses actions en faveur des territoires", selon le texte. Il s’agit notamment de "renforcer les prérogatives" de sa Commission de surveillance qui a aujourd’hui un rôle essentiellement consultatif, notamment en matière d’investissements. Elle passerait de 13 à 15 membres, avec quatre personnalités qualifiées désignées par l'Etat. En revanche, les représentants de la Banque de France, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes en sortiraient (articles 30 à 39). Le projet de loi permet de lancer la réforme territoriale des réseaux des conseils régionaux des experts-comptables, amenés à passer de 26 à 16, pour se caler sur la nouvelle carte des régions (article 10).
La voiture autonome arrive sur les routes
Le projet de loi comporte aussi toute une série de mesures disparates. Il en va du soutien au commerce - les soldes seront ramenées de 6 à 4 semaines, par arrêté du ministre de l’Economie, afin de concentrer leur impact sur une période plus courte et contribuer ainsi à la redynamisation des centres-villes (article 8) – ou à l’artisanat. Le stage de préparation à l’installation (194 euros à la charge du futur artisan) sera rendu facultatif. La taxe qui abondait le Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat ayant été supprimée au 1er janvier 2018, les organisations professionnelles pourront mettre en place des contributions privées afin de financer des campagnes de communication (article 5).
Les micro-entrepreneurs dégageant moins de 5.000 euros de revenus annuels seront dispensés de l’obligation de créer un compte professionnel et seront exonérés de contribution foncière des entreprises (article 12).
Le projet de loi comporte aussi quelques avancées pour les PME vis-à-vis des acheteurs publics. Il transpose une directive européenne sur la facturation électronique (article 63). Le taux des avances versées aux PME dans le cadre de marchés publics passera de 5 à 20%.
Le champ d’expérimentation des véhicules autonomes sera élargi aux cas d’inattention ou d’absence de conducteur (article 43). Ce qui permettra leur entrée en service sur les routes à compter de 2022, sachant que les 54 expérimentations en cours sont réservées aux transports collectifs aux seuls véhicules affectés au transport public de personnes. Le tout fait l’objet des adaptations nécessaires en matière de responsabilité pénale.
Financements, investissements étrangers, privatisations
Le projet de loi entend par ailleurs "diversifier" les sources de financement des entreprises. Il contient plusieurs mesures destinées à diffuser plus largement l'épargne salariale dans les PME (articles 57 et 58). Principal levier proposé : la suppression du forfait social pour l'ensemble des versements d'épargne salariale dans les entreprises de moins de 50 salariés et pour les sommes versées au titre de l'intéressement dans celles de moins de 250 salariés. D'autres articles visent à développer l'actionnariat salarié dans les entreprises, notamment en élargissant le champ des opérations soumises à obligation d'offre réservée aux salariés dans le cadre de cessions de participations par l'Etat.
Le texte joue par ailleurs sur un curieux effet ciseaux entre, d’une part, une meilleure protection des entreprises stratégiques et, de l’autre, le désengagement de l’Etat dans trois entreprises jugées non stratégiques (ADP, Engie et la Française des jeux). Un décret viendra ainsi élargir la liste des secteurs sensibles nécessitant une autorisation préalable pour tout investissement étranger : les semi-conducteurs, le spatial, les drones, l’intelligence artificielle, la cyber-sécurité, la robotique et le stockage de données massives (article 55). Cette liste avait déjà été élargie en 2014 par Arnaud Montebourg en pleine affaire Alstom, ce qui n’avait pas empêché le rachat de sa branche énergie par General Electric.
Concernant les trois privatisations (articles 44 à 52), le produit des cessions servira à alimenter le nouveau Fonds pour l’innovation de rupture à hauteur de 10 milliards d’euros. Cette somme sera placée sur un compte au Trésor et seuls les revenus financiers de ce placement serviront à financer l’innovation sous forme de subventions, d’avances remboursables ou de prêts, pour un montant estimé entre 200 et 300 millions d’euros par an.
Des entreprises "plus justes"
"Rendre les entreprises plus justes" : c'est l'objet du troisième chapitre du projet de loi. Il reprend en particulier certains éléments du rapport Notat-Senard (voir notre article du 9 mars 2018) pour "repenser la place des entreprises dans la société". L'article 61 prévoit ainsi la modification du code civil et du code du commerce pour y introduire les notions d'"intérêt social" et d'"enjeux sociaux et environnementaux". "La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité" : si elle est avant tout symbolique, cette mention inscrivant la responsabilité sociale des entreprises dans le code civil était attendue. Une entreprise aurait aussi la possibilité d'inscrire dans ses statuts sa "raison d'être".
Si l'Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire a salué dans un communiqué du 18 juin ces dispositions, elle a appelé à ne pas conférer aux futures "entreprises à mission" – celles qui auront défini leur "raison d'être" – les "mêmes dispositions fiscales et modes de financement que les entreprises de l'ESS qui présentent des ambitions et des contraintes bien plus fortes".
Autre enjeu pour une entreprise responsable : la représentation des salariés au sein des conseils d'administration. Nicole Notat et Jean-Dominique Senard préconisaient de la renforcer en visant une proportion de 33% d'administrateurs salariés. Le projet de loi (article 62) ne propose que de rendre obligatoire la présence de deux administrateurs salariés à partir de huit administrateurs non-salariés, contre 12 actuellement. Sont concernées les sociétés de plus de 1.000 salariés en France ou 5.000 en France et à l'étranger. Des obligations propres aux mutuelles feraient également leur apparition.
Le projet de loi entend aussi élargir et simplifier l'accès à l'agrément Entreprise solidaire d'utilité sociale (Esus) ouvrant notamment droit à l'épargne solidaire (article 29). Des entreprises oeuvrant pour la transition écologique, la promotion culturelle ou la solidarité internationale pourraient désormais y prétendre. Si la "sélectivité du dispositif" serait maintenue, les "modalités d'appréciation de l'impact des activités d'utilité sociale" seraient simplifiées et "l’obligation d’inscrire dans les statuts des entreprises candidates à l’agrément l’encadrement des écarts de rémunération" serait supprimée.
Le coût total des 70 mesures de Pacte est estimé par Bercy à 1,1 milliard d’euros en 2019 et 1,2 milliard en 2020. L’intégralité de ce coût serait supportée par "la revue des aides aux entreprises" en cours et qui devrait aboutir d’ici quelques semaines, a précisé le ministre.