Projet de loi d'orientation des mobilités : le marathon reprend à l'Assemblée
Près de 3.500 amendements à examiner au cours d'une vingtaine de séances prévues jusqu'au 14 juin : l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités en séance à l'Assemblée, qui a commencé ce 3 juin en milieu d'après-midi, s'annonce épique. De nombreux sujets qui se sont invités dans les débats tels que l'assouplissement des 80 km/h sur les routes départementales ou la taxation du transport aérien promettent de vifs débats dans l'hémicycle. Les questions environnementales ne manqueront pas de resurgir, les ONG jugeant d'ores et déjà le texte insuffisant au regard de l'enjeu climatique.
Les députés ont entamé en milieu d'après-midi ce 3 juin l'examen dans l'hémicycle du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Déjà passé au Sénat en première lecture, ce projet de loi tentaculaire, qui doit faire l'objet de 22 séances jusqu'au 14 juin, a gonflé d'une cinquantaine d'articles à plus de cent quarante et a généré le dépôt de près de 3.500 amendements, un record sous cette législature. En commission déjà, les députés avaient enchaîné les séances marathon pour venir à bout des quelque 3.000 amendements qui avaient été déposés à ce stade et en adopter au final 596.
Au micro de Sud Radio ce 3 juin, la ministre des Transports, Élisabeth Borne, a affirmé que le texte a "un objectif clair : des transports plus faciles, moins coûteux, plus propres". L'enjeu est "d'entretenir en priorité" réseaux ferrés et routes pour répondre à certains Français ayant l'impression de vivre dans un pays coupé en deux. "On a consacré l'essentiel de nos investissements dans les transports à faire des lignes à grande vitesse (LGV) et dans le même temps on a oublié une partie du pays où il y a un véritable sentiment d'injustice", reconnaît la ministre.
La limitation à 80 km/h sur les routes secondaires depuis juillet 2018, un des détonateurs de la crise des gilets jaunes, s'est invitée dans les échanges. Les présidents de conseils départementaux auront le pouvoir de relever la vitesse maximale sur certains tronçons, ont voté les députés en commission, après un feu vert du Premier ministre, Édouard Philippe. Mais des élus LR considèrent ce "revirement" comme "un trompe-l'oeil" et déplorent l'exclusion du dispositif des routes nationales, gérées par l'État. Ils réclament de revenir à la rédaction du Sénat qui autorisait aussi les préfets à relever la vitesse.
Autre sujet phare : la création d'un forfait "mobilités durables", qui permettra aux employeurs de rembourser à leurs salariés un montant maximum de 400 euros par an pour encourager les déplacements domicile-travail à vélo ou en covoiturage. Des élus des oppositions et de la majorité, Barbara Pompili (LREM) en tête, veulent rendre ce forfait obligatoire. Élisabeth Borne n'y est pas hostile mais souhaite laisser sa chance à la négociation dans les entreprises, plutôt réticentes à l'égard de ce dispositif onéreux.
Par ailleurs, sur le volet financier du texte, la ministre s'était aussi engagée lors des débats en commission à apporter des indications en séance sur les ressources complémentaires qui pourraient être affectées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, même si cela relève plutôt du projet de loi de finances.
Projet de loi "insuffisant" pour les ONG environnementales
Les ONG environnementales jugent globalement le projet de loi "insuffisant" dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre des transports. Elles réclament une "contribution climat" sur les billets d'avion, "complémentaire" d'une éventuelle suppression de la niche fiscale dont profite le kérosène. Alors qu'Emmanuel Macron veut "avancer" sur cette question à l'échelle européenne, des élus de sensibilité écologiste plaident pour envoyer un signal au niveau national. En commission, les députés ont accepté de créer une contribution, d'environ 30 millions d'euros annuels, prélevée sur les surplus de recettes de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite "taxe Chirac", pour financer les autres modes de transport. Il faut absolument aller plus loin", estime l'ancien "marcheur" Matthieu Orphelin, qui suggère de créer "une contribution écologique au décollage", idée partagée par l'ex-ministre de l'Écologie Delphine Batho (non inscrite). Cette dernière porte, avec des Insoumis dont François Ruffin, une autre proposition : interdire les vols intérieurs pour lesquels le même trajet est réalisable en train en cinq heures. Mais pour Élisabeth Borne, "il n'y a pas besoin de mettre des interdictions".
Le texte a en outre généré des tensions dans certains secteurs. Le 20 mai, des taxis, inquiets de voir leurs prérogatives exclusives réduites, ainsi que des auto-écoles, remontées contre la réforme à venir du permis - dont certaines dispositions figurent dans le texte - et encore des ambulanciers se sont mobilisés. Des syndicats ont pour leur part dénoncé des "manquements en matière de protection sociale de salariés" sur le cadre social de l'ouverture à la concurrence des lignes de bus et cars d'Île-de-France.
Le transport routier pointé du doigt par les ONG
"Alors que l'Assemblée nationale entame l'examen de la loi d'orientation des mobilités, aucune disposition n'aborde le trafic routier de marchandises ni ses coûts induits pour nos concitoyens", s'insurgent dans une lettre ouverte adressée ce 3 juin à Emmanuel Macron France Nature Environnement, le réseau Action Climat (22 organisations), la fondation Nicolas-Hulot, l'association Santé Environnement France, Respire, les collectifs Air Santé Climat, Strasbourg Respire et Collectif Médical Vallée Arve. Dans l'Hexagone, "le nombre de camions en circulation ne cesse de croître avec un impact grave sur la santé des Français et leurs finances à un double titre : la prise en charge des impacts sur la santé et l'entretien de routes toujours plus abîmées", relèvent les ONG. "Monsieur le Président de la République, (...) il est temps de prendre les mesures qui s'imposent pour donner corps à votre souhait de garder notre 'Terre habitable'", appelle leur lettre.
Pour les associations, il faut lever les exonérations fiscales du transport routier : en 2017, 7,6 milliards d'euros de ristournes ont été accordées au gazole de différents secteurs économiques, dont le transport routier de marchandises (soit 25% d'exemption de taxes sur les carburants), auxquelles s'ajoute environ 1 milliard d'euros annuel d'exemption de l'augmentation de la contribution climat énergie. "Une telle iniquité fiscale vis-à-vis des automobilistes, auxquels il est légitimement demandé de contribuer au financement de la transition écologique, n'est plus acceptable", soulignent les ONG, qui invoquent l'impact climatique et une distorsion de concurrence "artificielle" en faveur du transport routier. "De surcroît, l'État se prive de recettes qui pourraient financer des moyens de transports plus vertueux", ajoute la lettre : "En 2017, seules 9% des marchandises étaient transportées par le rail, contre 20% en 1990."
Autre demande : expérimenter la redevance kilométrique pour les poids-lourds, dans les régions volontaires, une nécessité "pour que les transporteurs contribuent à leur juste part dans la dégradation de nos routes". "Nous sommes conscients du naufrage de l'écotaxe de 2013. C'est pourquoi nous appelons à une entrée en vigueur échelonnée dans le temps", précise la lettre.
Interrogée jeudi sur LCI sur les exonérations aux professionnels, notamment aux poids-lourds, la secrétaire d'État Emmanuelle Wargon a admis que "la question se pose", pour des raisons d'équité. "La réponse n'est pas encore définie", a-t-elle dit, ajoutant que "ce sera probablement un sujet abordé avec la convention citoyenne", 150 personnes tirées au sort pour faire des propositions sur la transition écologique.
AFP