Projet de loi d’orientation des mobilités : l’Assemblée flèche une ressource supplémentaire vers l’Afitf
La commission du développement durable de l’Assemblée nationale a achevé, ce 21 mai, dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), la discussion sur le volet programmatique désormais placé en tête du texte après le passage au Sénat (titre 1er A). Les débats se sont très vite concentrés sur la question du financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui devrait bénéficier d’une réaffectation des surplus de recettes de la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
Programmation financière et rapport annexé - article 1er A
L’article 1er A reprend, en la modifiant, la teneur de l’article 30 qui était l’article unique du titre IV dans le projet de loi initial. Symboliquement, le Sénat a placé en tête le volet programmatique du texte qu’il considère comme sa clef de voûte. Dans cette stratégie financière et opérationnelle des investissements, combinée avec le rapport annexé, la rapporteure du titre, Bérangère Abba, a notamment souhaité reprendre "l’objectif d’amélioration des offres de déplacements du quotidien", plaçant ainsi au second plan l’amélioration de la qualité et de la sécurité des réseaux de transport et de leur pérennité.
L’énoncé du quatrième objectif ayant trait à l’efficacité des transports de marchandises et à la compétitivité des territoires et des ports a lui aussi été modifié pour y retrancher l’incise "en termes de mobilité quotidienne et notamment de fluidité du trafic routier", qui se rapporte plutôt au deuxième objectif.
La notion de sécurité est quant à elle ajoutée dans la formulation du quatrième programme d’investissement prioritaire, de façon à prendre en compte cet impératif dans le cadre du développement des transports en commun, des solutions de mobilité quotidiennes alternatives à la voiture individuelle et des mobilités les moins polluantes et actives.
La commission a en outre clarifié les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales en matière d’inventaire, surveillance et sécurité des ouvrages d'art et des ponts, renforcé à l’initiative du Sénat (alinéa 30 du rapport annexé).
Le niveau de précision suggéré par le Sénat à hauteur de 40 millions d’euros par an pour la mise en sécurité des passages à niveau prioritaires (alinéa 37 du rapport annexé) "ne relève pas de la loi", selon la rapporteure, qui a proposé là encore de revenir à la rédaction initiale. Des discussions seront à mener avec les collectivités et SNCF Réseau dans le cadre de leur contrat d’objectifs et de performance.
La même raison est invoquée pour supprimer un alinéa ajouté en séance au Sénat tendant à imposer la communication aux collectivités locales concernées des calendriers prévisionnels des phases d’étude et de réalisation des ouvrages retenus dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) résultant de la programmation (alinéa 76). Outre qu’elle ne relève pas du domaine législatif, souligne la rapporteure, une telle obligation existe déjà à différentes étapes, notamment lors de la négociation du CPER et de ses éventuelles revoyures.
Alors que l’exposé des motifs entre dans le détail de plusieurs grands projets, le rapport annexé n’en évoquait aucun, de manière à conserver un niveau suffisant de généralité. Le Sénat y a dérogé en introduisant la mention de l’achèvement de la deuxième phase de la branche Est de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône (alinéa 80). Un amendement du gouvernement l’en extrait en conséquence.
Les députés ont par ailleurs voté un amendement de la rapporteure qui prévoit que le gouvernement remette d’ici le 30 juin 2020 au Parlement un rapport sur les perspectives d’une relance des trains de nuit (alinéa 40 du rapport annexé). Le texte est également complété afin d’encourager la réalisation de projets de "RER métropolitains" (alinéa 43).
Ressources de l’Afitf - Rapport annexé
Mais les débats se sont très vite concentrés sur la question du financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). La chronique annuelle détaillée des dépenses de l’Afitf qui figurait dans le rapport annexé au projet de loi figure désormais à l’article 1er B. La commission a souhaité préciser dans l’annexe (alinéa 6) que le total des financements sur la période 2019?2023 atteindra 13,7 milliards d’euros, toujours en-deçà des besoins identifiés pour réaliser le scénario 2 présenté par le COI. Lors de l’examen de ce volet programmatique, le Sénat a marqué une profonde inquiétude quant à la sincérité et à la crédibilité de cette programmation. Afin d’en asseoir les ressources, le texte prévoit désormais la "sanctuarisation des ressources affectées à l’Afitf ", "dont le budget ne doit pas dépendre de ressources fluctuantes et imprévisibles", comme le produit des amendes radars. Le Sénat a par ailleurs affecté intégralement à l’Afitf le produit de l’augmentation de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) votée en 2014 à la suite de l’abandon de l’écotaxe, sans toutefois épuiser la question, qui a donc naturellement retrouvé toute sa place devant la commission à l’Assemblée.
Les députés se sont accordés pour flécher une ressource supplémentaire vers l’Afitf (alinéa 11 du rapport annexé). L’amendement de la rapporteure prévoit ainsi l’affectation du surplus de recettes de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, dite "taxe Chirac". Instaurée en 2006, elle alimente le fonds de solidarité pour le développement (FSD) dans la limite d’un plafond annuel fixé à 210 millions d’euros. Le produit total de la taxe s’est élevé à 224,5 millions d’euros en 2017 et à 241,7 millions d’euros en 2018. On peut donc estimer à un peu plus de 30 millions d’euros - voire 40 à 50 millions d’euros les années suivantes, escompte la rapporteure- le montant annuel supplémentaire qui pourra être dédié aux infrastructures. La mesure ne fait pas l’unanimité. Dans le camp des républicains, Jean-Marie Sermier s'y est opposé, épinglant "un retour en arrière pour la taxe Chirac" qui ne règle pas pour autant le problème de l’Afitf. "On est en train de créer une usine à gaz supplémentaire", a également critiqué Valérie Lacroute, proposant d'allouer à l’Afitf une part supplémentaire de la TICPE. L'ancien LREM Matthieu Orphelin, partisan d’une contribution climat sur les billets d’avion, a tout de même salué "un premier pas". À ses côtés plusieurs députés ont fait des appels du pied en proposant de taxer le kérosène. La ministre des Transports, Élisabeth Borne, a botté en touche, renvoyant à la réflexion lancée par Emmanuel Macron sur une taxation à l’échelle européenne "qui s'engagera au prochain conseil Transports en juin".
Le projet de loi laisse par ailleurs ouverte la possibilité d’affecter à l’Afitf "plusieurs ressources complémentaires" (alinéa 12 du rapport annexé). La ministre s’est engagée à donner davantage d’indications en séance, même si cela relève du projet de loi de finances.
Conseil d’orientation des infrastructures - article 1er C
L’article 1er C -introduit au Sénat- inscrit dans la loi le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), installé en 2017 lors des Assises de la mobilité. Il prévoit également un contrôle de la mise en œuvre de la programmation financière et pose le principe de sa révision quinquennale. Une première révision doit intervenir "au plus tard le 30 juin 2022", puis tous les cinq ans. La rapporteure a toutefois estimé que le choix de cette date soulevait une difficulté car elle coïncide avec la campagne électorale pour les législatives et la présidentielle. C’est pourquoi, elle a proposé de prévoir une révision "au plus tard le 30 juin 2023". Bien que le projet de loi renvoie au décret la fixation de la composition du COI, la ministre a donné des gages sur la représentation des régions, des associations environnementales et des usagers.
Objectifs des collectivités en matière de transports publics de personnes - article 1er E
Les députés ont enfin supprimé l’article 1er E qui présente, selon la rapporteure, des éléments "redondants" avec le dispositif de l’article 1er A et avec les développements du rapport annexé. Pour rappel, cet article introduit en séance au Sénat - contre l’avis de la commission et du gouvernement - précise que l’État et les collectivités territoriales doivent proposer "une offre de mobilités en adéquation avec les besoins des populations et des territoires" en matière de transports publics et qu’ils "accordent la priorité à l’optimisation des infrastructures existantes, notamment ferroviaires".
L’examen du titre V axé notamment sur la sécurité routière et la sûreté dans les transports, devrait clore la discussion du projet de loi en commission prévue jusqu'au 23 mai.