Projet de loi confortant le respect des principes républicains : pour les élus locaux, un "bien, mais…"
L'Assemblée nationale a, parmi d'autres, auditionné le 6 janvier les représentants des associations d'élus locaux sur le projet de loi "confortant le respect des principes républicains". Derrière un satisfecit apparent, ils ont multiplié les mises en garde et demandes d'amélioration d'un texte que le président de l'AMF a qualifié "d'urgence".
"Un texte attendu, espéré, regardé" et "d'urgence". C'est ainsi que le président de l'AMF, François Baroin, a décrit le projet de loi "confortant le respect des principes républicains" (ex. projet de loi "de lutte contre les séparatismes"), lors de l'audition des associations d'élus par l'Assemblée nationale, le 6 janvier dernier.
À l'image de Sébastien Martin, président de l'AdCF, qui approuve "la philosophie du texte et les mesures proposées", les élus présents ont semblé donner une appréciation globalement positive d'un projet désormais débarrassé du déféré-suspension, dans sa forme initiale, en cas de carence républicaine – mesure vertement dénoncée par le CNEN – et des dispositions prévoyant de légiférer par ordonnance en matière de logement social. Néanmoins, les "mais" ou les mises en garde qui ont immédiatement suivi ce satisfecit ont été si nombreux qu'on est loin du blanc-seing.
Lignes rouges
François Baroin s'est employé à tracer les lignes rouges à ne pas franchir. D'emblée, en soulignant sans ambages que "l'islamisme radical" est facteur de "désordre public", et que "l'ordre public, c'est l'État". Et donc, au terme du syllogisme, que l'islamisme radical relève "du régalien", et pas des maires, qui "n'ont aucune volonté de remplacer l'État", mais sont en revanche prêts à "être à ses côtés". "À chacun son métier et les vaches seront bien gardées", a-t-il insisté, avant de rappeler que la surveillance des cultes relève du ministère de l'Intérieur. Pour autant, le maire de Troyes n'entend pas que les élus locaux soient exclus du dispositif, réclamant à nouveau "des avancées" en matière d'accès des maires aux fichiers des personnes signalées "pour savoir ce qui se passe sur leur territoire" (véritable antienne, fruit de la défiance de l'État à l'égard des élus).
Second avertissement, tout aussi limpide : "Nous nous opposerons à tout contrôle a priori." L'élu a dans le viseur l'exemption au droit de préemption des collectivités pour les immeubles faisant l’objet d’une donation entre vifs au profit des fondations, des congrégations, des associations ayant la capacité de recevoir des libéralités, des établissements publics du culte et des associations de droit local. Une "idée saugrenue", unanimement dénoncée par les élus auditionnés – "sans rapport avec le projet de loi", a estimé Johanna Rolland, présidente de France Urbaine et maire de Nantes – et dans laquelle le maire de Troyes voit une nouvelle expression de la volonté recentralisatrice de l'État à l'œuvre depuis 1982, un "moyen de reconquête culturelle" face à la libre-administration des collectivités territoriales. Sur la même ligne, Gilles Platret, président de la commission Laïcité de l'AMF et maire de Chalon-sur-Saône, invite les parlementaires à songer plutôt à aider les maires en matière d'urbanisme commercial, pour "éviter que des pans entiers des commerces de certaines villes soient communautarisés", jugeant que "l'implantation commerciale est aussi un moyen de contrôler le territoire" alors qu'il existe "un vrai enjeu spatial de contrôle du territoire en matière de communautarisme".
"Ne pas avoir peur d'aller loin" face à une situation dégradée "à tous les étages"
François Baroin, auteur en 2003 d'un rapport promouvant "une nouvelle laïcité", a également exhorté les parlementaires à "ne pas avoir peur d'aller loin dans ce texte", constatant une véritable "dégradation à tous les étages" de la situation à laquelle "pas une commune n'y échappe". Un constat là encore qui fait l'unanimité. Gilles Platret note "une montée des phénomènes de repli communautariste", pas toujours perceptible compte tenu de "comportements d'ordre privé". Et d'évoquer l'exemple, "autour de l'école, dans certains quartiers, d'abord de la montée du port du voile" avant que "certaines mamans ne disparaissent du paysage […], les pères emmenant les enfants à l'école, les mamans restant cloîtrées chez elles" ou encore "les demandes réitérées de plats halal [dans les cantines], de plus en plus fortes". Et lui aussi d'inviter le législateur "à ne pas avoir peur d'aller loin" parce que "quand les défenseurs de la République posent des jalons, ses adversaires sont déjà bien au-delà, parce que très inventifs".
Alexandre Touzet, vice-président du conseil départemental de l'Essonne, représentant l'ADF, a d'ailleurs regretté "la faiblesse du diagnostic sur l'ampleur du phénomène dans l'étude d'impact du projet de loi". Lui redoute particulièrement l'ennemi de l'intérieur, entendre "la radicalisation éventuelle des agents", et particulièrement de ceux en contact avec les jeunes (protection de l'enfance, protection spécialisée, restauration scolaire, etc.). Ainsi déplore-t-il que le "criblage" des agents "se limite au fichier FIJAISV [fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes], qui ne donne accès qu'aux condamnations", et revendique l'accès au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) : "Notre but n'est pas d'avoir à déposer des bougies."
Protection des agents
Les mesures introduites pour renforcer la protection des agents (création d'une nouvelle infraction pénale en cas de menaces de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de personne participant à l’exécution d’une mission de service public afin d’obtenir une exemption ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service, extension du dispositif de signalement, mais aussi indirectement nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui suite à la diffusion d’informations relatives à sa vie privée…) ont, elles, été saluées.
Avec là encore deux bémols. D'une part, le risque d'atteinte aux libertés publiques pointé par Johanna Rolland, plaidant pour que le texte reprenne les précisions proposées par le Conseil d'État. D'autre part, la "question primordiale du soutien aux enseignants" pour lesquels "il est compliqué de parler de la Shoah, de la décolonisation…" face à "la concurrence des mémoires", relève Alexandre Touzet. "L'attentat de Samuel Paty terrorise les professeurs. Quelle réponse leur apporte-t-on ?", interroge l'élu, rejoint par Johanna Rolland, qui souligne elle-aussi combien les enseignants, en particulier des collèges, "se sentent seuls et démunis et ont besoin d'accompagnement".
Formations
Pour Alexandre Touzet, doivent également être accompagnés les dirigeants d'association, notamment via des actions de formation sur ces principes républicains. François Baroin préconise même de la rendre obligatoire pour leurs dirigeants. Tous les élus auditionnés ont par ailleurs insisté sur la nécessité de renforcer la formation tant des élus – revendication qui n'est pas nouvelle, Sébastien Martin demandant en outre des moyens renforcés – que des agents, Johanna Rolland insistant sur la nécessité "d'être clair sur le contenu".
Des associations qui ont été au cœur des discussions. Via le "contrat d'engagement républicain" d'abord, que Sébastien Martin entend voir précisé et que Gilles Platret veut voir renforcé, trouvant "très ennuyeux" que le mot "laïcité" n'y soit pas prononcé, même s'il est conscient des difficultés que cela pourrait générer, notamment pour des associations "paracultuelles" comme les scouts de France.
Il évoque d'abord la difficulté pour les collectivités, par manque de moyens, de contrôler effectivement les associations bénéficiaires. "Les subventions, c'est comme les antibiotiques, ce n'est pas automatique", rétorque de son côté Sébastien Martin, qui souligne la nécessité de "débats et d'échanges" dans les assemblées avant de les attribuer. Alexandre Touzet plaide pour l'établissement d'une "conférence des financeurs au niveau départemental" afin de favoriser le partage d'informations entre collectivités et renforcer ainsi leur contrôle et limiter les doublons.
Gilles Platret évoque ensuite le "spectre des associations qui ne demandent jamais un centime", rejoint ici par Alexandre Touzet, pour qui "celles qui posent le plus de problème ne demandent pas de financement".
Neutralité des accompagnateurs scolaires
Des associations auxquelles certains élus entendent en outre étendre les obligations de laïcité et de neutralité de l'article 1. De manière générale, plusieurs élus plaident pour un élargissement du périmètre de cet article à tout organisme dès lors qu'il contribue à "produire du service public". François Baroin a explicitement évoqué le cas des accompagnateurs scolaires, relevant que si l'activité se déroule hors de l'école, elle se fait bien sur le temps scolaire. "Vous n'échapperez pas à ce débat, qui n'est pas médiocre", a-t-il averti les députés. Un débat qu'il contribue également à nourrir en invitant par ailleurs les élus à définir la notion d' "espace du service public", entendue par Gilles Platret comme "l'espace dans lequel le service public s'accomplit". Les discussions promettent donc d'être riches, d'autant que Johanna Rolland a également invité le législateur à affirmer dans le texte "la dimension sociale de la République", pointant "le risque d'affirmer d'un côté une ambition très générale et de proposer de l'autre un texte avec une finalité bien précise", qui attiserait celui "que la loi ne soit perçue comme ne visant que la religion musulmane".