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Interdiction des listes communautaristes : le débat reste ouvert

Xavier Bertrand et Bruno Retailleau ont été reçus place Beauvau, mardi 12 novembre, pour évoquer le sujet des listes "communautaristes" aux prochaines élections municipales. Les deux élus sont favorables à leur interdiction, quitte à "toucher à la Constitution". Une proposition que ne souhaite a priori pas suivre le gouvernement, où le sujet n'est toutefois pas tranché.

C’est par un SMS que le sénateur Bruno Retailleau, qui vient de déposer une proposition de loi "tendant à assurer le respect des valeurs de la République face aux menaces communautaristes", a été invité par le ministre de l’Intérieur à participer à une rencontre de travail sur les listes dites "communautaristes", qui s’est tenue le 12 novembre place Beauvau. Autre invité à la réunion – à laquelle assistaient également le secrétaire d’État Laurent Nunez, la garde des Sceaux Nicole Belloubet, le nouveau secrétaire général du CIPDR Frédéric Rose et l’universitaire Bernard Rougier –, le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Ce dernier apparaît en effet en pointe sur le sujet, après avoir enjoint, le 19 septembre, sur France 2, au président de la République, de prendre les dispositions législatives ou réglementaires pour interdire de telles listes aux prochaines municipales, puis réitéré la demande dans un entretien au vitriol accordé au Journal du Dimanche, le 13 octobre (1). Pourtant, c’est bien un proche, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, qui avait le premier allumé la mèche, le 16 juin dernier, lors du Grand Jury RTL (2). Invitant "la République à se défendre" et à débattre de la question, le ministre avait dans un second temps proposé d’étendre "l’obligation de neutralité à tous les élus locaux".

Une loi qui fait débat

Au cours de la réunion, les deux élus ont une nouvelle fois plaidé pour une intervention du législateur en la matière – "Une loi est indispensable", a jugé Xavier Bertrand. Voire même du Constituant. Or, si l’hostilité à ces listes fait globalement consensus, de Yannick Jadot à Marine Le Pen en passant par Bernard Cazeneuve, une telle solution ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut. 
Pour l’heure, le ministre de l’Intérieur privilégierait l’envoi d’une nouvelle circulaire sur la radicalisation aux préfets. Il aurait toutefois indiqué n’écarter aucune solution. Preuve que sa doctrine n’est pas faite en la matière. Dans un premier temps, il avait d’ailleurs déclaré qu’il "n'existe pas de listes communautaires, personne ne se revendique ainsi". C’est effectivement l’une des difficultés pratiques, également soulignée par le ministre chargé des collectivités territoriales. "Aucune liste ne se revendiquera comme communautaire ! C’est plus pernicieux que cela", juge Sébastien Lecornu, pour lequel, "si à six mois des élections municipales, on en est à se poser la seule question de les interdire, c'est qu'on a déjà perdu la bataille culturelle" (Le Parisien, 16 octobre). Même son de cloche dans l’entourage du Premier ministre, qui avait fait savoir à l’AFP fin octobre que "ce n’est pas au gouvernement de décider qui a le droit de se présenter ou non […]. Interdire, c’est une proposition populiste. Qui détermine ce qu’est une liste communautaire ? C’est abracadabrantesque". Et d’aucuns de souligner les éventuels "dommages collatéraux" qu’un tel texte pourrait emporter : un parti comme le parti chrétien-démocrate de Christine Boutin – auquel se compare d’ailleurs volontiers l’Union des démocrates musulmans français, dans le viseur – pourrait être concerné.
Un argument balayé d’un revers de main par Bruno Retailleau : "Ce ne sont pas les termes musulman, chrétien ou bouddhiste qui peuvent suffire à caractériser une visée sécessionniste […]. La question se pose concernant le projet défendu, notamment lorsqu’il s’agit de privilégier une partie des Français, à raison de leur appartenance religieuse ou ethnique […]. Un parti communautariste, c’est un parti qui ne respecte pas le principe de la souveraineté nationale et (ou) celui de la laïcité. C’est considérer le peuple français par bouts en ne s’adressant spécifiquement qu’à une seule communauté" (Le Figaro, 7 novembre).

Fronts républicains locaux, charte sur la laïcité et contrôle de légalité

Refusant pour sa part "qu'on mette à mal deux siècles de liberté d'expression, singulièrement dans les campagnes électorales, car quelques ennemis de la République viendraient nous provoquer. Ils auraient alors déjà gagné !", le ministre Sébastien Lecornu plaide pour des réponses "autant politiques que juridiques". Avant l’élection, il appelle ainsi les partis à veiller "à ce que leurs candidats, y compris des maires sortants, n'accueillent pas des candidatures qui posent question sur leurs listes" – proposition reprise depuis par Xavier Bertrand et Bruno Retailleau, via une charte d’engagement sur la laïcité qui serait signée par les partis –, à "dénoncer ceux qui seront tentés de faire rentrer sur leurs listes un certain nombre de personnalités pour draguer un vote communautaire", à la constitution de "fronts républicains locaux" ou encore à "être intraitable sur les possibles dérapages verbaux". Reste à déterminer concrètement ce que cela recouvre… puisque Christophe Castaner lui-même avait déclaré que, si dans une campagne, "il y a le moindre acte, la moindre parole qui mette en cause les fondements de la République, je serai le premier à (…) interdire la liste en cause". Rejoignant ici l’une des propositions de Xavier Bertrand appelant les préfets, lors du dépôt des listes, à les empêcher de se présenter pour troubles à l’ordre public.
Après l’élection, Sébastien Lecornu plaide pour "un renforcement et une systématisation du contrôle de légalité pour casser les décisions non respectueuses de la loi" et "suspendre les maires qui se livreraient à des atteintes caractérisées à la laïcité et qui détourneraient leurs pouvoirs de police", sans exclure de démettre "ceux qui vont trop loin".
Le débat reste donc entier et promet d’être aussi vif que nourri. En cela, il risque d’offrir une nouvelle illustration de l’effet Streisand (4)  : donner un fort retentissement à une information ou un phénomène en essayant de l’interdire. Le risque de la "prophétie autoréalisatrice", lui, n’en est pas moins grand.

 

(1) Au JDD, Xavier Bertrand déclare : "Quand j'ai fait cette proposition [d’interdiction des listes], M. Castaner a répondu : 'Le droit ne le permet pas.' Mais un responsable politique est là pour agir, pour modifier le droit s'il le faut, sinon il ne sert à rien et il s'en va. S'il le faut, ­complétons l'article 4 de la Constitution sur les partis politiques, pour préciser qu'ils doivent respecter, aussi, le principe de laïcité. Détaillons dans la Constitution ce qui a trait à la laïcité, notamment l'égalité femmes-hommes. Exigeons des agents de la fonction publique de souveraineté de prêter serment. Manquer à la laïcité deviendra immédiatement un motif de révocation."
(2) À une question d’un journaliste, Guillaume Roquette, qui indiquait qu’ "aux dernières européennes, il y a eu une liste communautaire, l’Union des démocrates musulmans", le ministre avait relevé que "dans un bureau de vote particulier de Maubeuge, dans le quartier des Écrivains, sur 170 votants, il y a eu 70 votes pour cette liste, ce qui veut dire que plus de 40% des votants de ce bureau de vote ont imprimé leur bulletin de vote et ont voté pour cette liste qui se disait musulmane". Et avait invité les Républicains à "regarder [le sujet] les yeux dans les yeux", en précisant que "tous ceux qui ont un programme contraire à la République, ceux qui sont pour des horaires différenciés dans les piscines, ceux qui veulent des repas communautaires […] dans les cantines […], ceux qui ne prônent pas l’égalité entre les femmes et les hommes contrarient directement la Constitution de la République, je ne pense pas qu’ils pourraient se proposer au suffrage des électeurs". "Cette liste a été validée par le Conseil constitutionnel", avait souligné le journaliste Benjamin Sportouch.
(3) Dans un entretien avec Jean-Jacques Bourdin sur RMC le 14 octobre, le ministre s’était déclaré "favorable à ce que tous les élus de la République, les élus locaux, respectent la neutralité, la laïcité, évidemment, par principe, et que nous puissions empêcher par exemple quelqu'un de porter un signe religieux alors qu'il est élu municipal, dans sa vie d'élu local évidemment".
(4) Loi médiatique qui doit son nom à la célèbre actrice qui, en voulant censurer une photo – à la diffusion jusque-là scientifique et confidentielle – de sa propriété, prise pour illustrer le phénomène d’érosion côtière, lui a au contraire donné un fort retentissement.

 

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