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Lutte contre le séparatisme islamiste : d'abord contrer les influences étrangères

C'est dans l'un des 47 "quartiers de reconquête républicaine", à Mulhouse, que le président de la République a dévoilé le 18 février les "quatre lignes de force" de la stratégie qu’il entend engager pour lutter contre le "séparatisme islamiste", et plus particulièrement les mesures visant à s’affranchir des influences étrangères à l’école et dans les lieux de culte. Un projet de de loi sera prochainement déposé.

Décidé à lutter contre des fractures qui se sont installées "depuis plusieurs décennies" entre la République et "une partie de la population qui, considérant qu’on l’a fait vivre derrière des murs, décide d’en bâtir de nouveaux au titre d’une religion dont elle déforme les aspirations profondes", le président de la République, se défiant en même temps de toute "naïveté" et de toute "stigmatisation", a dévoilé le 18 février dans un quartier de reconquête républicaine de Mulhouse sa "stratégie de lutte contre le séparatisme islamiste". Une notion préférée au "communautarisme" et que le président définit comme "la volonté de se séparer de la République, de ne plus en respecter les règles, au nom d’une religion, de croyances ou d’une appartenance".
Cette stratégie s’articule autour de quatre "lignes de force" :
• lutter contre les influences étrangères ;
• favoriser une meilleure organisation du culte musulman en France ;
• lutter contre toutes les manifestations du séparatisme islamiste et du repli communautariste qu’il génère ;
• ramener partout la République là où elle a un peu démissionné".
Au cours de cette première étape, il a détaillé les mesures de la première ligne de force – les autres devant être dévoilées à l’occasion de prochains déplacements –, qui visent à s’affranchir des influences extérieures tant dans le domaine de l’enseignement des langues étrangères que dans celui du culte. Une ligne qui avait notamment été défendue en 2016 par les sénateurs Nathalie Goulet et André Reichardt dans leur rapport "De l’Islam en France à un Islam de France" (voir notre article).

Enseignement : les Elco laissent la place aux Eile

En matière d’enseignement, le président a annoncé la suppression des enseignements de langue et culture d’origine (Elco) à compter de la rentrée 2020, pour les remplacer par les enseignements internationaux de langue étrangère (Eile). Emmanuel Macron a en effet déploré que "de plus en plus" d’enseignants des Elco, recrutés et payés par neuf gouvernements étrangers (Algérie, Croatie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Serbie, Tunisie et Turquie), "ne parlent pas le français" et que "l'Éducation nationale n'a aucun regard" sur eux, pas plus que "le contrôle sur les programmes qu'ils enseignent" (en sachant que les communes ne peuvent refuser de mettre en place ces enseignements – voir notre article). Or, a-t-il souligné, près de 80.000 élèves suivent ces enseignements, délivrés depuis 1977 (sur la base d’une directive européenne visant à la scolarisation des enfants de travailleurs migrants), ce qui rend "indispensable" que les personnes qui enseignent "puissent faire l'objet aujourd'hui d'un contrôle, que nous nous assurions qu'elles parlent et qu'elles maîtrisent le français, qu'elles respectent elles-mêmes les lois de la République et que nous regardions le contenu de ce qu'elles enseignent". Au terme de négociations conduites "depuis plusieurs mois avec la Tunisie, le Maroc, l'Algérie, la Turquie pour y mettre fin" et conclues positivement "avec tous ces pays, sauf la Turquie à ce stade", l’État ouvrira et financera donc des postes d’Eile. Et "si aucune solution n'est trouvée avec la Turquie, nous mettrons fin à tout enseignement obligatoire et construirons, avec l'ensemble de nos concitoyens, des associations concernées, des alternatives pour bâtir une offre périscolaire renouvelée". Comme l'a rappelé l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, cette démarche n’est toutefois pas nouvelle puisqu’elle avait déjà été "lancée depuis la rentrée 2016 avec le Portugal et le Maroc" (Localtis y reviendra dans sa prochaine édition).

Des lieux de culte transparents

S’agissant des lieux de culte, Emmanuel Macron a évoqué deux volets.
D’abord, celui de leur construction et de leur fonctionnement, "qui donnent lieu à beaucoup de tensions" et pour lesquels "nous avons besoin de transparence sur les origines et les finalités". Le chef de l'Etat a évoqué le "malaise" que peuvent susciter certains projets et a pris l’exemple de la construction de la mosquée An-Nour de Mulhouse qui "comporte une école coranique, des locaux destinés à du soutien scolaire, une piscine, des commerces, des espaces de bien-être, le tout sur plus de 4.600 m2". Il a annoncé qu’un projet de loi sera prochainement déposé en la matière afin de "savoir d’où vient l’argent, qui le touche et pour quoi faire". Dans son rapport sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte (voir notre article), le sénateur Hervé Maurey avait souligné en 2015 que "les représentants de l'islam de France eux-mêmes, à l'image de Chems-eddine Hafiz, vice-président du CFCM, plaident pour une plus grande transparence dans le financement". Il soulignait néanmoins que "contrairement à une idée reçue, les financements des États étrangers dirigés vers des lieux de culte musulmans en France ne représentent qu'une part minoritaire du financement total des cultes, assurés en majorité par les dons des fidèles, ces derniers étant toutefois beaucoup plus difficilement contrôlables" (p. 29).

La fin de "l’islam consulaire"

Le chef de l’État a ensuite évoqué ceux qui y prédiquent, annonçant sa volonté d’en finir avec "l’héritage de l’islam consulaire" qui se traduit par "l’importation" d’environ 300 imams permanents détachés en France et d’autant de psalmodieurs à l’occasion du Ramadan "qui ne maîtrisent pas bien notre langue ou pas du tout, et avec des dérives". Or, paradoxalement, comme le soulignaient les sénateurs Nathalie Goulet et André Reichardt dans leur rapport, l’idée directrice qui sous-tend ces détachements – réalisés dans le cadre "de trois déclarations d’intention bilatérales non soumises à l’examen du Parlement" avec la Turquie, l’Algérie et le Maroc – est que la "France serait mieux à même de prévenir certaines dérives", les imams ainsi sélectionnés étant "soumis à certain nombre d’exigences, en matière d’apprentissage du français notamment, qui conditionnent l’octroi et le renouvellement de leur visa".
Devant cet échec, le président a annoncé une sortie progressive de ce dispositif : les imams "qui sont arrivés en 2020 seront la dernière génération avec ce volume, et nous allons progressivement [….] ne plus en faire venir de nouveaux", en laissant toutefois "la période de présence des derniers imams détachés se poursuivre jusqu'à son terme"*.

L’impossible structuration de l’imamat ?

Comment alors les remplacer – le manque d’imams étant déjà patent – et éviter que des "imams autoproclamés" (l’expression avait par exemple été utilisée par le préfet, et alors directeur de l’INHESJ Cyrille Schott dans un entretien accordé en 2016 à Localtis dans laquelle il plaidait pour "que les imams soient formés en France et confirmés par une forme de décision officielle" ), ne prennent la place ? Emmanuel Macron a indiqué que le ministre de l’Intérieur avait demandé la semaine dernière, pour la fin du mois de mars, au Conseil français du culte musulman (CFCM) "de prendre ses responsabilités et de formuler des propositions rapides et claires pour assurer l'exercice en France d'un islam dont toutes les pratiques doivent se conformer aux lois de la République", pour "former et certifier celles et ceux qui prédiquent au nom de l'islam en France".
Centrale, cette question de la "structuration de l’imamat" est particulièrement ardue. Depuis plusieurs années, la question de la formation des imams a donné lieu à moult rapports, restés pour la plupart sans suite : rapport Baroin, Pour une nouvelle laïcité, proposant en 2003 la création d’une faculté de théologie musulmane ; rapport de la commission Stasi sur L’application du principe de laïcité, préconisant en 2003 la création d’une école nationale d’études islamiques ; rapport de la commission Machelon sur Les relations des cultes avec les pouvoirs publics, proposant en 2006 la création d’un système de formation du personnel religieux pour le culte musulman ; ou plus récemment, en 2014, rapport Messner sur La formation des cadres religieux musulmans proposant le renforcement des diplômes universitaires et la création de pôles d’excellence en sciences humaines et sociale de l’Islam qui pourraient mener des recherches "sur la radicalisation religieuse".

Le CFCM, faute de mieux ?

La décision de la confier au CFCM a pu surprendre, surtout compte tenu de l’objectif de s’affranchir des influences extérieures. "Le CFCM est une instance qui nourrit trop de liens avec les pays étrangers pour être totalement indépendante", a ainsi réagi le sénateur Bruno Retailleau. Selon certains, si le CFCM n’est pas parvenu à s’imposer, c’est précisément du fait de son tiraillement entre différentes influences étrangères, comme l’avait notamment souligné le rapport Goulet-Reichardt ou comme l’expriment des représentants locaux du monde musulman (voir notre article). Pour Nathalie Goulet, interrogée par Localtis, cette position est toutefois logique dans la mesure où "le CFCM est la seule instance de représentation de l’Islam… à défaut d’être représentatif". Si le chef de l'Etat a évoqué le "très gros travail qui a été mené sous l'autorité du ministre de l'Intérieur […] avec les préfets pour faire émerger des représentants aux niveaux départementaux", les assises territoriales de l’islam peinent d'ailleurs pour l’heure à trouver une concrétisation (voir notre article). Aux yeux de la sénatrice, l’essentiel est toutefois "qu’enfin on ait pris la décision de former les islams en France". Elle reconnaît avoir ainsi "poussé un soupir de soulagement" à l’annonce de ces mesures, mais aussi avoir été "un peu vexée, avec André Reichardt, de ne pas avoir été consultés", tout en remerciant le président "d’avoir lu très attentivement" leur rapport. "Seul le résultat compte", ajoute la parlementaire, qui se félicite que son groupe (Union centriste) ait accepté de conduire cette mission d’information "que personne ne voulait prendre en charge". Il est vrai qu’en ce domaine, les pressions ne manquent pas (voir notre article). Le président de la République l'a d'ailleurs souligné lors des échanges suivant son intervention : "Beaucoup de maires sont laissés seuls face à toutes ces difficultés. Ce sont eux qui subissent au premier chef les pressions". Et Emmanuel Macron de préciser que "l’extraordinaire majorité des élus, pleinement républicains, ne cédaient pas aux pressions clientélistes". Évoquant enfin implicitement la question des listes communautaristes (séparatistes ? - voir notre article), le président a indiqué qu’il fallait attendre les prochaines élections "pour voir s’il faut faire évoluer la loi".

* Le rapport Goulet-Reichardt, qui faisait déjà état de "301 imams financés par des États étrangers", soulignait par ailleurs qu’ils étaient admis "avec des statuts divers, en particulier comme enseignants dans le cadre de l’Elco ou, s’agissant notamment de la Turquie, comme assistants sociaux" (p. 37).

150 quartiers sous l’emprise de l’islamisme radical ?

"J'entends beaucoup de bêtises, pardon de le dire aussi vertement. Il n'y a pas de carte cachée avec 150 quartiers qui serait tenue par les services de sécurité intérieure. Les gens qui disent ça, je les invite à faire une réunion de travail avec le ministre de l'intérieur pour éviter de dire tout et n'importe quoi et si je puis dire faire monter des fantasmes. Il y a des quartiers qui sont difficiles, ils sont connus par les élus." C'est en ces termes qu'Emmanuel Macron a réagi à l'article du Journal du dimanche du 18 janvier dernier faisant état d'un document classé secret-défense de la Direction générale de la sécurité intérieure répertoriant 150 quartiers "tenus par les islamistes". Pour mémoire, Patrick Kanner, alors ministre de la ville, avait déclaré sur Europe 1 dès 2016 qu'"une centaine de quartiers en France" présentaient "des similitudes potentielles avec Molenbeek", commune belge ayant selon lui pour caractéristiques d'être "un système ultra-communautariste", y voyant "un système où les services publics ont disparu ou quasiment disparu, un système où les élus ont baissé les bras".