Environnement - Procès en appel de l'Erika : le préjudice écologique confirmé et élargi
La cour d'appel de Paris a confirmé, le 30 mars, la responsabilité pénale de Total dans le naufrage de l'Erika, en 1999, tout en élargissant la notion de "préjudice écologique" à de nouvelles parties civiles. Comme en première instance, Total, la société de classification Rina, l'armateur Giuseppe Savarese et le gestionnaire Antonio Pollara ont été condamnés aux amendes maximales pour pollution : 375.000 euros chacun pour les deux premiers, personnes morales, et 75.000 euros chacun pour les derniers. Dans son arrêt, la cour a estimé que la cassure du bateau, qui s'était plié en deux, avait bien été provoquée par "une grave corrosion" due à l'"l'insuffisance d'entretien de ce navire".
La cour a surtout satisfait aux demandes des parties civiles en réaffirmant la notion de "préjudice écologique". La décision de première instance du 16 janvier 2008 avait accordé pour la première fois un prix au vivant et reconnu ce préjudice au même titre que le préjudice moral ou matériel uniquement pour le département du Morbihan et la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
Mardi, la cour d'appel a étendu le préjudice à d'autres collectivités (régions Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes notamment) et associations (Robin des Bois, UFC Que Choisir de Brest), et a fixé le montant des indemnisations qui y sont liées à 13 millions d'euros. "Ce préjudice objectif, autonome, s'entend de toute atteinte non négligeable à l'environnement naturel, à savoir notamment à l'air, l'atmosphère, l'eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l'interaction entre ces éléments, qui est sans répercussions sur un intérêt humain particulier mais affecte un intérêt collectif légitime", a défini la cour dans son arrêt. En polluant 400 km de côtes, le pétrole déversé par l'Erika a "causé une catastrophe écologique comme la France n'en avait jamais connue", a-t-elle estimé. L'homme et son milieu naturel sont interdépendants, a-t-elle rappelé. "Il découle de cette interdépendance que toute atteinte non négligeable au milieu naturel constitue une agression pour la communauté des hommes [...] et que cette agression doit trouver sa réparation." Chacune dans son domaine, toute collectivité territoriale a pour mission d'améliorer le bien-être de la population. En voyant leurs côtes souillées, elles subissent un préjudice écologique "personnel" et sont en droit de réclamer réparation.
Cette décision ouvre donc la possibilité aux collectivités et associations de se constituer parties civiles lorsqu'elles estimeront qu'une atteinte à l'environnement a été commise (menace d'une espèce sauvage, d'un site naturel...), même si aucun intérêt économique n'a été lésé. "C'est une victoire formidable. Aujourd'hui, l'histoire ne passe pas à côté d'une juste cause. Cela va créer une jurisprudence qui bénéficiera dans l'avenir aux questions environnementales", s'est félicité le président de la LPO, Allain Bougrain-Dubourg.
Total dispensé du paiement de nouvelles indemnités
La cour a aussi légèrement augmenté les indemnisations accordées aux parties civiles, les portant de 192,5 millions d'euros à 200,6 millions. Mais elle a créé la surprise en exonérant le groupe pétrolier du paiement des nouvelles indemnités laissées à la charge de ses coprévenus. Elle a en effet considéré que Total, en tant qu'"affréteur véritable" de l'Erika, était exonéré du versement de ces dommages et intérêts du fait d'une convention internationale, baptisée "CLC", qui concentre la responsabilité d'une pollution par hydrocarbures sur le propriétaire du navire. Total est protégé par cette convention tant qu'il ne commet pas de faute intentionnelle, a expliqué le président Joseph Valantin. Or, selon la cour, il n'a commis ici qu'une "faute d'imprudence". "Total n'a pas de responsabilité civile dans cette affaire", s'est réjoui le conseil de Total, Me Daniel Soulez-Larivière, à l'annonce de la décision.
"Il y a des motifs de grande satisfaction, a reconnu Me Corinne Lepage, avocate de dix communes du littoral. Mais, il y a un hic, c'est que la cour a considéré que Total n'avait pas à payer parce qu'il n'était pas civilement responsable. Cela veut dire que [...] lorsqu'un pétrolier continuera à utiliser un bateau poubelle, il n'aura qu'un petit risque pénal. C'est quelque chose d'extrêmement préoccupant pour la suite."
"La cour dit que Total a été imprudent mais pas téméraire, c'est une bataille de mots", a répondu Me Jean-Pierre Mignard, qui conseille huit collectivités. Pour lui, l'affaire risque fort de se régler devant la Cour de cassation.
Néanmoins, Total ne récupérera pas les 170 millions d'euros qu'il a déjà versés de manière "immédiate et définitive" à 38 parties civiles, au premier rang desquelles l'Etat (154 M EUR) et le département du Morbihan. Les indemnisations restantes, quelque 30 millions d'euros, seront à la charge de Rina, Savarese et Pollara. Les deux premiers ont déjà annoncé leur intention de se pourvoir en cassation. Total y réfléchit et a cinq jours pour se décider.
Anne Lenormand, avec AFP
Les principaux bénéficiaires des indemnisations
Etat : 153,8 millions d'euros pour son préjudice matériel.
Pays-de-la-Loire : 7,7 millions d'euros, dont 3 millions au titre de son préjudice écologique.
Bretagne : 6 millions d'euros, dont 3 au titre de son préjudice écologique, également qualifié d'"atteinte à l'intégrité de son patrimoine naturel".
Poitou-Charentes : 2 millions d'euros, dont 1 million pour son préjudice écologique.
Finistère : 5,3 millions d'euros, dont 1 million au titre de son préjudice écologique.
Morbihan : 2 millions d'euros, dont 1 million au titre de son préjudice écologique.
Vendée : 1,1 million d'euros au seul titre de son préjudice matériel et de l'atteinte à son image de marque.
Ligue de protection des oiseaux : 703.000 euros, dont 300.000 pour son préjudice écologique.
12 communes (dont Batz-sur-Mer, Saint-Nazaire, l'Ile d'Houat et
Saint-Brévin-les-Pins) obtiennent, outre les indemnisations pour préjudice matériel et moral, une indemnisation au titre du préjudice écologique d'un total de 2,8 millions d'euros.