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Environnement - Procès Erika : les collectivités parties civiles à la barre

Le procès pénal du naufrage de l'Erika se poursuit depuis le 21 mai avec les plaidoiries des parties civiles, dont de nombreuses collectivités. Elles demandent réparation pour un préjudice économique et pour un préjudice écologique, dont la reconnaissance est beaucoup plus délicate en l'état actuel du droit.

Atteinte à l'intégrité du littoral, détérioration de leur image, insuffisance des indemnisations ... : dans le cadre du procès pénal ouvert le 12 février 2007 devant le tribunal correctionnel de Paris, les villes et les département du littoral touchés par la marée noire provoquée par le naufrage de l'Erika défendent depuis le 21 mai le droit à la reconnaissance et à la réparation des préjudices économique mais aussi écologique et moral qui ont été subis.
Sur le plan juridique, la démonstration du préjudice économique ne comporte pas de difficulté particulière. L'indemnisation des dommages économiques dus à la pollution par les hydrocarbures provenant des navires est régie par deux conventions internationales de 1969 et de 1971 : la première est relative à la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (CLC) et la deuxième porte création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (convention Fipol).

 

Préjudice économique : des indemnités complémentaires attendues

Ce système repose sur deux niveaux de responsabilité. Selon la convention CLC, le propriétaire du navire est en principe autorisé à limiter sa responsabilité à un montant en rapport avec le tonnage du navire. Ce montant s'élève actuellement à 72 millions d'euros au maximum pour les plus gros navires. Le régime CLC est complété par le Fipol. Il rembourse les dépenses liées aux opérations de nettoyage, les dommages aux biens contaminés par les hydrocarbures, les préjudices économiques ainsi que des mesures tendant à la remise en état des sites.
Le montant maximal de l'indemnisation autorisée par le Fipol s'élève actuellement à 162 millions d'euros environ. De plus, si le total des demandes jugées recevables des victimes de déversements d'hydrocarbures dépasse la limite maximale d'indemnisation du fonds, elles sont toutes réduites en proportion.
Dans une catastrophe aussi importante que celle de l'Erika, aucun de ces dispositifs n'est en mesure d'indemniser de façon satisfaisante les préjudices subis et les collectivités sont fondées à demander une indemnité complémentaire. Il leur suffit pour cela de pouvoir faire la démonstration que des dépenses ont été effectivement engagées pour le nettoyage du littoral.
Parmi les collectivités sollicitant une indemnisation complémentaire, le département du Morbihan chiffre son préjudice économique à 1.947.919 euros. Il sera indemnisé à hauteur de 1.732.745 euros par le Fipol et demande par conséquent  au tribunal de condamner les prévenus, et notamment la société Total, à lui allouer la différence.

 

Du préjudice écologique pur au préjudice moral

La reconnaissance du préjudice écologique est par contre beaucoup plus problématique. Les différentes collectivités, et leurs avocats, développent des stratégies sensiblement différentes. Certaines collectivités réclament l'indemnisation d'un préjudice écologique direct, ou "pur" entendu comme "le dommage subi par l'ensemble du milieu naturel ou par une de ses composantes, pris en tant que patrimoine collectif, indépendamment de ses répercussions sur les personnes et sur les biens". C'est à ce titre, notamment, que le département du Morbihan sollicite l'allocation d'une somme de 10 millions d'euros, la commune de Quiberon 2 millions d'euros et celle de Houat 1,5 million d'euros.
Une seconde approche, développée notamment par les trois régions parties au procès (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes) et par le département du Finistère tend à faire juger que les collectivités doivent être indemnisées sur la base du préjudice moral, né de l'atteinte à l'intégrité de leur patrimoine naturel. Selon cette vision, le préjudice moral ne cesse pas avec la réparation matérielle de l'atteinte, de la même façon que la victime d'un vol doit être indemnisée à la fois de son préjudice matériel et de son préjudice moral.
Un premier préjudice de cette nature a déjà été consacré par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 23 juin 2005. Suite à un "dégazage" volontaire commis par un navire marchand, le syndicat mixte Vigipol, qui regroupe une centaine de communes du nord de la Bretagne, ainsi que les conseils généraux du Finistère et des Côtes-d'Armor, a alors obtenu réparation du préjudice moral résultant de "l'atteinte à la réputation" des stations touristiques du littoral qu'il représente.
Dans le cadre du procès Erika, les collectivités espèrent obtenir réparation d'un préjudice beaucoup plus large résultant notamment des "pertes d'aménités" ou pertes d'agrément pour les usagers du littoral aux ours des 24 mois qui ont suivi le naufrage (abandon des loisirs liés à la mer et de la pêche à pied, par exemple). Le chiffrage de ce préjudice moral, évalué à 370 millions d'euros, résulte d'une étude réalisée par François Bonnieux, directeur de recherches à l'Inra de Rennes qui avait déjà chiffré les conséquences écologiques du naufrage de l'Exxon Valdez, en Alaska.

 

Julien Bouteiller, avocat au barreau de Marseille

 

 

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