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Environnement - Procès Erika : des collectivités veulent faire reconnaître le préjudice écologique

De nombreuses collectivités locales se sont portées partie civile au procès pénal du naufrage de l'Erika qui s'est ouvert le 12 février 2007. Certaines ont souhaité développer une stratégie judiciaire commune pour que soit reconnue pour la première fois la notion de préjudice écologique. Eclairage d'un expert.

Dans le cadre du volet pénal du procès qui s'est ouvert le 12 février devant le tribunal correctionnel de Paris, une quarantaine de prévenus ont à répondre des causes et conséquences du naufrage de l'Erika. Au sein des collectivités qui se sont portées partie civile, les régions Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes, le département du Finistère, la communauté de communes de Cap l'Orient et les communes de Saint-Nazaire, Ploemeur et Pornichet ont souhaité développer une "stratégie judiciaire commune" afin de faire reconnaître qu'au-delà du préjudice économique, la marée noire leur a occasionné un "préjudice moral" résultant de l'atteinte à leur patrimoine écologique. Les collectivités réclament à ce titre 320 millions d'euros.
Le procès, qui devrait durer pas moins de quatre mois, a d'abord pour objet de déterminer si les prévenus, parmi lesquels la société Total, peuvent être reconnus responsables d'une infraction pénale. La question de la réparation des préjudices de toutes natures subis par les victimes n'interviendra que dans un second temps et à la condition que la responsabilité pénale ait été reconnue au préalable. La constitution de partie civile permet en effet de greffer au procès pénal, qui a pour objet la répression d'un comportement, un second procès civil, qui a pour objet la réparation des dommages.
C'est dans ce cadre que certaines collectivités solliciteront du tribunal une indemnisation pour leur "préjudice écologique", en s'appuyant sur l'évolution constatée de la jurisprudence qui tend à accueillir ce type de demandes. Ainsi, par exemple, dans un arrêt en date du 23 juin 2005, la cour d'appel de Rennes a accepté d'indemniser le syndicat mixte Vigipol pour l'atteinte portée aux intérêts collectifs qu'il défend du fait d'un "dégazage" volontaire commis par le capitaine d'un navire marchand.  La cour relève à cet égard que ce syndicat mixte - chargé de la défense des intérêts collectifs de 92 communes possédant 1.145 kilomètres de littoral maritime - avait subi un "préjudice moral, la présence de déchets sur les plages étant de nature à ternir la réputation des stations touristiques de ce littoral".


Total poursuivie pour pollution et mise en danger d'autrui

Les différents prévenus ont fait l'objet d'une mise en examen et ont été renvoyés, au terme de l'instruction diligentée par le juge Dominique de Talancé, des chefs de complicité de mise en danger d'autrui et de pollution.
La société Total, particulièrement, est poursuivie pour s'être rendue complice de violations manifestement délibérées des obligations particulières de sécurité et de prudence pesant sur l'armateur, exposant ainsi directement l'équipage à un risque immédiat de mort par naufrage ou noyade.
Elle est par ailleurs poursuivie pour s'être trouvée à l'origine de la pollution des eaux territoriales, des eaux intérieures ou des voies navigables françaises.
Le délit ne peut être constitué que s'il est possible de prouver que Total, sans être propriétaire du navire, en avait toutefois dans les faits "la garde", c'est-à-dire qu'elle se comportait comme le propriétaire.
La juge d'instruction estime en ce sens que la société aurait imposé des contraintes et directives au capitaine de l'Erika au détriment du respect par lui des règles de conduite prévues par les conventions internationales et relève à cet égard l'immixtion de la société dans la gestion nautique du navire du fait des instructions au voyage. La société se serait enfin délibérément abstenue de faire part des constatations de l'existence de fuites dues à des cassures du pont faisant craindre une pollution aux autorités maritimes et n'aurait pris aucune mesure pour en réduire les effets.
La responsabilité de Total dans l'ensemble du processus ayant conduit au naufrage est décrite comme suit : la société se comporte comme le maître d'œuvre du transport de ses produits et s'insère dans la gestion nautique du capitaine.
Total, rappelle, pour sa part, avoir dépensé plus de 200 millions d'euros dans le cadre des opérations de pompage des soutes du navire et de nettoyage du littoral et estime qu'en tout état de cause, l'affréteur ne peut être tenu pour responsable. La société estime n'avoir aucune responsabilité dans le naufrage, relevant que le navire remplissait l'ensemble des conditions prévues par la législation internationale pour être affrété.

 

Julien Bouteiller / Avocat au Barreau de Marseille

 


 

 

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