Prise en charge des MNA : la Défenseure des droits prend position
Le rapport annuel du Défenseur des droits revient sur la question des mineurs non accompagnés dans le contexte de la crise sanitaire. A peine deux semaines plus tôt, l'institution restituait une enquête sur la prise en charge des MNA par un département, en l'occurrence les Bouches-du-Rhône, tout en formulant des recommandations valables pour l'ensemble des départements. Cour des comptes et chambres régionales des comptes, tout comme l'Igas, se sont aussi récemment penchés sur cet enjeu toujours sensible.
Dans une décision du 17 mars 2021, assortie de la restitution d'une enquête détaillée sur les faits en question, la Défenseure des droits "conclut que le département X ne respecte pas ses obligations légales de recueil provisoire d'urgence et porte ainsi atteinte aux droits fondamentaux des mineurs non accompagnés et à leur intérêt supérieur". Elle formule donc une série de recommandations qui visent certes la situation du département en question, mais ont aussi une portée générale sur la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) dans l'ensemble des départements. Claire Hédon adresse d'ailleurs la version anonymisée de sa décision au président de l'Assemblée des départements de France (ADF), "afin qu'il en assure la diffusion pour information à l'ensemble de ses membres". Et elle adresse aussi sa décision, "pour information", au procureur de la République, au président du tribunal judiciaire et au bâtonnier de l'ordre des avocats territorialement concerné.
Des règles de procédure à respecter
La fiction de l'anonymat ne tient pas, puisqu'il est de notoriété publique qu'il s'agit du département des Bouches-du-Rhône, confronté depuis plusieurs mois à de sérieuses difficultés dans la prise en charge des MNA et à un conflit ouvert avec les associations. Le 8 mars, donc quelques jours avant la décision de la Défenseure des droits, le tribunal administratif de Marseille a d'ailleurs enjoint, dans un référé, le département de mettre à jour la liste des MNA présents sur son territoire, afin de les prendre en charge. Le tribunal administratif avait été saisi par plusieurs associations, dont Médecins sans frontières et la Cimade, qui avaient également organisé, quelques jours plus tôt, une manifestation devant l'hôtel de ville de Marseille. De son côté, le département conteste notamment la minorité de certains jeunes se présentant comme MNA.
Quelques semaines plus tôt, la chambre régionale des comptes de Paca avait rendu un rapport, publié le 2 février dernier et intitulé "Enquête sur la protection de l'enfance : les spécificités des mineurs non accompagnés". Celui-ci soulignait notamment une "progression tardive" des capacités d'hébergement des MNA et un "défaut de pilotage par le département".
Dans sa décision, la Défenseure des droits rappelle ou formule un certain nombre de principes de portée générale. Ainsi, la présentation en préfecture d'un mineur (pour vérification de la minorité) avant que celui-ci bénéficie d'un accueil provisoire d'urgence n'est pas conforme aux dispositions légales et porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant. Une fois prononcé le recueil provisoire d'urgence, le département doit veiller à l'accompagnement des mineurs en préfecture, par des travailleurs sociaux. De son côté, la préfecture est invitée à "renforcer de manière significative son service d'accueil des MNA et à augmenter autant que nécessaire les créneaux de rendez-vous, afin de ne pas allonger les délais d'évaluation". Elle doit aussi renforcer son service d'analyse documentaire. Pour sa part, le département doit également renforcer l'équipe d'évaluateurs "afin de parvenir le plus rapidement possible à des délais d'évaluation ne dépassant pas 23 jours maximum, seuil du remboursement de la mise à l'abri par l'État".
"Proscrire tout hébergement hôtelier"
Sur l'utilisation du fichier biométrique national AEM (appui à l'évaluation de minorité), la Défenseure des droits pointe et condamne la mention de "l'impossibilité de refuser" la prise d'empreintes et la communication d'informations personnelles, dans le texte du protocole d'utilisation d'AEM.
Sur l'hébergement dans la phase de recueil provisoire, la Défenseure des droits recommande à la préfecture "d'apporter son concours au département dans la recherche de locaux ou bâtiments disponibles, [...] qui seraient susceptibles d'accueillir les mineurs dans des conditions de sécurité et de salubrité que nécessite tout établissement de protection de l'enfance". Elle demande en revanche de "proscrire tout hébergement hôtelier dans le cadre d'une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, y compris dans le cadre d'un accueil provisoire d'urgence".
Sur la prise en charge pérenne des MNA confiés, les recommandations portent également sur la poursuite des efforts de déploiement de places, de dispositifs et d'établissements, mais aussi sur l'impulsion d'"une dynamique proactive auprès des associations [...] pour leur offrir la possibilité de se proposer comme administrateur ad hoc dans le département". La Défenseure des droits préconise aussi un meilleur recours à la possibilité d'ouverture, par les juges des enfants, de tutelles "mineurs".
Un dispositif qui craque de toutes parts
Les Bouches-du-Rhône sont loin d'être le seul département en difficulté dans la prise en charge des MNA. Le 21 janvier, l'émission de France 3 "Pièces à conviction" – qui avait lancé la polémique sur l'aide sociale à l'enfance (ASE) en janvier 2019 – est revenue sur le sujet deux ans plus tard. La nouvelle émission s'attarde plus particulièrement sur le cas d'un MNA pris en charge par l'ASE des Hauts-de-Seine et assassiné par un autre jeune dans l'hôtel où il avait été placé, apparemment sans grand encadrement. L'affaire, survenue en décembre 2019, a donné lieu à un rapport de contrôle de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales), rendu public le 11 janvier dernier et portant sur le fonctionnement de l'ASE dans les Hauts-de-Seine et plus particulièrement sur la prise en charge des MNA. Ce rapport de contrôle sur un département avait été suivi, quelques jours plus tard, par un second, de portée générale, sur les nuitées hôtelières (voir notre article du 26 janvier 2021). Rapport aussitôt suivi de l'annonce par Adrien Taquet d'une loi visant à interdire les placements en hôtels d'ici à 2022 (voir notre article du 28 janvier 2021).
Le 12 mars, c'était au tour de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France de rendre public un rapport sur "La protection de l'enfance de la ville de Paris". Moins sévère que celui sur les Bouches-du-Rhône, le rapport pointe cependant "une prise en charge partielle" des MNA par la ville et formule trois "rappels au droit" (qui ne portent toutefois pas spécifiquement sur les MNA).
La boucle est bouclée
Enfin, on ne saurait oublier le récent référé de la Cour des comptes sur "La prise en charge des jeunes se déclarant mineurs non accompagnés (MNA)", qui dresse un "panorama critique des conditions d'accueil, d'évaluation de la minorité et de prise en charge de ces jeunes" et s'inquiète de l'hétérogénéité des prises en charge selon les départements (voir notre article du 5 janvier 2021).
La boucle est – provisoirement – bouclée avec le rapport d'activité 2020 de la Défenseure des droits, publié le 31 mars (sur les autres points de ce rapport, voir notre article de ce jour). Celui-ci revient en effet sur la question des MNA. Il rappelle que face au confinement et à la crise sanitaire, Claire Hédon a demandé "la mise à disposition par les préfectures de structures ou bâtiments pouvant accueillir dans des conditions dignes et adéquates des jeunes gens en recueil provisoire d'urgence". Le rapport rappelle aussi que "depuis la fin du premier confinement, le Défenseur des droits [Jacques Toubon, jusqu'au 22 juillet 2020, ndlr] a eu régulièrement l'occasion de relever que l'insertion des MNA se heurte souvent à l'engorgement des services publics rendant notamment difficiles les démarches auprès des préfectures ou des services de scolarisation".
Références : Défenseur des droits, décision n°2021-070 du 17 mars 2021. |