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Enfance : à défaut de pouvoir les supprimer rapidement, l'Igas propose aux départements d'encadrer les nuitées hôtelières

L'Inspection générale des affaires sociales a rendu public un rapport sur le placement de mineurs en chambres d'hôtels. Dans les faits, les mineurs concernés sont des mineurs non accompagnés (MNA) étrangers, qui y restent en moyenne trois mois, mais parfois bien plus. Les départements le voient comme un pis-aller, face à l'urgence et la pression de la demande, et se disent prêts à évoluer vers d'autres solutions. Pour l'Igas, "l'hôtel devra, à moyen terme, n'être utilisé qu'à titre exceptionnel". Et être encadré par une doctrine et davantage de contrôle. Le secrétaire d'Etat Adrien Taquet souhaite "des décisions rapides".

L'Igas (Inspection générale des affaires sociales) a rendu public, le 25 janvier, un rapport remis en novembre dernier au secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles et portant sur "l'accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l'aide sociale à l'enfance". En pratique, l'intitulé vise essentiellement le placement de mineurs dans des chambres d'hôtels, au lieu de solutions de placement relevant directement de la protection de l'enfance. Il s'agit là, malgré des annonces successives des pouvoirs publics, d'une pratique qui perdure depuis de longues années et que pointait encore la Cour des comptes dans son tout récent référé sur les mineurs non accompagnés (voir notre article du 5 janvier 2021).

Entre 7.500 et 10.000 mineurs de l'ASE hébergés à l'hôtel

Le jour même de la publication officielle du rapport, Adrien Taquet, qui avait missionné l'Igas en janvier 2020, s'est rendu en Moselle "pour visiter ce département exemplaire, qui a toujours refusé de placer des mineurs à l'hôtel et mis en place des solutions efficaces et adaptées, telles que la création de places modulables ou les appartements semi-autonomes, pour garantir une qualité de prise en charge répondant aux besoins spécifiques des mineurs confiés". 
Le rapport de l'Igas, qui s'appuie sur les retours de 29 départements, rappelle qu'environ 148.000 mineurs sont confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Sur ce total, 5% au minimum ne sont pas accueillis dans les établissements et structures autorisés ou habilités par l'ASE, soit entre 7.500 et 10.000 mineurs. Les nuitées hôtelières sont alors la solution la plus courante, au point que "l'hôtel est aujourd'hui un mode d'accueil important du point de vue du nombre de mineurs concernés" : sur les 29 départements de l'échantillon, 20 ont recours à cette solution.

95% des mineurs hébergés à l'hôtel sont des MNA

Les mineurs concernés ont un profil très spécifique : il s'agit en effet, à 95%, de mineurs non accompagnés (MNA) et à 5% d'enfants en situation dite complexe. Au total, plus du quart des MNA (28%) est hébergé à l'hôtel. Ce profil a pour conséquence une forte concentration géographique du recours à l'hôtel : trois départements, parmi les 29 de l'échantillon, concentrent 62% des mineurs hébergés à l'hôtel. La pratique est particulièrement importante en Île-de-France et en région Paca. La concentration des arrivées de MNA sur certains territoires n'expliquent cependant pas tout et certains départements peuvent être défaillants dans la prise en charge de ces derniers. L'Igas explique ainsi que "l'accueil des MNA en hôtels est un choix par défaut, mais une réalité massive et dont la volonté affichée de sortie révèle de fortes ambiguïtés". Face à l'afflux de MNA, certains départements ont mis sur pied "un dispositif qui s'apparente en réalité à une sorte de '115 jeunes' ; dispositif dans lequel l'urgence et la pression de la demande commandent les autres critères de pilotage, et dont l'hôtel est devenu le principal outil puisqu'il permet en permanence de rendre variables les moyens immobiliers et humains consacrés à l'accueil d'une population qui est à plus de 90% masculine".
L'Igas pointe aussi la longueur des séjours en hôtels : la moyenne est de trois mois, "mais de nombreux cas de MNA hébergés à l'hôtel pour une durée supérieure à six mois, voire un an, ont été rapportés à la mission". En pratique, les séjours en hôtel sont courts pour les MNA les plus jeunes, pris en charge par une structure ASE dès qu'une place se libère, et nettement plus longs pour les MNA plus proches de la majorité, avec un accompagnement tourné alors vers l'accès au titre de séjour provisoire à leurs 18 ans. 
Dans le cas des mineurs dits "complexes" (échec des modes de prise en charge collectifs, troubles du comportement...), le recours à l'hôtel répond aux situations d'urgence, mais "traduit plus largement les carences institutionnelles de prise en charge". 

Un coût de 250 millions d'euros par an

On ne s'attardera pas sur les limites et les dangers de l'accueil en hôtel, déjà abondamment documentés et qui constitue une solution "fondamentalement inadaptée comme mode d'hébergement pour des mineurs" : promiscuité, faible contrôle de la qualité des lieux, isolement, faible surveillance par le gérant, proximité de lieux de trafics... Par ailleurs, le coût est très loin d'être négligeable, puisque l'Igas l'évalue, à partir des départements de l'échantillon, à 250 millions d'euros au niveau national.
Le rapport reconnaît toutefois que certains départements "considèrent que l'hôtel constitue une réponse malgré tout relativement adaptée aux particularités des MNA (plus forte autonomie, résilience, projet économique...)". Il reste néanmoins que les départements concernés voient le recours à l'hôtel comme un pis-aller. Ils se disent prêts à évoluer vers des solutions plus en phase avec la réalité des besoins, notamment via le développement de places en habitat semi-autonome ou diffus (appartements partagés dans le parc social ou libre, appart'hôtel), solutions sur laquelle le rapport se montre d'ailleurs plutôt réservé.
Pour sa part, Adrien Taquet indique, dans un communiqué du 25 janvier à l'occasion de la présentation officielle du rapport, qu'il annoncera "très prochainement des décisions pour mettre fin à cette situation qui compromet le bien-être des enfants concernés".

En attendant, intégrer l'hôtel dans les schémas départementaux de la protection de l'enfance

Après avoir déjà consacré plusieurs rapports à ce sujet et au vu des résultats de différents plans ou annonces – comme le plan gouvernemental de réduction des nuitées hôtelières de novembre 2016 – l'Igas préfère toutefois se montrer réaliste. Le rapport propose certes de faire reculer le recours à l'hôtel "en développant une offre alternative, dans des structures de petite taille, à forte intensité de suivi, adaptées aux profils des jeunes concernés, dont il convient aussi d'évaluer véritablement les degrés d'autonomie et besoins de soutien". L'Igas considère ainsi que "sans aller jusqu'à son interdiction totale, l'hôtel devra, à moyen terme, n'être utilisé qu'à titre exceptionnel, en tant que solution de dernier recours et pour une durée très limitée".
Mais, en attendant sa résorption, le rapport estime que "le recours à l'hôtel doit être encadré par les départements". Il faut pour cela l'intégrer aux schémas départementaux en protection de l'enfance (aucun des schémas consultés par la mission ne traite de cette solution). Il faut aussi élaborer une doctrine d'utilisation des hôtels fixant les profils de mineurs susceptibles d'y être accueillis, la durée maximale de leur hébergement et les critères de sélection des hôtels. De même, il conviendrait de formaliser la relation avec les hôteliers (seule une minorité de départements le fait au travers d'un marché public) et de se doter d'une méthodologie de contrôle de ces hôtels et des suites qui y sont données. Enfin, les départements devraient se voir dotés d'un pouvoir de contrôle sur les structures agréées "jeunesse et sport", parfois utilisées pour des placements. Dans tous les cas, Adrien Taquet indique, dans son communiqué du 25 janvier, qu'il "souhaite des décisions rapides".