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Travail social - Prévention de la radicalisation : la CNCDH s'inquiète pour les travailleurs sociaux

Dans un avis publié au Journal officiel du 1er avril 2018, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) se prononce sur le dispositif de prévention de la radicalisation.
Cet avis avait été adopté en assemblée plénière le 18 mai 2017 à l'unanimité et cinq abstentions, et mis en ligne sur le site de la commission dans la foulée. Ce décalage de près d'un an entre l'adoption de l'avis et sa publication au JO perturbe inévitablement sa lecture, dans la mesure où le texte publié aujourd'hui ne tient évidemment pas compte de la levée de l'état d'urgence le 1er novembre 2017 et des dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. En outre, ce rapport est intervenu dans un contexte un peu particulier : celui de l'échec et de la fermeture, en février 2017, du "centre de réinsertion et de citoyenneté" de Beaumont-en-Veron (Indre-et-Loire), le premier - et dernier à ce jour - du genre.
L'avis conserve toutefois tout son intérêt, notamment par les développements qu'il consacre à la place des travailleurs sociaux dans les dispositifs de prévention de la radicalisation.
Tout en ne "négligeant pas le besoin de donner une réponse aux attentats terroristes qui se sont succédé en France et ailleurs ces dernières années", la CNCDH se montre, selon une ligne constante, très réservée sur les mesures de prévention de la radicalisation. Elle craint en particulier un "risque de dérive vers un contrôle social généralisé".

"Le travail social est subverti par la logique du renseignement"

Sur ce point, l'avis considère que "le travail social [est] subverti par la logique du renseignement". En effet, "l'injonction à la détection et au signalement heurte les missions traditionnelles des travailleurs sociaux. Cela est particulièrement notable pour la prévention spécialisée, qui repose en principe sur le respect de la confidentialité et la libre adhésion des personnes suivies".
Rejoignant les préconisations du rapport de Michel Thierry, inspecteur général des affaires sociales, de juillet 2016 sur "Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social" (voir notre article ci-dessous du 13 juillet 2016), l'avis préconise qu'"a minima, le processus de signalement se fasse dans le strict cadre déontologique de droit commun" et qu'il revienne au travailleur social "d'apprécier le risque de basculement dans la délinquance et la stricte proportionnalité des transmissions d'information par rapport aux finalités de l'action éducative". La CNCDH estime également que les travailleurs sociaux devraient être informés des suites données au signalement.
L'argument avancé est que la réussite de la mission des travailleurs sociaux repose sur l'établissement et l'entretien d'un lien de confiance. Or, "la logique de détection des personnes dites à risque, qui préside à la mise en œuvre des indices de basculement, fragilise ce lien".

Des effets contre-productifs ?

Plus grave, selon la CNCDH, "la contamination du champ de l'action sociale par les impératifs du renseignement tend à produire les effets inverses à ceux poursuivis", en risquant d'entraîner la sortie des personnes suivies du dispositif de protection ou en engendrant des comportements de dissimulation.
La CNCDH "rappelle donc avec insistance la nécessité de respecter la mission centrale des travailleurs sociaux, lesquels ne doivent pas devenir des auxiliaires de police ou des services de renseignement". Elle estime que "les pouvoirs publics ne sauraient faire primer une logique sécuritaire sur des politiques publiques mues par un objectif d'intégration sociale". Elle juge aussi que la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) "pourrait jouer en matière d'accompagnement en mettant en place une prise en charge et un suivi adaptés des jeunes primo-délinquants et de leur famille".
L'avis aborde bien sûr d'autres aspects des politiques de lutte contre la radicalisation. Mais l'impression qui ressort de la lecture du document est que la CNCDH s'appuie sur l'échec - incontestable - du "centre de réinsertion et de citoyenneté" de Beaumont-en-Veron pour écarter toutes mesures spécifiques de lutte contre la radicalisation, la commission refusant d'ailleurs de reprendre à son compte "les termes de 'radicalisation', de 'processus de radicalisation' et de 'contre-radicalisation' tels qu'ils sont utilisés par les pouvoirs publics, puisque c'est précisément leur insuffisante conceptualisation qui est responsable des dangers véhiculés"...

Références : Commission nationale consultative des droits de l'homme, avis sur la prévention de la radicalisation (Journal officiel du 1er avril 2018).

 

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