Enfance - Retour des mineurs de la zone irako-syrienne : quel rôle pour les départements ?
Une longue instruction du Premier ministre, en date du 23 février 2018, revient sur un sujet particulièrement sensible : celui de la prise en charge des mineurs à leur retour de zone d'opérations de groupements terroristes (notamment de la zone irako-syrienne). La diffusion de cette instruction, mise en ligne le 6 mars, intervient juste après la présentation, par Edouard Philippe, d'un nouveau plan de prévention de la radicalisation, le troisième en quatre ans (voir notre article ci-dessous du 23 février 2018). Si la dimension de prévention de la radicalisation chez des enfants exposés à la propagande terroriste n'est pas absente de l'instruction, celle-ci consacre toutefois l'essentiel de son contenu à la prise en charge éducative.
Environ 500 mineurs concernés
Ce n'est pas la première fois qu'un Premier ministre se penche sur la question. Une instruction de Bernard Cazeneuve du 23 mars 2017 traitait en effet déjà de la question (voir notre article ci-dessous du 29 mars 2017). Pour sa part, Jean-Jacques Urvoas, alors ministre de la Justice, avait installé deux comités de suivi des mineurs de retour de la zone irako-syrienne, juste avant les élections présidentielles (voir notre article ci-dessous du 25 avril 2017).
L'instruction d'Edouard Philippe reprend très largement celle de Bernard Cazeneuve. Elle s'en distingue néanmoins par plusieurs points. Elle estime à environ 500 (contre 450 il y a un an) le nombre de mineurs "dont la plupart sont très jeunes, [qui] ont été soit emmenés par leurs parents, soit sont nés sur place". Certains d'entre eux "sont d'ores et déjà sur le territoire national et il est probable que d'autres reviendront".
Face à cette "situation exceptionnelle", l'instruction prévoit un dispositif spécifique, mais s'appuyant "largement sur le droit commun tout en mettant en œuvre des dispositions innovantes, permettant ainsi de mobiliser l'ensemble des services de l'Etat sur cette problématique, d'améliorer leur coordination avec les conseils départementaux chargés de la prise en charge de ces enfants en protection de l'enfance [...] et d'instaurer un suivi renforcé au long cours de ces enfants au regard de la spécificité de leur parcours et de leur situation familiale".
A l'ASE d'organiser et de préparer l'accueil
Avant le retour en France, l'instruction du 23 février détaille le suivi effectué par les postes consulaires, sur lequel la circulaire de 2017 passait rapidement. Elle maintient le principe d'une information immédiate du directeur de permanence de l'agence régionale de santé (ARS) par l'autorité préfectorale dès que le mineur pose le pied sur le sol français.
Ces informations "permettent au service départemental d'aide sociale à l'enfance d'organiser et de préparer l'accueil du ou des enfants, au sein d'un établissement ou d'une famille d'accueil".
L'instruction précise également que "les enfants seront placés en priorité dans des établissements, des services de placement familial ou chez des assistants familiaux volontaires et formés pour l'accueil des enfants de retour de zones d'opérations terroristes". L'orientation des fratries sur un même lieu de placement sera à prioriser, "en évitant toutefois de regrouper les mineurs de retour de zone de conflits en une même structure". Un appel à candidatures du ministère de la Justice et du ministère des Solidarités et de la Santé permettra prochainement d'identifier les établissements et services volontaires.
Une attention renforcée à l'accompagnement social des parents
Après avoir précisé l'intervention du juge des enfants, l'instruction du 23 février détaille le déroulement et le contenu du bilan somatique et médico-psychologique, essentiel pour des enfants fortement traumatisés par ce qu'ils ont vu et vécu. Ce bilan est déclenché le plus précocement possible par le directeur de l'ARS. Cette anticipation doit également être mise en œuvre pour la scolarisation, qui "demeure un droit pour les mineurs".
Autre différence avec la circulaire de 2017. L'instruction du 23 février 2017 détaille davantage l'accompagnement social des parents. Elle rappelle ainsi qu'en cas de placement de l'enfant, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu'un droit de visite et d'hébergement (sauf mesures de suspension ou d'aménagement décidées par le juge des enfants).
Le juge apprécie également l'opportunité d'un éloignement ou d'un maintien des liens avec la famille "en fonction des éléments d'information qu'il aura pu obtenir via l'audition des enfants, des parents et des membres de la famille, les conclusions du bilan psychologique effectué par les médecins compétents, le premier rapport de l'aide sociale à l'enfance et les premières conclusions des éventuelles mesures d'investigation prononcées". Si l'intérêt de l'enfant de l'enfant le justifie ou en cas de danger, il peut décider de ne pas communiquer à la famille le lieu d'accueil.
Formation et accompagnement pour les professionnels
En revanche, vis-à-vis des parents qui ne font pas l'objet de mesures judiciaires après leur garde à vue, l'instruction rappelle qu'"ils doivent pouvoir bénéficier d'un accompagnement à l'accès aux droits sociaux et aux différents dispositifs d'insertion de droit commun".
Vis-à-vis des professionnels chargés de la prise en charge de ces enfants, l'instruction précise qu'"une enveloppe du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) sera dédiée à la formation, l'accompagnement et au soutien des professionnels (travailleurs sociaux et médicosociaux et professionnels de santé)". Des sessions régionales de sensibilisation, pilotées par les référents des ARS en charge de la prévention de la radicalisation, seront par ailleurs organisées dans chaque région en 2018.
Un suivi qui ne s'arrête pas à la fin de la prise en charge
En matière de coordination du dispositif - assurée par les préfets -, l'instruction du 23 février 2018 apporte un soin particulier à la question du partage de l'information. Elle définit en particulier la nature et le périmètre des informations échangées
Enfin - et contrairement à la circulaire de 2017 - elle consacre un long développement aux "mesures complémentaires d'accompagnement et de suivi des mineurs après leur retour sur le territoire national". Celles-ci - dans une approche avant tout sécuritaire - prévoient notamment la mise en place d'un accompagnement dans la durée après la clôture d'une procédure d'assistance éducative, "en prenant en compte à la fois le caractère exceptionnel de ces situations et l'absence objective de recul sur leur potentielle évolution". De même, l'instruction détaille l'organisation du lien avec le groupe d'évaluation départemental (GED) de la préfecture de département et le suivi des aspects liés à la sécurité.
Comme en 2017, l'instruction du Premier ministre se clôt par une annexe illustrant, grâce à un schéma, le circuit d'information initiale, depuis la phase de préparation/découverte jusqu'à la phase de prise en charge en assistance éducative, en passant par celle d'arrivée/évaluation, et en distinguant entre l'entrée programmée et l'entrée clandestine. Un schéma qui confirme le rôle clé joué par les départements dans la prise en charge de ces mineurs.
Références : Premier ministre, instruction du 23 février 2018 relative à la prise en charge des mineurs à leur retour de zone d'opérations de groupements terroristes (notamment la zone irako-syrienne) (mise en ligne le 6 mars 2018).