Nouveau plan de lutte contre la radicalisation : de nombreux enjeux pour les collectivités
Des écoles aux prisons, en passant par les clubs de sport ou les administrations, le nouveau plan de prévention de la radicalisation présenté par le Premier ministre, le 23 février à Lille, se propose d'intervenir à tous les niveaux. Ce qui constitue sa principale différence avec les deux précédents plans. Les collectivités seront associées à la fois dans la détection et la prise en charge. Mais leur rôle reste souvent à préciser.
Ne pas rééditer les erreurs du passé. C'est l'ambition du nouveau plan de lutte contre la radicalisation présenté par le Premier ministre à Lille. Le troisième du genre en quatre ans, après ceux de 2014 et 2016 dont le bilan est pour le moins mitigé. En 2016, l'ancien Premier ministre Manuel Valls avait annoncé la création d'un centre de réinsertion et de citoyenneté dans chaque région d'ici fin 2017. Le premier de ces centres, celui de Pontourny (en Indre-et-Loire) avait été inauguré le 1er septembre 2016. Reposant sur le volontariat, il s'était soldé par un fiasco.
Ce nouveau plan avait été annoncé par le président de la République aux préfets le 5 septembre. Il a donc fallu de longs mois pour le concocter et approfondir un travail piloté par la secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), Muriel Domenach. Une vingtaine de ministères et secrétariats d'Etat ont été mobilisés, non seulement l'Intérieur et la Justice, mais aussi le Sport, l'Education... Une approche multisectorielle qui marque sans doute la vraie différence avec les expériences précédentes.
A l'issue d'une réunion de ce CIPDR délocalisé à Lille, en présence de tous les ministres concernés, le Premier ministre a déroulé les soixante mesures de ce plan baptisé "Prévenir pour protéger". Prévenir dans tous les compartiments de la société - les écoles et les lycées, la fonction publique, les prisons, les clubs sportifs…-, sans virer à la psychose, c'est toute la difficulté de l'exercice.
Mieux contrôler les écoles hors contrat
Le plan dresse un état des lieux de la "radicalisation" en France. Au 20 février, quelque 19.745 individus étaient recensés dans le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Soit 2.000 de plus en un an. Pour rappel, ces personnes sont signalées via un numéro vert ou des remontées de terrain des préfectures. Ce ne sont pas les fameux "fichés S" et tous ne sont pas soupçonnés d'un risque de passage à l'acte… Sur l'ensemble, 11.000 sont aujourd'hui suivis. 4.600 cas sont "clôturés" et plus de 3.500 "en veille".
Le gouvernement veut agir le plus tôt possible pour éviter toute dérive. Le plan accorde ainsi une large place aux signalements, à l'information sur internet et à la prévention dans les établissements scolaires. Edouard Philippe a apporté tout son soutien à la proposition de loi de la sénatrice centriste Françoise Gatel visant à mieux encadrer les écoles privées hors contrat et à prévenir les risques de radicalisation (voir ci-dessous notre article du 22 février). Ce texte a été adopté par le Sénat le 21 février. Et le Premier ministre a souhaité qu'il "puisse aboutir rapidement et aller à son terme". Ces écoles hors contrat accueillent aujourd'hui 74.000 élèves, un nombre "en forte progression", a souligné le Premier ministre, avec 150 ouvertures en 2017, un rythme cinq fois plus soutenu qu'il y a cinq ans. Alors que ces écoles sont soumises aujourd'hui à trois régimes déclaratifs, le gouvernement souhaite les unifier, avec un allongement des délais afin de permettre un meilleur contrôle. Toutefois, il a fait "le choix de ne pas se diriger vers un régime d'autorisation", sachant que le Conseil constitutionnel avait retoqué une disposition du projet de loi Egalité et Citoyenneté de 2016 allant dans ce sens.
Fonctionnaires radicalisés
"L'Etat en tant qu'employeur n'est pas épargné par la radicalisation", a aussi souligné le Premier ministre. Le phénomène est suffisamment préoccupant par endroit pour que la ministre de la Justice ait pris soin, en juin 2017, d'adresser une note à la Protection judiciaire de la jeunesse - elle-même impliquée dans les programmes de déradicalisation - pour rappeler l'obligation de neutralité de ses éducateurs…
Afin de remédier à ce genre de situations, le plan vise à "compléter le maillage détection/prévention", que ce soit dans les administrations, les collectivités territoriales ou le sport. Le Premier ministre a ainsi annoncé qu'il signerait dans les "tout prochains jours" deux décrets d'application de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre 2017 permettant d'écarter de leurs fonctions un militaire ou un fonctionnaire "dont le comportement serait devenu incompatible avec l'exercice de ses fonctions". Le Premier ministre souhaite "élargir la réflexion" et a chargé le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, d'une mission afin d'envisager d'écarter de ses fonctions "un agent en contact avec des publics sur lesquels il est susceptible d'avoir une influence", "dont le comportement porte atteinte aux obligations de neutralité, de respect du principe de laïcité", voire comporte des "risques d'engagement dans un processus de radicalisation". Ses conclusions seront remises avant la fin du premier trimestre 2018.
Le plan incite par ailleurs les collectivités à nommer des "référents" afin d'améliorer les échanges d'informations avec les cellules de suivi pour la prévention de la radicalisation et l'accompagnement des familles (CSPRAF) et "améliorer les dispositifs de détection, de signalement et de prise en charge des personnes radicalisées". Voilà qui devrait partiellement satisfaire les associations d'élus très demandeuses de ces échanges d'informations. Toutefois, il n'est une nouvelle fois pas question de donner aux élus un accès aux fichiers. "Nous poursuivrons notre dialogue avec les grandes associations d'élus pour déterminer les modalités les plus adaptées à l'amélioration du dispositif d'information", a cependant précisé le Premier ministre. Le plan prévoit aussi un cadre national de formation des élus en lien avec le Centre national de la fonction publique territoriale et le Conseil national de la formation des élus locaux. Le ministre de la Cohésion des territoires devra s'assurer d'ici au mois de juin que tous les contrats de ville ont bien été complétés par un plan de prévention de la radicalisation.
Pour ce qui est du sport, une circulaire interministérielle sera envoyée aux préfets "pour les inciter à programmer les contrôles sur les territoires et disciplines à risque".
Prise en charge
Une fois détectées, que faire des personnes radicalisées ? "Nul ne dispose d'une formule magique de déradicalisation au sens où l'on pourrait déprogrammer un logiciel dangereux. Mais il existe, en France et ailleurs, des bonnes pratiques de prévention et de désengagement", a insisté le Premier ministre. Le gouvernement, qui préfère donc le terme de "désengagement" à celui de déradicalisation, prend acte de l'échec du centre de Pontourny et préconise un autre dispositif expérimenté depuis un an en Ile-de-France pour les personnes radicalisées placées sous main de justice (contrôle judiciaire, sursis avec mise à l'épreuve…) : le programme Rive (Recherches et interventions sur les violences extrémistes). Inspiré de ce qui se fait notamment au Danemark, il s'appuie sur un suivi socio-éducatif et un référent cultuel. Trois nouveaux centres de ce type "seront expérimentés progressivement à Marseille, à Lyon et à Lille", a annoncé le Premier ministre.
La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, travaillera parallèlement à un plan pénitentiaire pour prendre en charge les personnes radicalisées, notamment celles qui reviennent de Syrie ou d'Irak. 1.500 places vont être créées dans des "quartiers étanches", dont 450 d'ici la fin de l'année. Un virage à 180 degrés par rapport à ce qu'avait entrepris l'ancien ministre Jean-Jacques Urvoas…
Le Premier ministre a annoncé avoir signé le jour même une circulaire sur la prise en charge des mineurs qui reviennent du Levant. 68 mineurs sont rentrés de cette zone, dont la presque totalité ont moins de 13 ans, a rappelé Edouard Philippe, insistant sur le besoin d'un "suivi psychologique". Le plan prévoit de "renforcer l'action des conseils départementaux" à leur égard.
Plus généralement, le gouvernement souhaite "développer des actions de coopération entre les collectivités territoriales et les services de l'Etat dans la prise en charge de personnes présentant des signes de radicalisation" et dans l'accompagnement des familles.
Jean-Marie Bockel, président de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales et auteur, avec Luc Carvounas, d'un rapport intitulé "Les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation" (voir ci-dessous notre article du 11 avril 2017), s'est félicité vendredi de ce plan qui selon lui "reprend la plupart des propositions" de ses travaux. "C'est le cas notamment en ce qui concerne l'indispensable mise en place d'un dispositif sérieux d'évaluation des actions de lutte contre la radicalisation", a-t-il indiqué dans un communiqué. Il se félicite également de "la volonté affichée de mieux contrôler le respect de l'obligation scolaire et le fonctionnement des écoles privées hors contrat qui constituent parfois des écoles coraniques clandestines".