Archives

Sécurité - Prévention de la délinquance : le partenariat local dans la tourmente

Loin d'avoir relancé la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance, le plan Fillon d'octobre 2009 semble avoir distendu les liens entre l'Etat et les acteurs locaux, si l'on en croit une nouvelle enquête du Conseil national des villes.

Le 2 octobre 2009, François Fillon, Premier ministre, lançait le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes. Un an après, tout comme il l’avait fait pour la loi sur la prévention de la délinquance du 5 mars 2007, le Conseil national des villes (CNV) a décidé de tirer un premier bilan sur son impact local. Une enquête a ainsi été menée en juin 2010 auprès des coordonnateurs de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et des collectivités territoriales (municipalités, communautés urbaines agglomérations et départements). Et les retours, issus de Bordeaux, Clichy-sous-Bois, Gonesse, Montfermeil, Marseille et Sarcelles donnent une fois de plus l'impression d'un démarrage lent. 77,3% des coordonnateurs interrogés trouvent ainsi que la gouvernance locale n’a pas changé suite à la publication du plan national (qui, rappelons-le, avait été lancé à la demande du président de la République, justement pour accélérer la mise en oeuvre de la loi de 2007). Le plan de François Fillon place pourtant le maire au centre du dispositif local de prévention, mais d’après les coordonnateurs, les villes étaient déjà pleinement et durablement investies sur le sujet, avec une gouvernance marquée sur le territoire, et elles n’ont pas constaté de mobilisation particulière de la préfecture ou de la sous-préfecture suite à l’annonce du plan. "Le plan national n’a pas produit de nouveaux partenariats, en particulier avec les institutions normalement concernées comme la police, la justice et l’Education nationale", signale ainsi l'enquête du CNV. Pourtant les besoins sont là, comme le rappelle Charles Gautier, sénateur-maire de Saint-Herblain et président du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU). "Le maire est le chef d’orchestre, il est au coeur du dispositif mais les autres ne doivent pas se défiler, explique-t-il. En matière de justice par exemple, les maires ne veulent pas être un maillon de la chaine pénale. Les habitants se tournent spontanément vers eux, s’ils s’aperçoivent que quand ils parlent à leur maire, ils sont fichés, il y aura rupture de confiance. On ne veut pas rentrer dans ce processus."

Un plan national peu crédible

Globalement, les coordonnateurs ne perçoivent pas les changements induits par le nouveau plan de prévention, et le peu de fois où ils en perçoivent, ils sont négatifs. Le recentrage sur les questions de sécurité, police et justice notamment, est particulièrement critiqué, la vidéoprotection en premier lieu. "Cette focalisation sur la sécurité, notamment la vidéoprotection, et ce désengagement financier de l’Etat rendent le plan national peu crédible", signale ainsi le rapport. De même, le pilotage politique de la prévention de la délinquance pose problème. "Qui pilote les politiques locales de prévention de la délinquance et de quelle manière ?", interroge l'enquête signalant une "contradiction entre cette volonté affichée par les gouvernements que le maire soit le coordonnateur et la parution de ce plan qui tente à la fois de reprendre les mesures contenues dans la loi de mars 2007 et les méthodes de gouvernance imposées par la mise en oeuvre de ce plan national". On se souvient à ce titre qu'une circulaire du ministre de l'Intérieur publiée cet été, demandant aux préfets d'évaluer les mesures mises en oeuvre localement, avait suscité l'inquiétude des maires. Les coordonnateurs estiment même que depuis les derniers plans, le préfet demande au maire de devenir "un supplétif de l’Etat afin de permettre la réussite des actions nationales", mettant à mal la coproduction collectivités territoriales/Etat. Les coordonnateurs déplorent aussi le remplacement des contrats locaux de sécurité (CLS), qui reposent sur le partenariat entre Etat et collectivités locales et sur des actions de proximité, par les nouvelles stratégies territoriales de sécurité et de prévention de la délinquance, introduites dans le cadre du plan Fillon. Des stratégies définies pour une durée de trois ans et comportant des objectifs assortis d’échéances de réalisation et d’un dispositif d’évaluation, censées être plus souples que les CLS, avec une formalisation à la carte à l’initiative de la collectivité. Ce remplacement "introduit une confusion supplémentaire au niveau local", estiment les coordonnateurs interrogés par le CNV, alors que la situation antérieure était plutôt positive. "La stratégie territoriale vise surtout à ce que les plans des villes reprennent les orientations nationales, niant l’antériorité des acquis et des succès obtenus ; une démarche ascendante est remplacée par une démarche descendante", indique l'enquête. Et "ces stratégies semblent difficiles à appliquer, renchérit Charles Gautier. A tel point que le gouvernement veut démarrer une mission pour repérer les blocages et faire des propositions". Globalement, les collectivités interrogées ont le sentiment d’un retour en arrière, d’une perte de sens. Elles ont l’impression de devoir résister aux injonctions d’un Etat "recentralisateur" qui leur explique "ce qui est bon pour leur ville".

La place prépondérante de la vidéoprotection

La question du financement est également abordée dans le rapport du CNV. Sur ce sujet, la place prépondérante de la vidéoprotection, qui absorbe entre 80 et 85% du budget du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) sur un département est encore remise en question. "La prédominance de la vidéo réduit d’autant les moyens humains, qui de l’avis de chacun sont nécessaires pour faire face aux enjeux, leur efficacité semblant plus forte que celle de la vidéo qui reste à démontrer", souligne ainsi le rapport qui insiste aussi sur le fait qu’à l’inverse, les subventions FIPD affectées aux actions autres que la vidéosurveillance sont bien moindres et très inégalitairement accordées. "Pourquoi pas faire de la vidéoprotection, mais il ne faut pas taper dans les caisses de la prévention", estime pour sa part Charles Gautier, qui propose de sortir du FIPD les dépenses de vidéo pour éviter que les autres postes soient rabotés. "Les maires veulent savoir sur quoi ils peuvent compter", précise le sénateur-maire de Saint-Herblain. En attendant, les maires se démènent sans grande illusion. "Pour le moment, on se débrouille avec nos moyens et on y met toute notre énergie mais ça ne suffira pas", conclut Jean-Jacques Benoît, maire de Pessac, dont la ville vient de gagner le prix Prévention délinquance 2010 (voir ci-dessous). Reste maintenant à savoir ce qui sortira du rapport sur la prévention de la délinquance que Jean-Marie Bockel remettra dans les prochains jours.

 

Emilie Zapalski

Le prix Prévention délinquance 2010 à Pessac

Le prix Prévention délinquance a été attribué le 27 octobre 2010 à la ville de Pessac pour son action menée au coeur des quartiers d’habitat social, et plus particulièrement pour son dispositif de chantiers éducatifs (entretien des espaces verts, nettoyage des caves privatives…) utilisés comme outils de médiation dans les quartiers. En 2009, 96 jeunes ont ainsi profité du dispositif au sein de 25 chantiers éducatifs. "Il faut que chacun essaie de trouver sa place, a souligné Jean-Jacques Benoît, maire de Pessac lors de la remise du prix au Sénat. Une commune est là pour aider à ce qu’il n’y ait pas de dérapage."
Le prix Prévention délinquance vise à promouvoir une dynamique nouvelle dans le champ des politiques publiques nationales et locales de prévention et à donner une visibilité aux actions efficaces et innovantes dans ce domaine. 

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis