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Conférences des villes - Faut-il sécuriser la politique de la ville ?

Les maires de grandes villes ont profité de la 10e Conférence des villes pour demander au gouvernement la tenue d'un Grenelle de la sécurité. Ils demandent également un lien plus étroit avec la politique de la ville.

Après un été très agité, les maires de grandes villes ont fait leur rentrée, mercredi 22 septembre, en demandant la tenue d'un Grenelle de la sécurité. Dans un manifeste présenté au ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo, à l'occasion de la 10e Conférence des villes, ils demandent un renforcement de la "cohésion sociale et urbaine". Et de placer la sécurité et la politique de la ville au premier rang de leurs préoccupations du moment, devant l'habitat, la mobilité ou la jeunesse. "La sécurité, on lit que c’est l’affaire des maires, alors qu’elle engage aussi l’Etat. Il ne faut pas séparer la politique de la ville du logement de celle de la sécurité. Il faut aborder les questions dans leur globalité", a ainsi insisté Michel Destot, député-maire de Grenoble et président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF), lui qui cet été avait demandé la tenue de ce Grenelle de la sécurité après les violents incidents survenus dans la cité de la Villeneuve, en plein coeur de Grenoble. C'est qu'à coup de lois multiples dont la dernière en date est la Loppsi 2, le paysage de la sécurité a fortement évolué ces dernières années, posant la question des compétences des maires et de la police municipale. La semaine dernière, trois associations d'élus (AMGVF, Ville & Banlieue et le Forum français pour la sécurité urbaine) avaient proposé "la tenue d’une table ronde Etat-collectivités pour clarifier les compétences de chacun, dissiper les malentendus, affiner les nouveaux enjeux de la sécurité publique, relancer une coopération dynamique et durable et en déterminer les moyens nécessaires". Le manifeste des maires de grandes villes en reprend le principe et souhaite y associer "l'ensemble des acteurs, qu'ils soient nationaux ou locaux". Cette mise à plat des compétences est une demande insistante des syndicats de police municipale qui s'estiment de plus en plus exposés dans leurs fonctions. Leur appel a semble-t-il été entendu puisqu'en juin dernier le gouvernement a chargé l'Inspection générale de l'administration (IGA) d'une évaluation sur la place et le rôle de la police municipale dans la chaîne de la sécurité, l'IGA menant en ce moment une série d'auditions avec les syndicats. Mais les élus souhaitent un débat plus large et plus ouvert. Michel Destot a pris exemple sur le Grenelle de la sécurité local qui s'était tenu cet été à Grenoble. "Cette réunion a redonné confiance. Il faut le faire au plan national pour tenir compte de la diversité des situations, mais agir efficacement. Lorsque le ministre est venu cet été, on s'est tout de suite mis d'accord sur un diagnostic", a-t-il insisté.

Polices d'agglomération

Et les maires semblent décidés à faire tomber un certains nombres de tabous. Pour Manuel Valls, maire d'Evry, "l'apartheid est lié à une non-maîtrise de l'immigration". Il s'est dit "très intéressé" par le livre polémique du sociologue Hugues Lagrange (Le Déni des cultures) qui étudie le lien entre immigration et délinquance. "Le débat est ouvert, on ne peut pas nier une réalité que vivent les Français, a-t-il déclaré. On est à un moment-clé qui appelle à un consensus."

Alors que nombre d'élus socialistes réclament un retour de la police de proximité, le criminologue Alain Bauer a expliqué que celle-ci était morte de "la précipitation à l'approche des élections et de la confusion". "En somme, Nicolas Sarkozy en a été le médecin légiste, pas l'assassin, mais il ne l'a pas remplacée", a précisé l'expert. Selon lui, "la seule police de proximité qui fonctionne, c'est celle de Paris". Une allusion à la police d'agglomération qui vient d'être mise en place, et dont l'expérience pourrait faire tache d'huile dans d'autres agglomérations, comme le permet désormais la Loppsi 2.

Des élus ont appelé à ne plus regarder les banlieues comme des quartiers à part, mais comme la préfiguration d'un monde en transformation. "Les ruptures que l'on vit sont les ruptures que vit la société française. Il y aura de plus en plus de ségrégation si on refuse de voir qu'on assiste à un monde qui s'écroule", a ainsi mis en garde Stéphane Gatignon, maire de Sevran, qui n'a pas hésité à se prononcer en faveur de la libéralisation du cannabis qui représente "quatre millions de consommateurs" en France. Selon lui, le mal qui ronge les banlieues est l'économie souterraine qui "déstructure les quartiers et renforce la ghettoïsation".

Marchandage

Fadela Amara, secrétaire d'Etat à la Politique de la ville, a été obligée de reconnaître l'ampleur de la tâche. "Il n'est pas possible qu'un petit secrétariat d'Etat à la Politique de la ville puisse régler ce problème", s'est-elle résignée, plaidant pour que lors du prochain remaniement son secrétariat d'Etat soit directement rattaché au Premier ministre. Rappelant que "les deux chantiers incontournables à venir sont la réforme de la géographie prioritaire et la réforme de la péréquation", elle est restée assez vague. Tout juste a-t-elle répondu à Michel Delebarre, député-maire de Dunkerque, qui demandait de ramener le nombre de quartiers actuellement éligibles de 751 à une centaine. "Il faut réduire la géographie prioritaire mais 100 ce n'est pas assez", a-t-elle dit.

Ce lien entre sécurité et politique de la ville que les élus appellent de leurs voeux, le gouvernement vient d'une certaine façon de le concrétiser. Selon Le Monde du 22 septembre, il viendrait de prendre une circulaire datée du 6 septembre sur la "prévention situationnelle" dans les quartiers sensibles. En clair, il s'agirait d'intégrer toutes les questions de prévention dans les opérations d'urbanisme. D'après le quotidien, les préfets pourraient bloquer les permis de construire des opérations ne tenant pas compte des recommandations. Or une autre circulaire du ministre de l'Intérieur avait ému certains maires cet été. Elle demandait aux préfets d'évaluer dans chaque commune, avant le 15 décembre, les mesures mises en place en matière de prévention, notamment celles découlant de la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007. Mais en annonçant en août dernier la création des brigades spécialisées de terrain (BST), destinées à remplacer les unités territoriales de quartier, Brice Hortefeux a fixé deux conditions : "Ces nouvelles brigades spécialisées de terrain bénéficieront à des villes dans lesquelles il existe non seulement des zones difficiles mais surtout la volonté forte de résoudre ces difficultés." En clair, le ministre instaure une sorte de marchandage : pour avoir une BST, les maires devront prouver qu'ils utilisent les outils mis à leur disposition. Mais Michel Destot est revenu sur le climat de suspicion de cet été et a prévenu : "Quand on stigmatise des maires, quand on stigmatise des quartiers, quand on stigmatise des villes, on franchit la ligne blanche."

 

Michel Tendil

 

Péréquation : les grandes villes concentrent charges, pauvreté et pression fiscale

 

Alors qu’un débat a lieu le 27 septembre au Sénat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales, dans la perspective de la préparation du projet de loi de finances pour 2011, l’AMGVF a tenu à l’occasion de la 10e Conférence des villes à mettre les choses au point. "Il n’y a pas d’un côté les petites villes pauvres et de l’autre les grandes villes riches, ou le monde urbain riche et le rural pauvre", a dénoncé Jean-Claude Boulard. Le maire du Mans et président de la commission des finances de l’AMGVF assure que ces "deux clichés véhiculés par le collège sénatorial" servent de "référence au Comité des finances locales". Il veut les battre en brèche, pour la simple raison que les grandes villes "concentrent les charges", les "pauvretés" et les "problèmes", tout en supportant "une pression fiscale plus importante". Il faudra "prendre en compte les spécificités du monde urbain quand on va engager le débat sur la péréquation", souligne-t-il. Avec les charges de centralité et l’effort fiscal demandé aux contribuables, les critères déterminant la péréquation devront, selon les maires de grandes villes, tenir compte aussi du degré d’intégration communautaire. - T.B.