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Politique du tourisme : un peu de mieux, mais les retards s'accumulent

La France première destination touristique au monde vivrait sur ses acquis. Aucune véritable politique du tourisme, une gouvernance éclatée, un secteur laissé de côté par les pouvoirs publics, une réputation douteuse concernant sa qualité d'accueil, sa propreté et son mauvais positionnement en termes de compétitivité-prix... L'état des lieux de l'Hexagone aux 90 millions de visiteurs internationaux en 2018 laisse à désirer dans le dernier "Rapport d'information sur le tourisme", rendu par deux députés de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Ils formulent des propositions de "bon sens" pour que la France, 1ère destination ne soit plus au 3e ou 4e rang en termes de recettes touristiques.

La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale rend public son "rapport d'information sur le tourisme", rédigé par Marguerite Deprez-Audebert, députée (Mouvement Démocrate et apparentés) du Pas-de-Calais, et Didier Martin, député (LREM) de Côte-d'Or. Le titre très large du document ne cadre pas tout à fait avec le contenu du rapport. En effet, à l'exception de trois pages sur la façon de "reconquérir la clientèle de proximité et la clientèle française", le rapport est consacré très largement à l'accueil des touristes internationaux, confirmant ainsi la relative déshérence du tourisme national.

Un secteur "laissé de côté par les pouvoirs publics"

En dehors de cette limite, le rapport dresse un constat très complet de la situation en la matière, même s'il reprend des éléments déjà largement connus et exposés. Quatre ans après un précédent rapport de l'Assemblée nationale, en 2015, consacré à "L'évaluation de la politique d'accueil touristique" (voir notre article ci-dessous du 23 juillet 2015), le constat reste très critique. Après avoir rappelé les chiffres habituels (plus de 89 millions de visiteurs internationaux l'an dernier, 7,2% du PIB...), le rapport estime que "ce secteur tend souvent à être laissé de côté par les pouvoirs publics" et que "l’ambition politique pour le tourisme reste insuffisamment affirmée". Pour les auteurs, "la France tend en effet à se reposer de façon excessive sur son rang de première destination mondiale", ce qui encourage "l'idée selon laquelle le tourisme en France 'marche tout seul', sans qu’une stratégie politique forte n’ait nécessairement besoin d’être élaborée".

Le diagnostic est bien connu : le contraste entre le rang de première destination touristique mondiale et le 3e ou 4e rang en termes de recettes touristiques, une réputation "mêlant qualité de l’accueil insuffisante, déficit de propreté et mauvais positionnement en termes de compétitivité-prix", un manque plus global de vision ambitieuse portée au niveau national en matière de tourisme, une gouvernance éclatée... S'ajoute à ces éléments structurels des éléments plus conjoncturels, comme l'image désastreuse véhiculée à l'étranger par les huit mois de grève de la SNCF et les violences des gilets jaunes sur des hauts lieux du tourisme international (voir notre article ci-dessous du 13 mai 2019).

"Insuffler du bon sens dans les politiques touristiques"

Pourtant, la conjoncture est très porteuse, avec la croissance continue des flux touristiques mondiaux – au point de soulever désormais des problèmes de surfréquentation de certaines destinations (voir notre article ci-dessous du 30 juillet 2018) – et une concurrence qui devrait dynamiser l'offre.

Le rapport formule donc un ensemble de propositions. C'est le cas de la stratégie baptisée "Le tourisme des sens : miser sur les atouts français pour différencier notre offre". Elle entend s'appuyer sur l'offre culturelle dans les territoires (le Louvre-Lens est cité en exemple) et valoriser l'art de vivre à la française dans l'offre touristique. Comme souvent, l'exemple invoqué est celui de l'œnotourisme et du tourisme de gastronomie, comme on vient de le voir avec le lancement de la Vallée de la gastronomie (voir nos articles ci-dessous du 19 juillet 2019 et du 23 novembre 2018).

Mais, au-delà de la stratégie, le rapport propose aussi d'"insuffler du bon sens dans les politiques touristiques". Ceci passe en premier lieu par le développement d'une culture de l'accueil, chez les Français bien sûr – qui doivent "sortir de la défiance française pour le tourisme" – mais aussi chez les professionnels, par exemple avec le développement de la marque "Qualité tourisme", gérée par la DGE (voir notre article ci-dessous du 4 octobre 2017). Autres pistes dans cette construction d'une culture de l'accueil : le renforcement de l'attractivité des métiers du tourisme (qui doivent devenir une filière d'excellence) et la poursuite de l'amélioration de la qualité du primo-accueil : délivrance des visas (nettement améliorée ces dernières années), accueil dans les aéroports, propreté des autoroutes...

Seconde composante de ce "bons sens" : encourager la consommation touristique en élargissant et en simplifiant les mécanismes de détaxe et poursuivre le mouvement d'ouverture des commerces le dimanche.

La troisième composante consiste à assurer les conditions du renouvellement de l'offre d'hébergement, à travers une meilleure régulation entre les acteurs traditionnels et les acteurs numériques – allusion à la question des plateformes de locations meublées –, le maintien des dispositifs d'aide au renouvellement du parc d'hébergement, la simplification des normes, ou encore le traitement effectif – maintes fois réclamé – du problème des lits froids.

Gouvernance : les régions doivent être les chefs de file

Enfin, il s'agit de "repenser la gouvernance pour gagner en efficacité et construire une vision commune". Les rapporteurs appellent notamment à un renforcement du portage politique, avec en particulier la (re)création d'un secrétariat d'État dédié (qui pourrait se concrétiser lors d'un prochain remaniement) et le renforcement d'Atout France, qui est pourtant confronté plutôt à des réductions budgétaires (voir notre article ci-dessous du 22 janvier 2019).

Cette réforme de la gouvernance vaut aussi pour l'échelon territorial, avec une organisation jugée "complexe et éclatée". Le rapport appelle à faire de la région le chef de file de la politique touristique et se montre dubitatif sur la question du transfert de compétences de la commune à l’intercommunalité (notamment pour les offices de tourisme), une réforme jugée "juste dans son principe, complexe dans son application". Une question au demeurant déjà dépassée avec le retour en force des offices de tourisme communaux dans le cadre du projet de loi "Engagement et proximité" (voir notre article ci-dessous du 17 juillet 2019). Sans aller jusque-là, le rapport d'information propose néanmoins de "donner aux communes touristiques les moyens de jouer un rôle moteur pour leur territoire".

Le lecteur attentif de ce rapport, qui résume bien les enjeux du dossier, ne manquera cependant pas de s'interroger devant la dernière annexe, qui liste les récents rapports parlementaires sur le tourisme. Depuis 2017, on en dénombre déjà pas moins de cinq, sans compter le présent rapport de Marguerite Deprez-Audebert et de Didier Martin et celui, à paraître prochainement, commandé par le Premier ministre sur "Le tourisme pour tous" (voir notre article ci-dessous du 15 mars 2019). Mais pour quels résultats ?

 

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