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Innovation - Pôles de compétitivité : y a-t-il un pilote dans l'avion ?

Trois ans après leur lancement, les pôles de compétitivité qui réussissent le mieux sont ceux qui ont su se doter d'outils de gouvernance efficaces. Tour d'horizon en attendant les résultats de l'audit en cours.

Depuis le 12 juillet 2005, date de la première vague de labellisations, les pôles de compétitivité semblent se développer à grands pas. Déjà 734 dossiers de recherche et développement ont été déposés par les 71 pôles à l'occasion des quatre premiers appels à projets. 313 d'entre eux sont sur les rails après avoir reçu en 2006 et 2007 près de 429 millions d'euros de l'Etat, auxquels s'ajoutent 233 millions d'euros de la part des collectivités locales. Alors que les résultats d'un cinquième appel à projets sont imminents, le gouvernement maintient le rythme. Le 18 février, un sixième appel à projets a été lancé. Les résultats seront annoncés avant la fin du mois de juillet 2008. Parallèlement, un audit est en cours, qui doit permettre d'évaluer chaque pôle et d'apprécier l'efficacité des mesures mises en place par l'Etat pour favoriser leur développement. Une phase d'analyse et de réflexion qui correspond à une "pause" dans le processus de labellisation, décidée en novembre 2007 par le gouvernement, et qui doit permettre de confirmer voire de corriger le tir.

En attendant les résultats de cette évaluation en juin 2008, les échos ne sont pas toujours très positifs. Les pôles sont souvent critiqués pour le manque de participation des PME, et la clé de leur réussite repose sur leur mode de gouvernance. Or, chaque pôle s'est construit en définissant ses propres règles de gouvernance et ses propres modalités de fonctionnement sur la base de quelques grands principes préconisés par la circulaire du Premier ministre du 2 août 2005. Afin de les aider dans cette tâche, la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (Diact) a récemment publié un guide des bonnes pratiques s'appuyant sur un échantillon de dix pôles. Mais au-delà de ces initiatives, le gouvernement laisse à chacun la responsabilité de construire sa propre gouvernance, d'organiser son administration et de choisir les réseaux avec lesquels il va travailler. Ce qui peut aussi être un atout. "La force des pôles est justement que ce n'est pas une organisation de l'Etat, assure Nicolas Leterrier, délégué général du pôle grenoblois Minalogic. Si on avait mis en place une structure institutionnelle, on n'aurait pas eu cette diversité d'organisation et de fonctionnement." Les pôles doivent en effet trouver leur propre rythme. Pour Minalogic, dédié aux micro et nanotechnologies, cela s'est traduit par la création d'un conseil d'administration restreint autour de six membres, dont deux représentants du monde industriel, un représentant des PME, un du monde de la recherche, un de la formation et un des collectivités locales, qui est en appui mais n'a pas de droit de vote, étant financeur de certains projets de R&D. Un conseil qui est préparé à l'avance par un groupe de "sherpas", véritable cheville ouvrière du pôle.

"Il faut utiliser le terrain au mieux"

Ce groupe, qui s'apparente à un comité technique informel, fonctionne comme un miroir du conseil d'administration de Minalogic. Il siège avant chaque réunion du conseil et permet de préparer les dossiers. De leur côté, les membres du conseil d'administration sont chargés de prendre les décisions. Ils se réunissent une fois toutes les six semaines. "Nous avons essayé de mettre en place une organisation très pragmatique et efficace", ajoute Nicolas Leterrier.

Autre pôle, autre organisation, le pôle Mer (en Bretagne et Provence-Alpes-Côte d'Azur) a quant à lui choisi dès sa création de fonctionner en "bipôle". "Nos terrains de jeu étant complémentaires, nous avons présenté une candidature coordonnée", explique Hervé Moulinier, président du pôle Mer Bretagne. La collaboration repose sur une structure de gouvernance commune, qui se réunit au cours de comités de coordination mensuels pour assurer la cohérence des deux stratégies et éviter les doublons, chaque pôle gardant sa propre gouvernance pour le reste. "Créer une structure unique fusionnée nous paraissait compliqué et pas forcément nécessaire", détaille Hervé Moulinier. Une approche originale qui a en outre permis aux deux partenaires de mieux s'organiser : "Le fait de réfléchir ensemble à la stratégie et de vouloir coopérer nous a amenés à formaliser des processus bien avant les autres et à nous poser de nombreuses questions." Processus de labellisation, financement, communication en commun... les sujets de discussion ne manquent pas. "Ce travail nous a demandé un investissement plus important au départ, mais au final, nous sommes gagnants", assure Hervé Moulinier. La coordination entre les deux structures est vue par l'Etat comme un élément positif. En revanche, certains élus ne jouent pas toujours le jeu de la complémentarité. "Chaque région essaie de valoriser son pôle et oublie parfois de parler de l'autre", souligne le président de Mer Bretagne.

D'autres pôles ne se sont pas lancés dans de telles organisations, difficiles à mettre en place si elles ne sont pas prévues dès le départ, et ont choisi de s'appuyer sur le terrain pour organiser leur gouvernance. "Quand on est un pôle, on est une petite équipe de permanents, quatre personnes pour notre pôle, et on fonctionne avec peu de moyens, explique ainsi Yannic Bourbin, directeur du pôle nantais EMC2 spécialisé dans la transformation des matériaux. Il faut donc utiliser le terrain au mieux." EMC2 propose ainsi aux acteurs du territoire, chambres consulaires, syndicats professionnels, grands groupes, de rejoindre s'ils le souhaitent la gouvernance. Quatre commissions ont été mises en place avec une réunion mensuelle pour chacune, soit une réunion par semaine au total. "Cela a représenté 700 hommes par jour sur l'année 2007."

Echanger un peu de gouvernance contre un peu de territoire

Certaines régions ont même accepté de dédier une personne de leur équipe à la promotion du pôle. "Une manière d'échanger un peu de gouvernance contre un peu de territoire", explique le délégué du pôle. Une organisation originale, qui n'empêche pas l'arrivée de certains trublions. Yannic Bourbin avoue ainsi avoir vu débarquer quelques chevaux de Troie, présents uniquement pour obtenir des informations, mais "globalement le système fonctionne bien", assure-t-il. "Nous avons créé une dynamique qui ne serait pas si forte sans ce type de gouvernance." Cette organisation a notamment permis d'impliquer les PME. Sur 120 adhérents au pôle, 80 sont des PME. Le pôle vise 160 adhérents en 2008, dont 120 PME.

Les régions tentent aussi parfois d'aider les pôles à s'organiser. La région Rhône-Alpes, qui compte douze pôles de compétitivité et sept clusters, a ainsi conçu un programme pour dynamiser les échanges entre les responsables de ces réseaux. C'est l'Association des professionnels du développement économique en Rhône-Alpes (Aradel) qui est chargée de cette animation. Tout a démarré en novembre 2007 avec une première réunion sur le thème de l'évaluation. "Le but du jeu est de faire prendre la mayonnaise entre les différents animateurs voire de créer des alliances sur certains dossiers ou démarches internationales", explique Claudine Pilton, directrice d'Aradel. Prochain chantier du réseau : la formation. "Au départ, nous allons rester généralistes et axer la formation sur la conduite de projets complexes. Par la suite, nous comptons aborder la question fondamentale des ressources humaines."

Les idées ne manquent pas pour élaborer et faire vivre les pôles de compétitivité de manière efficace. Et l'attitude des responsables des pôles face à l'évaluation en cours montre qu'ils sont plutôt confiants. "C'est surtout l'occasion de faire le point sur nos forces et faiblesses", explique Nicolas Leterrier. "Ce processus ne nous fait pas peur car nous avons déjà eu une phase d'auto-évaluation", précise encore Hervé Moulinier.

 

Emilie Zapalski