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Coopération transfrontalière - Pierre Lellouche : "Passer d'une frontière coupure à une frontière couture"

"Il faut passer d'une frontière de coupure à une frontière de couture qui rapproche les Français de leurs voisins transfrontaliers." C'est ainsi que Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, a démarré le colloque organisé ce 9 février 2010 au ministère des Affaires étrangères sur "Les Français et leurs voisins : quelle politique transfrontalière pour la France ?". Plusieurs expériences se sont multipliées sur le territoire pour tenter de donner vie à cette politique transfrontalière, comme le projet de création d'une région métropolitaine du Rhin supérieur, la création de l'eurodistrict Strasbourg-Ortenau, les collaborations entre les universités alsaciennes et allemandes, ou encore l'hôpital commun entre le conseil général des Pyrénées-Orientales et la province autonome de Catalogne. Les enjeux de cette politique sont nombreux. Pierre Lellouche en a cité trois principaux. "C'est la possibilité de mieux gérer le retour de la République dans la discussion avec nos partenaires étrangers, améliorer la vie quotidienne des citoyens et la compétitivité de nos régions", a-t-il souligné. Il faut dire que dix millions de Français sont concernés par ces relations transfrontalières et que 300.000 d'entre eux traversent quotidiennement une frontière pour aller travailler. Un chiffre en forte augmentation ces dernières années. Les questions inhérentes à cette politique sont multiples.
Le colloque a notamment permis d'aborder celle de l'emploi, de nombreux intervenants soulignant les déséquilibres existants dans ce domaine entre la France et ses voisins. "L'attractivité est plutôt en direction de l'extérieur que vers chez nous. Dans notre cas, nous profitons de l'attractivité de la Flandre", a souligné Michel Delbarre, député-maire de Dunkerque et ancien président du Comité des régions, qui estime qu'"il y a de nombreux problèmes à régler en matière d'emploi : ressources humaines, sécurité sociale...". "Il y a une répartition des rôles et des entreprises qui est au désavantage de la France. 80.000 personnes vont travailler en Suisse, la proportion inverse est quasi inexistante !", a de même fait remarquer Jacques Gérault, préfet de la région Rhône-Alpes.
Explication donnée à ces mouvements déséquilibrés : les avantages fiscaux accordés par nos voisins frontaliers. Autrement dit, les salariés français vont chercher ailleurs des conditions financières plus intéressantes. Et pour les entreprises, si les charges sociales sont plus importantes, elles bénéficient d'un système fiscal avantageux, notamment s'agissant des plus grandes entreprises à forte valeur ajoutée. C'est d'ailleurs ce déséquilibre et ses conséquences sur la région Rhône-Alpes qui a amené la préfecture à demander de pouvoir créer un système de régime notifié, une sorte de zone franche transfrontalière. "La base de tout, c'est de créer un système fiscal équilibré de part et d'autre de la frontière", a ainsi affirmé Jacques Gérault.
Autre exemple de "concurrence déloyale" d'une frontière à l'autre : Alain Catta, ambassadeur de France en Suisse, a mis en avant le risque de voir une entreprise, Jet Aviation, qui emploie 3.500 personnes et qui est actuellement basée en France, se délocaliser à cause du régime des 35 heures qu'elle doit appliquer, contre un régime de 42 heures en Suisse... "Si nous n'arrivons pas à trouver un cadre juridique qui fasse exception à un point de vue trop centralisé, nous perdrons ces emplois", a ainsi souligné Alain Catta.
Alors, si certains estiment qu'il ne faut pas s'aligner sur la Suisse, tous reconnaissent qu'il est nécessaire de construire une politique nationale transfrontalière, cette politique transfrontalière reposant pour le moment sur les seuls acteurs locaux. "Nous n'avons pas de stratégie française sur cette question", a ainsi souligné André Rossinot, maire de Nancy et président de la communauté urbaine du Grand Nancy, qui poursuit : "Bien des problèmes et des solutions trouvées sont à mettre au mérite des préfets et des collectivités territoriales. Le problème de la gouvernance est à prendre à bras-le-corps, ce qui signifie que l'Etat détermine ce qu'il souhaite voir traiter territorialement, ce qu'il sous-traite aux préfets et collectivités, et comment nous travaillons ensemble sur ce sujet, entre les services de l'Etat et les collectivités."
Le gouvernement, par la voix de Pierre Lellouche, s'est semble-t-il saisi de la question. Une mission parlementaire consacrée aux questions transfrontalières, composée d'Etienne Blanc, député de l'Ain, et Fabienne Keller, sénateur du Bas-Rhin, a été créée en décembre 2009. Elle fournira un rapport d'étape d'ici une à deux semaines, et son rapport complet au printemps 2010.
 

Emilie Zapalski