Archives

FPT - Philippe Laurent : "Les collectivités ont besoin de cadres de haut niveau"

Dans un rapport adopté le 4 février, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) plaide pour la mise en place d'une "véritable politique de l'encadrement supérieur à la hauteur des missions et des responsabilités des collectivités". Un enjeu auquel les élus ne sont pas assez sensibilisés estime le maire de Sceaux, Philippe Laurent, rapporteur des travaux du conseil supérieur.

Localtis : Pourquoi avez-vous proposé au CSFPT de s'intéresser à la situation des dirigeants territoriaux ?

Philippe Laurent : Des inquiétudes sont apparues chez ces cadres et au sein des associations qui les représentent. J'ai ainsi entendu des élèves administrateurs dire leur déception de voir certains élus leur préférer des fonctionnaires de l'Etat, alors qu'aujourd'hui le recrutement de l'Inet (Institut national des études territoriales) est d'un niveau proche de celui de l'ENA. Le collège des employeurs territoriaux du CSFPT se devait de réagir. Par ailleurs, il me semblait que le CSFPT lui-même ne devait pas seulement s'occuper de sujets comme par exemple l'application des accords Jacob, la situation des Atsem (agents spécialisés des écoles maternelles) ou des personnels de la filière sportive... mais qu'il devait aussi s'intéresser aux cadres dirigeants.

 

La situation des dirigeants territoriaux que dresse le rapport est loin d'être excellente. Peut-on dire qu'il existe chez eux un malaise ?

Globalement, on ne peut pas dire qu'il y ait vraiment un malaise. L'ambiance est cependant à l'inquiétude. Non pas sur des questions comme le niveau du revenu par exemple. Mais en ce qui concerne la capacité qu'a la fonction publique territoriale de produire elle-même ses dirigeants. Du fait de nos élus, un certain nombre de cadres de nos collectivités sont en effet recrutés au sein de la fonction publique de l'Etat. Alors même que ceux-ci n'ont pas de culture territoriale. Et que les valeurs de la fonction publique territoriale, caractérisées par la proximité avec l'usager et l'exigence du résultat, diffèrent sensiblement des valeurs de la fonction publique de l'Etat. Aujourd'hui, cette inquiétude va en s'accentuant, parce que l'Etat lui-même encourage la mobilité de ses cadres vers la FPT ! Nous souhaitons donc que les élus locaux s'interrogent pour voir s'ils ne peuvent pas trouver au sein même de la FPT les dirigeants dont leurs collectivités ont besoin. Certaines de nos craintes concernent ensuite spécifiquement la filière technique. Nous redoutons qu'un jour les collectivités n'aient plus les techniciens de haut niveau dont elles ont besoin pour être des interlocuteurs respectés et compétents quand elles ont à discuter avec des grands prestataires privés dans le cadre des partenariats public-privé. Malheureusement, les élus ne s'en rendent pas tous bien compte.

 

Le rapport propose de mettre sur pied une gestion nationale des cadres d'emplois A+. Le CSFPT a-t-il pris position sur la forme qu'elle devrait prendre ?

Lorsque la loi sur la fonction publique territoriale était en préparation, le conseil supérieur avait pris position plutôt en faveur d'un centre national de gestion. En outre, Brice Hortefeux [ndlr : qui était alors le ministre en charge des collectivités] y était assez favorable. Mais au cours des débats parlementaires, le Sénat s'est opposé à sa création et a confié la gestion des A+ au CNFPT. C'est une erreur de ne pas avoir créé le centre national. Il aurait eu une réelle capacité d'action avec un coût minime. Avec le CNFPT, l'ennui c'est que la gestion des A+ n'est qu'une de ses missions, parmi d'autres.

 

Avant toute modification législative ou réglementaire, la réponse aux problèmes que rencontre l'encadrement supérieur ne doit-elle pas venir d'abord des collectivités ?

Avec Françoise Descamps-Crosnier [ndlr: la présidente du groupe de travail de l'AMF consacré à la fonction publique territoriale], j'ai tenté de convaincre les associations d'élus qu'elles devaient prendre en main, avec le CSFPT, les questions relatives à la FPT plutôt que de toujours se reposer sur l'Etat. Nous souhaitons en effet dans ce domaine que les employeurs territoriaux aient la capacité de négocier avec les organisations syndicales. Quitte à ce que l'accord obtenu soit validé ensuite par un texte réglementaire. Malheureusement, nous n'obtenons pas un engagement suffisant de la part de l'AMF, de l'ADF et de l'ARF. Elles n'y sont pas opposées. Mais ce chantier est toujours reporté parce que les autres sont plus urgents. Nous considérons de notre côté que la question de la FPT est importante, au même titre que celle des finances locales par exemple. Parce que sans un personnel compétent, le service public local ne pourra pas mieux fonctionner. Il faut que les élus locaux comprennent donc qu'il y a là un enjeu majeur. Et que leurs agents - les dirigeants mais pas seulement - souhaitent un plus grand engagement de leur part sur ces questions.

 

Ce rapport aura-t-il une suite ?

Nous n'en sommes qu'au point de départ. Si le président qui sera élu fin mars en est d'accord, nous proposerons la création au sein du CSFPT d'un groupe de travail permanent sur la question des dirigeants territoriaux. Sa mission sera de travailler avec la DGCL sur les différentes orientations à prendre.

 

Propos recueillis par Thomas Beurey

Des blocages en série

Le rapport que le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) a adopté à l'unanimité le 4 février dresse un constat plutôt alarmant de la situation des quelque 3.600 dirigeants territoriaux (les trois quarts sont des fonctionnaires territoriaux et 7% sont des agents de l'Etat). A l'heure où la diversité est affichée comme une politique publique, on découvre que la majorité d'entre eux sortent du moule de Sciences-Po et que les femmes représentent moins de 20% de leur effectif. Autre difficulté, l'ascenseur social est en panne : "250 directeurs territoriaux de 40 à 55 ans sont bloqués, voire dans l'impossibilité de bouger." S'ajoute à cela des problèmes de reconnaissance et d'attractivité financière : "Des directeurs généraux de services (DGS) à la tête d'équipes de 6.000 à 8.000 agents terminent à des échelles comparables à un sous-préfet." La conjugaison de ces phénomènes constitue un redoutable défi à l'heure où le marché de l'emploi des cadres territoriaux commence à se tendre sous l'effet des départs en retraite et de la concurrence du privé.
Pour le CSFPT, "il y a urgence à promouvoir des directeurs territoriaux, à casser le 'plafond de verre' qui barre l'accès des femmes aux emplois supérieurs et à diversifier les voies d'accès, pour assurer une relève de qualité". Parmi ses 26 propositions, le conseil supérieur évoque la mise en place d'une politique de rémunération pour motiver les intéressés, ainsi qu'un renforcement des moyens de l'Inet. Pour ceux, en particulier, qui occupent des emplois fonctionnels, il préconise une amélioration de la procédure de fin de détachement.