Fonction publique territoriale - Philippe Laurent : "La culture centralisatrice de l'Etat menace la FPT"
Localtis : Pourquoi êtes-vous à la fois déçu et inquiet s'agissant des conditions dans lesquelles le Conseil commun de la fonction publique va être mis en place début 2012 ?
Philippe Laurent : Le CSFPT est favorable à la mise en place d'une instance commune permettant de discuter des textes concernant les trois fonctions publiques, à condition que les prérogatives accordées à chaque conseil supérieur soient respectées. Or, ce ne sera pas le cas. Le conseil commun a en effet vocation, pour le gouvernement, à devenir la principale institution consultative de la fonction publique, reléguant les conseils supérieurs au rang d'institutions secondaires. Certes, nous avons obtenu lors de notre séance du 21 décembre dernier que les conseils supérieurs - et en particulier le CSFPT - puissent se saisir au préalable des questions qui seront débattues au sein du conseil commun. Mais cette possibilité ne sera sans doute pas facile à mettre en pratique pour des raisons de calendrier. On va nous transmettre les dossiers quelques jours seulement avant nos réunions, ce qui va rendre difficile notre travail. On va d'ailleurs retrouver ce type de fonctionnement pour les séances du conseil commun, même lorsqu'il n'y aura pourtant pas d'urgence particulière. De ce fait, les représentants des employeurs territoriaux vont avoir des délais très brefs pour consulter les associations nationales d'élus locaux. C'est très regrettable. Au CSFPT, on prend davantage le temps et c'est grâce à cela que les employeurs territoriaux parviennent à présenter le plus souvent des positions unanimes.
Je compare volontiers ce qui se passe aujourd'hui dans la fonction publique territoriale à ce qu'on a observé en matière de finances locales : ces dernières années, on a fortement réduit l'autonomie fiscale locale. Dans le domaine de la fonction publique, ce sera un peu la même chose. Ce qui prend corps, c'est une gestion centralisée de la fonction publique. On voit bien cette intention dans la rédaction de l'article 3 du projet de décret créant le conseil commun : celui-ci pourra débattre de toute question concernant au moins deux des trois fonctions publiques – ce qui va au-delà de la loi. Je crains que la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) n'en profite pour mettre la main sur l'ensemble de la fonction publique, y compris sur la territoriale. Alors que ses représentants connaissent très mal le fonctionnement de nos collectivités locales ! Pour cela, il suffira que la fonction publique d'Etat se mette d'accord avec l'hospitalière. Ce qui ne sera pas très difficile, car les employeurs hospitaliers ont moins d'autonomie face à l'Etat. J'espérais que le ministre de la Fonction publique, qui est aussi un élu local, allait pouvoir imposer des évolutions à la DGAFP. Mais il n'y est pas suffisamment parvenu.
La voix des représentants de la territoriale va donc être diluée et, finalement, marginalisée ?
C'est le risque, d'autant que les organisations syndicales de territoriaux sont plutôt en situation de faiblesse au sein des fédérations de fonctionnaires. Et qu'elles ne sont pas toujours écoutées par leurs homologues de l'Etat. Quand on sait cela, il n'est pas étonnant de voir des responsables syndicaux de la territoriale souhaiter que les employeurs membres du CSFPT défendent la territoriale, notamment parce que son originalité, à laquelle nous tenons tous, pourrait être menacée par des responsables syndicaux de l'Etat n'ayant pas compris sa spécificité. Il aurait été intéressant à cet égard que les représentants de la territoriale aient la possibilité, comme les représentants des fonctionnaires, de demander le report de l'examen d'un texte lorsque cette demande est exprimée à l'unanimité de leur collège. Mais le gouvernement n'a pas voulu nous accorder ce droit et je le regrette vraiment. Il y a tout de même un point sur lequel le conseil commun pourrait jouer un rôle positif.
Lequel ?
Sa mise en place pourrait être l'occasion d'enfin mieux structurer le collège des employeurs. Les grandes associations d'élus locaux pourraient lui reconnaître la possibilité, avec un mandat clair et précis, de négocier directement avec le gouvernement au nom des employeurs locaux. Je vais œuvrer dans ce sens. Ce serait une avancée importante, car aujourd'hui, si la loi affirme que le gouvernement doit consulter le collège des employeurs du CSFPT, celui-ci ne dispose pas de mandat de la part des associations d'élus.
Vous avez récemment déclaré que la FPT vous "semble à l'heure actuelle menacée dans son existence même". La situation est-elle si grave ?
La culture centralisatrice de l'Etat, présente notamment au sein de la DGAFP, et le discours politique qui fait porter sur les fonctionnaires une partie des difficultés actuelles, se rejoignent. Il en résulte une incompréhension grandissante entre les fonctions publiques d'Etat et territoriale. Alors que la FPT a permis aux agents d'avoir un déroulement de carrière et aux exécutifs locaux de mettre en place une véritable gestion des ressources humaines, on va aller vers un modèle inspiré de la fonction publique d'Etat, qui n'est absolument pas le meilleur. L'éventualité d'un changement de couleur politique sur le plan national au printemps prochain pourrait d'ailleurs ne pas modifier grand chose de ce point de vue. Car nous sommes face à un phénomène culturel. A l'intérieur de l'Etat s'est installée une forme de volonté d'une revanche sur la décentralisation. Car, trente ans après les lois qui l'ont développée, celle-ci n'est toujours pas acceptée. Or, revenir en arrière comme on le fait, est une erreur majeure pour notre pays. C'est au contraire en décentralisant encore plus, c'est-à-dire en se donnant de la souplesse, de la réactivité et les moyens d'une plus grande capacité d'adaptation, que l'on sortira mieux des difficultés économiques et financières !
Le projet de loi sur l'emploi des non titulaires que le Parlement examinera en ce début d'année portera aussi sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. Faut-il ou non, selon vous, des quotas pour avancer sur cette question ?
Pour que les choses bougent, il est parfois nécessaire d'instaurer des objectifs. Aujourd'hui, c'est grâce à la loi que la parité est présente dans les conseils municipaux des communes de 3.500 habitants et plus et personne ne voudrait revenir sur cette situation. En matière de logement social, avec l'obligation de 20%, on a permis de développer ce type de logement dans les communes où on en trouvait pas ou peu. Pour ce qui des quotas dans la fonction publique, je n'y suis pas opposé. Mais comment fait-on ? Dans ma ville de Sceaux, qui compte 20.000 habitants, je n'ai qu'un DGS et deux DGA ! Donc on voit bien que les quotas ne peuvent s'appliquer que dans des collectivités d'une taille importante. Là où les collectivités pourraient être, en outre, plus exemplaires, c'est sur la gestion du temps de travail, afin de mieux concilier la vie professionnelle avec la vie familiale. Mais en faisant attention à des problèmes pratiques. Par exemple, les élus locaux qui exercent une activité professionnelle ne sont disponibles pour les réunions que le soir. Il en va de même pour la population, qui n'accepterait pas qu'on programme une réunion de concertation en pleine journée. Il faut donc donner la possibilité à des cadres, par exemple, de pouvoir être présent le soir. Cela complexifie le problème…
Comment avez-vous accueilli l'intention du gouvernement de mettre en œuvre la réforme de l'encadrement supérieur territorial ?
Nous sommes favorables à la création d'un cadre d'emplois des ingénieurs en chef, comme le prévoit la réforme. C'est une mesure qui va permettre aux collectivités de garder les ingénieurs de haut niveau dont elles ont impérativement besoin pour négocier avec leurs prestataires. Seulement, il ne faudrait pas que l'Etat en profite pour trouver un débouché à tous les ingénieurs des Ponts dont il ne veut plus. Qu'il y en ait quelques uns, c'est très bien ! Mais, il nous faut majoritairement des ingénieurs imprégnés de la culture territoriale. Nous sommes aussi en faveur de la création d'un "tour extérieur" pour les administrateurs territoriaux, c'est-à-dire des conditions de promotion dans ce cadre d'emplois qui reposent sur une sélection nationale par un jury. Si on veut une fonction publique territoriale de qualité, il nous faut des règles de ce type. On ne peut pas accepter, en effet, que des élus promeuvent certains agents dans le cadre d'emplois des administrateurs, simplement parce que ce sont des collaborateurs de leur cabinet. La réforme se limite principalement à ces deux mesures. Mais, on pourrait aller plus loin, comme je le préconisais dans le rapport que j'ai élaboré dans le cadre du CSFPT et qui a été approuvé en 2009. J'ai proposé, par exemple, que l'élu et le DGS échangent en début de mandat sur leurs rôles respectifs dans le but d'une clarification. Car, aujourd'hui, il y a parfois une profonde méconnaissance de l'un et de l'autre. Si c'est nécessaire, cela passerait par l'élaboration d'une charte. Cet exercice permettrait aussi de faire en sorte que les périodes de fin de détachement des agents sur emploi fonctionnel ne se déroulent pas dans des circonstances parfois traumatisantes.
Vous êtes aussi le président de la commission des finances de l'Association des maires de France. Les collectivités peuvent-elles et doivent-elles dégager des marges de manœuvre en réalisant des économies sur leur personnel ? Par exemple en ne remplaçant pas tous les agents à la retraite, comme le suggère le gouvernement ?
Lorsque vous êtes élu local, vous ne posez pas la question de cette façon. Vous l'abordez plutôt sous l'angle des politiques publiques. Par exemple, dans ma ville, je vais consacrer une demi-douzaine de journées en ce début d'année à passer en revue l'ensemble du budget, politique par politique. Nous n'avons pas de tensions particulières sur notre budget, mais j'ai tout de même choisi de le faire. Ainsi par exemple, pour la politique d'accompagnement des personnes âgées, on va se demander quels services on va éventuellement ajouter et, à l'inverse, lesquels on va éventuellement supprimer. Par exemple, nous allons discuter, avec l'adjoint et les services concernés, pour examiner l'hypothèse de remplacer la distribution des chocolats de Noël - qui ne correspondent plus vraiment à un besoin - par des visites à domicile qui demandent plus de temps. Cela peut finalement représenter un quart de fonctionnaire en plus, mais cela vaut la peine si on estime que ça correspond à une situation qui évolue, telle qu'un isolement croissant des personnes âgées à domicile. Peut-être même que, finalement, nous maintiendrons aussi la distribution des chocolats. Dans tous les cas, nous ne sommes pas "accrochés" au nombre de postes en plus ou en moins que les évolutions de la population pourraient générer. Les dépenses de personnel ne sont que des dépenses parmi d'autres. Tout est d'abord affaire de politique publique.
Propos recueillis par Thomas Beurey
Conseil commun, rédacteurs… ce qu'il faut retenir de la dernière séance du CSFPT
Le CSFPT a émis un avis défavorable, lors de sa séance plénière du 21 décembre dernier, sur le projet de décret relatif au Conseil commun de la fonction publique. Le résultat du vote : 19 voix contre (dont le collège des employeurs territoriaux à l'unanimité), 11 abstentions et 4 voix pour (celles de la CFDT). "Le conseil commun est une instance profondément novatrice qui doit réaffirmer l'unité de la fonction publique", affirmait la veille le ministre de la Fonction publique dans un communiqué. Il ajoutait : "Chacun restera, au sein de cette instance, en mesure de faire entendre son message." Les membres du Conseil supérieur en doutent fortement. Cette instance prévue par la loi du 5 juillet 2010 de rénovation du dialogue social sera installée "fin janvier", selon le ministre, François Sauvadet.
Autre point à l'ordre du jour d'une séance très chargée : le projet de décret sur le cadre d'emplois des rédacteurs territoriaux, examiné dans le cadre de la réforme de la catégorie B. Il a été adopté (8 voix favorables, 7 voix contre et 12 abstentions), malgré la déception des organisations syndicales. Les discussions ont principalement porté sur la situation des 4.000 à 6.000 adjoints administratifs lauréats de l'examen professionnel de rédacteur et qui attendent leur nomination. Bonne nouvelle pour les agents concernés : la validité de la réussite à l'examen professionnel, qui était limitée au 30 novembre 2011, devient sans limite. Mais des quotas assez stricts s'appliqueront aux possibilités de nominations. Dès lors qu'ils effectueront trois recrutements dans le cadre d'emplois des rédacteurs, les employeurs auront la possibilité de nommer dans ce même cadre d'emplois un agent (au choix ou par la voie de l'examen professionnel). Si l'option s'avère plus favorable, les employeurs pourront choisir de nommer dans le cadre d'emplois des rédacteurs un nombre d'agents correspondant à 5% de l'effectif des agents de ce cadre d'emplois présents dans la collectivité. Cette possibilité sera ouverte pendant trois ans.
Un projet de décret sur l'échelon spécial de la catégorie C a obtenu d'extrême justesse un avis favorable. Il s'agit de permettre à l'ensemble des agents de la catégorie C (et pas seulement ceux de la filière technique) de pouvoir bénéficier d'un indice brut culminant à 499 points (dans la limite de ratios qui seront définis par les collectivités).
Le CSFPT n'a pas montré beaucoup d'intérêt (23 voix contre et 11 abstentions) pour la prime d'intéressement à la performance collective des services au sujet de laquelle il examinait un projet de décret.
T.B.