Jeunesse - Patrick Kanner veut renforcer les moyens de la prévention spécialisée
"La prévention spécialisée apparaît trop souvent comme le parent pauvre de la protection de l'enfance", a déploré Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, le 28 avril 2016, à Créteil, en ouverture des septièmes journées nationales de la prévention spécialisée. Ainsi il n'est pas satisfaisant, pour le ministre, que seule la moitié des 1.500 quartiers prioritaires de la politique de la ville soit dotée d'un club de prévention spécialisée.
Pour y remédier, "nous allons élaborer dans les prochaines semaines avec Hélène Geoffroy et Laurence Rossignol, une convention nationale de partenariat avec le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS), l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'ensemble des opérateurs concernés", a annoncé l'ancien président du département du Nord. La préparation de cette convention, qui devra être signée "d'ici cet été", donnera lieu à une "réunion dès le mois de mai prochain".
L'Etat, qui soutient actuellement la prévention spécialisée dans le cadre de la prévention de la délinquance, pourrait "mettre des moyens complémentaires". Et, surtout, inciter les départements à ne pas délaisser ce mode d'intervention auprès des jeunes les plus en difficulté, à y consacrer même davantage de moyens. A l'heure de la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités et des âpres négociations sur la recentralisation du revenu de solidarité active, les départements seront-ils disposés à modifier les orientations de leur budget primitif 2016 ?
Valoriser les spécificités et la capacité d'adaptation du secteur
Lors de ces échanges nationaux, il importera aussi, selon Patrick Kanner, de "mettre en lumière l'utilité sociale de la prévention spécialisée, de reconnaître les pratiques éducatives" et d'identifier certaines priorités - la prévention de la radicalisation étant l'une d'entre elles (1). "Vous n'avez pas bien sûr comme mission première de prévenir la radicalisation, mais vous pouvez y concourir", a-t-il insisté.
Le ministre de la Jeunesse s'adressait à des centaines de responsables associatifs et éducateurs réunis justement pendant deux jours autour de la question de "l'utilité sociale de [leurs] pratiques éducatives". "Nous voulons expliciter en quoi cet alliage singulier d'accompagnements individuels et d'approche collective prévient la marginalisation de publics vulnérables et développe la cohésion sociale", précise le CNLAPS.
Partenariats avec les acteurs du socio-judiciaire et les collèges, utilisation du numérique et du patrimoine culturel local, mutualisation des moyens pour développer les chantiers éducatifs… Autant de thèmes sur lesquels les acteurs de la prévention spécialisée planchaient, le 28 après-midi, avec l'ambition de mieux valoriser leur action et leur capacité d'adaptation et d'innovation (2).
Réductions budgétaires dans plusieurs départements...
Du fait d'un cadre spécifique – et notamment l'absence de mandat nominatif, la libre adhésion des jeunes accompagnés, le respect de l'anonymat -, les éducateurs de prévention spécialisée ont peu l'habitude de parler de leurs interventions et de mettre en avant leur propre rôle. D'où de fréquents malentendus avec d'autres professionnels, en particulier des services municipaux de sécurité ou de tranquillité publique, qui sont en demande d'informations sur les jeunes.
Du fait de son manque de visibilité, mais surtout de son caractère facultatif, la prévention spécialisée a souvent constitué l'une des variables d'ajustement lors des arbitrages budgétaires de plus en plus contraints des départements en matière d'action sociale. "Nous sommes assez nombreux à subir des réductions budgétaires au sein de nos départements", a témoigné Anne-Marie Fauvet, présidente du CNLAPS. Avec les licenciements, parfois aussi la disparition de petits services, "on perd des liens avec certains jeunes qui parfois n'ont pas d'autres liens".
... et inquiétudes sur le transfert à certaines métropoles
Autre sujet d'inquiétude pour les professionnels : la possibilité ouverte par la loi Notr du transfert ou de la délégation par le département à la métropole de la prévention spécialisée. Fin 2015-début 2016, selon une enquête réalisée par France urbaine, au moins sept métropoles s'orientaient vers ce transfert ; c'est le cas notamment de Toulouse Métropole qui récupérera, en plus de la prévention spécialisée, le fonds d'aide aux jeunes et le fonds de solidarité pour le logement.
Si cette nouvelle répartition des compétences fait sens du point de vue de la politique de la ville, désormais sous la responsabilité des agglomérations, les acteurs de la prévention spécialisée s'interrogent sur le maintien du lien entre prévention et protection de l'enfance. "La question de l'évaluation est essentielle pour défendre la prévention spécialisée, son intérêt, la nécessité du rattachement à la protection de l'enfance", est intervenu Vincent Danis, conseiller départemental de Loire-Atlantique. Après une démarche d'évaluation ayant impliqué des éducateurs, ce département a fait le choix de conserver la compétence de la prévention spécialisée.
C'est Laurence Rossignol, ministre de la Famille, qui clôturait le 29 avril ces rencontres. Le secteur de la prévention spécialisée regroupe aujourd'hui 254 organisations, selon le CNLAPS qui en représente la moitié, et environ 3.000 postes éducatifs.
Caroline Megglé
(1) Patrick Kanner a ainsi demandé aux services de prévention spécialisée de s'associer à l'élaboration du plan de prévention de la radicalisation qui doit être effectué avant la fin 2016 dans chacun des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
(2) L'Addap 13 (association départementale pour le développement des actions de prévention) et le CNLAPS publient également l'ouvrage "Demain la prévention spécialisée entre éducatif et social", pour valoriser la capacité des acteurs de la prévention spécialisée à innover, à s'inscrire dans un territoire ou encore à aborder les évolutions de la gouvernance locale.