Radicalisation - Les maires de banlieue se voient comme "les pompiers de la République"
Un catalogue de plus de 70 propositions pour "la prévention des dérives sectaires et fondamentalistes dans les quartiers prioritaires". C'est ce que l'association Ville et Banlieue a remis le 14 janvier au ministre de la Ville Patrick Kanner, qui l'avait sollicitée sur ce terrain quelques jours après les attentats du 13 novembre. Mais les élus le reconnaissent eux-mêmes, ils n'ont rien inventé de nouveau. Il s'agit surtout de remobiliser les dispositifs existants, le "droit commun"… L'antienne des maires de banlieue revêt aujourd'hui un accent particulier face au désarroi des pouvoirs publics dans la lutte contre la radicalisation. De l'éducation à la formation et à l'emploi en passant, bien sûr, par la sécurité, les maires demandent un accroissement des efforts dans les 1.200 quartiers de la politique de la ville, alors qu'ils constatent un "affaiblissement", voire la "disparition de certaines politiques publiques". Dont acte. Le ministre de la Ville a convenu de mobiliser ses collègues pour que les 12 conventions signées avec son prédécesseur François Lamy soient vraiment appliquées. Une nouvelle convention sera signée "avant l'été" entre Ville et Banlieue et les ministères de la Ville et de l'Intérieur. L'objectif : élaborer "une sorte de guide opérationnel des choses à faire", a précisé Marc Vuillemot, maire de La Seyne-sur-Mer (Var) et président de Ville et Banlieue, à l'issue de la rencontre avec le ministre. Un document qui se voudra "très pratique" et expliquera aux élus "comment on arrive à comprendre, alerter, agir éventuellement…" Un guide "anti-apartheid social et territorial", renchérit Philippe Rio, maire de Grigny (Essonne) pour qui les maires de banlieue sont "les pompiers de la République". Attention à ne "pas tomber dans le piège selon lequel les quartiers populaires seraient des fabriques à terroristes", met-il en garde.
Des difficultés "non déconnectées des baisses des dotations"
Pour les maires de banlieue, les contrats de ville ne sont pas suffisants car nombre d'actions ou dispositifs ne relèvent pas d'eux, comme les réseaux d'aides aux élèves en difficulté (Rased). Les problèmes des banlieues (chômage, décrochage scolaire, santé…) ne sont "pas déconnectés des baisses des dotations", abonde Gilles Leproust, maire d'Allonnes (Sarthe) et secrétaire général de l'association. "Tout cela se percute. On veut donner du souffle", mais, ajoute-t-il, "on est en butte au dogme des déficits publics". Les élus dénoncent le manque de moyens dévolus à la prévention spécialisée, à la police et, surtout, à la justice. "Une République qui protège est une République qui a des moyens", martèle Philippe Rio, dénonçant "la réduction drastique des moyens par la politique d'austérité". "Il n'y a plus de lutte contre la récidive (…) Notre prison est devenue un accélérateur de la délinquance." Avec ses deux zones de sécurité prioritaire, Grigny ne possède qu'un poste de police qui, dans ces conditions, ne peut faire "que de la main courante", déplore encore Philippe Rio.
L'association interpelle également l'Etat sur l'accompagnement des associations sportives et culturelles. Mais, alors qu'une note des renseignements remise au président de la République en octobre alertait sur le prosélytisme dans les clubs sportifs, les élus disent ne pas avoir eu vent de ce phénomène. "Ce rapport n'est pas arrivé jusqu'à nous. Dans ma ville nous n'y sommes pas confrontés. Cela ne veut pas dire que cela n'existe pas", indique Gilles Leproust. Marc Vuillemot a illustré la complexité du sujet avec une association de soutien scolaire, logée et subventionnée par la municipalité, qui utilisait le Coran pour ses cours de lecture. Dans un premier temps, les services de l'Etat ont assuré au maire que l'association ne posait pas de risque "d'embrigadement", avant de faire volte-face. L'association faisait bien du "prosélytisme au prétexte de l'accompagnement scolaire". Depuis, l'association a libéré les locaux mais a aussitôt trouvé à se loger par ses propres moyens. Entre temps, "elle a décuplé son activité". "On fait quoi ?", interroge l'édile.
Un besoin de stabilité des politiques publiques
Si le besoin d'information des maires sur ce qui se passe réellement dans leur commune faisait partie de leurs revendications fortes au lendemain des derniers attentats, la situation ne s'est pas vraiment améliorée. L'état d'urgence aurait même conduit à l'effet inverse. "Les services de renseignement semblent considérer qu'il y a des risques de fuites s'ils en parlent trop aux maires", témoigne Marc Vuillemot. Les informations reçues après les perquisitions sont "celles des intéressés ou de la presse", reprend Gilles Leproust.
En matière économique, l'association réclame notamment des contreparties au Cice en termes d'insertion et d'emploi dans les quartiers. "Il devrait y avoir un deal" avec les entreprises, souligne Marc Vuillemot. Les maires de banlieue ne cachent pas en revanche leur scepticisme au sujet de l'agence France entrepreneur lancée par François Hollande, le 20 octobre. "Je ne sais pas qui c'est", ironise Philippe Rio pour qui les quartiers n'ont pas besoin de "baguette magique" mais de stabilité des politiques publiques.