Pacte des solidarités : la signature reportée à la mi-mars
La concertation sur le futur Pacte des solidarités entre le ministère des Solidarités, les collectivités et les associations est prolongée de deux mois. Au cœur de ces échanges, selon le ministre Jean-Christophe Combe : la clarification des objectifs du cadre national, dans lequel s’inscriront ensuite les contractualisations notamment avec les départements. À l’occasion de la réunion plénière du CNLE le 12 janvier, les acteurs de la lutte contre l’exclusion ont exprimé auprès du ministre des Solidarités leurs attentes fortes, tant sur le fond que sur la méthode et en particulier sur l’évaluation des expérimentations à venir.
Donnant lieu à une concertation depuis la fin du mois de novembre dernier (voir notre article), un Pacte des solidarités entre le gouvernement, les collectivités et les associations devait être finalisé en ce début d’année pour prendre le relais du plan Pauvreté 2018-2022. À la réunion plénière du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) le 12 janvier 2023, Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, a annoncé le report à la mi-mars de la signature du futur Pacte. La raison officielle : la nécessité d’approfondir la concertation avec les acteurs, notamment avec les départements qui auraient demandé davantage de temps pour travailler avec le gouvernement sur ce nouveau plan. Mais l’agenda social gouvernemental et l’attention médiatique centrés actuellement sur la réforme des retraites ne sont pas non plus étrangers à ce report.
La lutte contre le non-recours comme priorité
Au sein du CNLE, plusieurs voix se sont élevées pour demander que ce temps supplémentaire dans l’élaboration du Pacte soit l’occasion de "gagner en ambition". Surtout, nombre d’acteurs ont le sentiment de ne pas avoir été (assez) entendus jusque-là, à commencer par les syndicats et les membres du cinquième collège – celui des "personnes concernées". Des personnes en situation de pauvreté, d’âges divers et issues de territoires différents, ont interpelé le ministre sur des sujets tels que les territoires d’outre-mer, la situation des étrangers, les difficultés liées au handicap, l’isolement social et bien sûr sur l’inflation qui les frappe particulièrement. "Est-ce que vous nous entendez ?", interroge une femme, au bord des larmes, après avoir évoqué une hausse de 80% de sa facture d’électricité et l’augmentation de 10 à 20% du prix des produits de base.
Le ministre avait, dans son discours introductif, listé les aides mises en place par le gouvernement pour lutter contre l’inflation, en rappelant qu’il s’agirait principalement en 2023 d’aides ciblées vers les plus modestes, à l’instar de l’indemnité carburant de 100 euros pour "10 millions de travailleurs aux revenus modestes ou moyens". Il évoque par la suite longuement la problématique du non-recours, concernant par exemple nombre de bénéficiaires potentiels du chèque énergie. Définie comme une "priorité", la lutte contre le non-recours donnera lieu à l’installation le 30 janvier prochain d’un comité de coordination pour l’accès aux droits "rassemblant toutes les parties prenantes", puis au lancement en mars de l’appel à candidatures sur les "territoires zéro non-recours". Le ministre indique par ailleurs qu’il va mobiliser, avec le CNLE, l’Insee pour travailler à une mesure de l’impact de l’inflation pour les familles les plus modestes.
Expérimentations "solidarité à la source" et RSA : "se laisser le temps de l’évaluation"
Pour l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas), le futur Pacte des solidarités doit davantage prendre en compte les personnes âgées et l’approche territoriale et transversale de la lutte contre la pauvreté. Concernant les expérimentations qui vont démarrer, sur la "solidarité à la source" et la mise en place de 15 à 20 heures d’activité pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), Hélène-Sophie Mesnage, déléguée générale adjointe de l’Unccas, appelle le gouvernement à "se laisser le temps et les moyens de l’évaluation, avant la généralisation".
La géographie prioritaire a également été évoquée, par un membre du CNLE expliquant que Morlaix, ville du Finistère pauvre, mais à la pauvreté disséminée partout et non pas concentrée dans un quartier, ne perçoit pas de crédits de la politique de la ville. Plusieurs membres ont déploré les promesses non tenues du précédent plan pauvreté en matière de création de places d’accueil du jeune enfant en général, et de développement des bonus mixité sociale et des crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip) en particulier. Autre sujet mis en avant : la nécessaire prise en compte des enjeux sociaux dans la planification écologique, actuellement en cours d’élaboration par le gouvernement.
Pacte des solidarités, France Travail… "on a du mal à voir qui a la main"
Surtout, des attentes fortes ont été exprimées en faveur d’une clarification de la vocation, des objectifs et des moyens du futur Pacte des solidarités. Les concertations s’étant multipliées ces derniers mois, "on a l’impression que tout est dans tout", relève une porte-parole de la CFDT, estimant par ailleurs comme d’autres membres que la réforme de l’assurance chômage est "en complète contradiction avec les projets du pacte de solidarité". "On a du mal à voir qui a la main, qui va mettre en place et qui va évaluer", ajoute la syndicaliste, mentionnant le fait que les expérimentations sur le RSA sont pilotées par le ministère du Travail dans le cadre de France Travail.
"On aimerait qu’un objectif soit fixé en termes de réduction de la pauvreté, qu’on se donne un objectif et ensuite les moyens d’y parvenir", insiste Noam Leandri, président du Collectif Alerte réunissant 34 fédérations et associations nationales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Plusieurs membres du CNLE demandent aussi au gouvernement davantage de retours suite à leurs travaux et propositions, le sociologue Jean-Claude Barbier estimant par exemple que le CNLE n’a pas eu de réponse suite à son avis sur les sanctions en matière d’insertion (voir notre article du 9 mars 2022).
Un nouveau volet sur la lutte contre la stigmatisation des personnes pauvres
Désireux de se montrer à l’écoute en laissant du temps aux questions, Jean-Christophe Combe s’est voulu rassurant, répétant que la concertation n’était pas terminée et que, même une fois adopté, le Pacte pourrait encore évoluer si besoin. Preuve pour le ministre que la voix des acteurs est prise en compte, un axe relatif à la lutte contre la stigmatisation des personnes pauvres a été ajouté, parce que des membres du cinquième collège s’étaient exprimés sur ce sujet. La place importante dédiée à l’accès aux droits et à la lutte contre le non-recours, ainsi que l’axe du Pacte portant sur la lutte contre la grande exclusion, seraient également imputables aux remontées des acteurs.
La définition d’objectifs précis et mesurables et la méthode d’évaluation feront partie des échanges à venir d’ici la signature du Pacte, sur demande des départements notamment, précise Jean-Christophe Combe devant la presse. Il s’agit d’aller "relativement vite", les différentes contractualisations avec les collectivités s’achevant fin 2023. La signature du Pacte au niveau national permettra en effet d’entamer la négociation des nouveaux contrats entre le gouvernement et les départements, les métropoles et, nouveauté, certaines communes pauvres volontaires, y compris des communes de petite taille.
Quant au périmètre d’action, le ministre assume le fait qu’il est en soi limité et que la vocation du futur Pacte n’est pas d’"apporter à lui seul une réponse structurelle à la problématique de la pauvreté" en France mais d’être une sorte de pivot permettant que "l’ensemble des politiques publiques soient bien articulées autour de cet objectif". Ainsi, l’"articulation" doit se faire avec le ministère du Travail et France travail, la prochaine Conférence nationale du handicap (voir notre article du 6 octobre 2022), la réforme des retraites, les différents conseils nationaux de la refondation (CNR) sur le bien vieillir, le logement, la répartition de la richesse…
Quant aux moyens, Jean-Christophe Combe espère obtenir au moins autant que pour la dernière programmation, soit 350 millions d’euros. Il appelle les membres du CNLE à créer avec lui la "dynamique favorable" qui lui donnera la "légitimité" nécessaire pour obtenir des crédits satisfaisants.