European Mobility Expo - Ouverture à la concurrence du ferroviaire : Français, encore un effort…
Si l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires est primordiale pour les uns, accessoire pour d’autres, nul n’a remis en cause ses bienfaits au salon EuMo Expo, tant sur la quantité que sur la qualité de l’offre. Nulle surprise donc à ce que plusieurs appellent à accélérer le calendrier de sa mise en œuvre et à veiller à la complète suppression de ses entraves, dont la principale tient aux infrastructures. Un sujet moins consensuel.
"Le marché du rail français reste très peu libéralisé". Le constat est dressé par Herald Ruijters, représentant la DG Move de la Commission européenne, au salon "European Mobility Expo", qui s’est tenu du 7 au 9 juin derniers à Paris. Pourtant, s‘étonne-t-il, "avec la concurrence, tout le monde est gagnant : les clients, les opérateurs, les gestionnaires. Même le transport régional, même des petites lignes déficitaires peuvent retrouver un modèle économique". Pour être complet, il faudrait y inclure aussi le contribuable, sa collègue Katarzyna Szyszko soulignant que "l’Allemagne et la Suède économisent déjà des fonds publics" avec l’ouverture du secteur conventionné. Ce constat d’une concurrence fructueuse est désormais régulièrement tiré (voir notre article du 30 septembre 2021), singulièrement en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Suède, "qui n’ont pas attendu l’Union européenne pour ouvrir leurs marchés", rappelle Katarzyna Szyszko. Antoine Grange, à la tête de Transdev Europe, confirme. Il vante les bienfaits du "choc d’offre" opéré en Suède, qui s’est traduit par une amélioration "tant qualitative que quantitative" du ferroviaire : "Le train y prend des parts de mobilité à la voiture depuis 20 ans. La part modale des transports collectifs est de 32%. C’est une des résultantes de la mise en concurrence", explique-t-il, soulignant qu’elle a été initiée dès 1985. Même Laurence Daziano, directrice stratégie et juridique de TGV-Intercités (Sncf voyageurs), en souligne tous les bienfaits, rappelant que "le principal concurrent, c’est la route".
En France, "tout n’est pas rose"
Katarzyna Szyszko avertit : "Ce n’est qu’avec l’ouverture de services domestiques que l’on peut vraiment parler de concurrence". Aussi juge-t-elle qu’"il est encore tôt" pour tirer un bilan pour l’ensemble de l’Union puisque "2021 n’est que la première année de mise en œuvre concrète du 4e paquet ferroviaire". La fonctionnaire fait néanmoins état "d’évolutions prometteuses en Espagne, en Italie ou en République tchèque", où se combinent "élargissement de l’offre et baisse des tarifs". Grégoire de Lasteyrie, vice-président d’Île-de-France Mobilités, fait lui aussi état de "premiers retours positifs" de l’ouverture à la concurrence des réseaux de bus (19 sur 37 attribués dans la région), évoquant à son tour augmentation de l’offre et amélioration de la qualité.
S’agissant du ferroviaire, si Katarzyna Szyszko considère que "la France a entrepris des réformes très ambitieuses", elle déplore pour autant que "sur le terrain, cela reste très difficile. Tout n’est pas rose, il subsiste des obstacles importants. Les aspects techniques – signalisation, certification des conducteurs, etc. – coincent", précise-t-elle. Et de prendre pour exemple le fait que "quand on regarde le site SNCF, on ne trouve pas l’offre de Trenitalia", compagnie dont elle rappelle qu’il lui a fallu "dix ans pour rentrer sur le marché français". Insistant sur la nécessité d’un "accès équitable aux personnels et équipements", elle prévient que la Commission "contrôlera la mise en œuvre correcte des textes sur le terrain".
Indispensable maintenance
Hervé Le Caignec, président de Lisea, concessionnaire de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, insiste particulièrement sur la difficulté d’accès aux centres de maintenance des TGV, "tous propriété de SNCF Voyageurs". Or "offrir des rails et des gares ne suffit pas". Il rappelle que la maintenance est un "élément critique de la rentabilité d’une desserte, puisqu’elle joue sur la disponibilité du matériel". Au regard des difficultés pour créer de tels centres – nécessité d’identifier du foncier disponible, complexité et longueur des démarches, le tout pour un investissement bloqué –, il estime que seuls les gestionnaires d’infrastructures peuvent relever le défi. Reste qu’il faut alors "éviter des tarifs de location repoussoirs", ce qui est déjà le cas avec les infrastructures classiques, la France ayant fait le choix "de faire peser leur financement sur les gestionnaires, avec une faible participation du public (l’État, ndlr), ce qui se traduit par des péages élevés". Un parti pris récemment dénoncé par la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) - voir notre article du 10 janvier - et l’Autorité de régulation des transports (ART) - voir notre article du 16 février. Vice-président de cette dernière, Patrick Vieu prévient d’ailleurs qu’en conséquence l’ART sera "très attentive à la structuration tarifaire faite par SNCF Réseaux", l’encourageant même à y "réfléchir de manière plus attentive". S’agissant particulièrement des centres de maintenance, Hervé Le Caignec plaide pour qu’ils puissent bénéficier de financements européens – ce qui n’est pour l’heure pas prévu. Non sans convaincre : après avoir d’emblée balayé d’un revers de la main la proposition, Harold Ruijters s’est montré finalement à l’écoute de la proposition.
Infrastructures, de l’acceptation…
De manière générale, la question des infrastructures reste particulièrement sensible, comme l'avait souligné la Cour des comptes en novembre dernier (voir notre article). C’est d’ailleurs pour cette raison que Jean-Luc Gibelin, vice-président mobilités de la région Occitanie, justifie le refus de cette dernière de bénéficier des bienfaits de l’ouverture à la concurrence : "Les principales difficultés tiennent aux infrastructures, beaucoup moins aux opérateurs. Quand elles ne sont pas au rendez-vous, l’opérateur ne peut rien, quel qu’il soit". Entre rénovation des anciennes et création de nouvelles, y compris routières, les défis ne manquent pas. "Il est inimaginable qu’en 2022 l’on n’ait toujours pas relié les réseaux du Lyon-Turin", s’indigne Harold Ruijters, qui déplore également le manque de liaisons entre la France et l’Espagne ou la France et l’Allemagne.
Ces infrastructures posent moult difficultés, à commencer par leur acceptation. "Est-ce que l’on est encore capable en Europe de faire de grands projets ?", s’interroge Alain Quinet, directeur général exécutif Stratégie et affaires corporate de SNCF Réseau, regrettant "de vraies oppositions comme celle au Lyon-Turin" qui l’a contraint un temps de se déplacer "avec des gardes du corps". "L’opposition à cette opération n’est sans doute pas terminée", pronostique en outre Martin Weber, de la Cour des comptes européenne. Pour lui, il faut s’inspirer "de la façon plus active de la Suisse d’impliquer les parties prenantes, qui permet d’éviter les contestations". Herald Ruijters en appelle à davantage de courage politique : "Il faut oser". Il prend appui sur le pont d’Øresund, d’abord décrié "et dont le succès est tel que l’on se demande aujourd’hui si on ne doit pas en créer un deuxième".
… au financement
Autre difficulté insigne, le financement, une question d’autant plus aiguë que "si le niveau d’ambition a été relevé avec le Green Deal, il n’y a pas plus d’argent frais sur la table", prévient Alain Quinet. "Il faut se dire la vérité. Il n’y a pas de trésor caché à Bruxelles. L’Europe a assez peu de ressources propres", insiste-t-il. Très peu, à dire vrai. Et elle a bien du mal à en trouver de nouvelles, pourtant nécessaires, ne serait-ce que pour rembourser le plan de relance... Fort de ce constat, Alain Quinet propose de contourner le problème pour le ferroviaire : "Réfléchir d’abord aux interopérabilités de process – les langues, les processus d’allocation des sillons… – qui coûtent peu. Ensuite, bien distinguer ce qui est extrêmement utile de ce qui ne l’est pas. Enfin, s’agissant du déploiement de l’ERTMS [le système européen de gestion du trafic, visant à unifier les systèmes de signalisation et de détection nationaux, ndlr], ne pas forcer le mouvement. Beaucoup se joue sur le calendrier". Dit autrement, laisser la modernisation des instruments se faire au rythme des rénovations, sans les devancer. On aurait pu croire Martin Weber, membre de la Cour des comptes européenne, sur la même ligne : "Ce n’est pas toujours par le financement des infrastructures qu’on obtient les meilleurs résultats. Beaucoup de sujets auxiliaires ont un impact important", indiquait-il d’abord, avant de prendre précisément en exemple "les systèmes de signalisation, qui peuvent empêcher la concurrence". Reste donc à bien cerner ce que l’on entend par infrastructures… S’agissant du calendrier, les opinions divergent également. "On est au milieu du gué", estime Grégoire de Lasteyrie. Lui préconise au contraire "d’accélérer un calendrier légal très étalé. La dernière ouverture à la concurrence est prévue en 2039. C’est le bout du monde pour l’usager !".